Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les députés, vendredi 14 juin prochain, je représenterai la France au Conseil européen des ministres du commerce extérieur à Luxembourg. Il y sera principalement question du mandat portant sur les négociations avec les États-Unis en vue d’un partenariat transatlantique. Je tiens bien sûr à vous dire aujourd’hui la position que je défendrai en l’état actuel de la rédaction du mandat qui nous sera soumis. D’ores et déjà, je vous précise qu’un rendez-vous avec l’un de mes homologues étrangers m’obligera peut-être à partir avant la fin de nos débats mais la continuité de l’exécutif sera assurée grâce à Aurélie Filippetti.
Dès l’ouverture des négociations, la France a posé des conditions sine qua non p our accorder à la Commission européenne un tel mandat. Sur plusieurs points, nous avons été entendus : je citerai notamment les préférences collectives européennes en matière agricole et l’exclusion des marchés de défense. Nous avons beaucoup avancé sur un sujet cher aux Européens, la préservation des indications géographiques. Nous avons un différend important sur la conception même de la propriété intellectuelle avec les États-Unis et sur la question de l’exception culturelle et de l’exclusion des services audiovisuels qui motive la présente proposition de résolution, le problème n’est pas réglé au moment où nous parlons.
Le dernier texte proposé par la Commission préserve certes les politiques existantes en matière de quotas de production et de diffusion, mais ce faisant, il les gèle ; surtout, il ne nous permet pas d’inventer l’avenir de nos industries culturelles. Compte tenu de la rapidité des évolutions technologiques, qui peut dire quels seront demain les modes de diffusion de la culture ?
À cet égard, j’aimerais faire quelques rappels historiques qui vous permettront d’apprécier l’importance que nous accordons à l’avenir de nos industries culturelles.
Quand la France a promu et défendu dans les accords internationaux l’exception culturelle sous l’égide du président François Mitterrand au cours des années quatre-vingt, Internet n’était encore qu’un réseau réservé à quelques scientifiques de très haut niveau. Lorsque nous avons négocié, sous l’impulsion du président Chirac, les articles de la Charte pour la diversité culturelle de l’UNESCO, les vitesses de téléchargement étaient telles que l’internaute patient et chanceux devait attendre plusieurs heures avant de récupérer un fichier musical et plusieurs jours pour un film. À l’époque où l’Union européenne, constatant l’échec du multilatéralisme commercial, se lançait à pas rapides dans les premières négociations d’une succession d’accords bilatéraux, ni l’iPhone ni l’iPad, qui ont révolutionné les modes de consommation des oeuvres culturelles, n’avaient été inventés.
Si je fais ce rappel historique, c’est pour motiver notre volonté non seulement de protéger l’exception culturelle et l’exclusion des services audiovisuels mais aussi de penser à l’avenir. Il n’existe pas aujourd’hui d’autre méthode pour garantir notre capacité à protéger les auteurs et les créateurs, les producteurs du secteur de la culture que celle qui consiste à ne pas considérer celle-ci comme une marchandise. Il ne s’agit pas de défendre le village gaulois, comme certains voudraient le faire croire, mais de laisser l’avenir ouvert à l’innovation dans le domaine des industries culturelles. Tel est l’enjeu qui se présente à nous.
Si les États ne veulent pas demain être soumis à une culture dominante, ils doivent conserver leur capacité à légiférer en faveur de leurs créateurs et de leurs industries culturelles, non pas seulement pour les protéger, comme je l’entends trop souvent dire, mais pour leur permettre d’être conquérants, comme ils le sont, dans le domaine de la musique, de la littérature et du cinéma. Voilà la position que nous défendons aujourd’hui avec Mme Filippetti, ministre de la culture.
François Mitterrand affirmait : « Quand la France rencontre une grande idée, elles font ensemble le tour du monde ». L’exception culturelle est une grande idée : cent quinze pays et l’Union européenne ont signé la charte de l’UNESCO.
Dans les discussions autour du mandat de négociation en vue d’un partenariat transatlantique, la France n’est pas isolée : la Pologne, l’Italie, la Belgique, la Roumanie, l’Autriche, parmi d’autres, ont affirmé leurs préoccupations pour le sujet qui nous occupe. Ces pays ne sont toutefois pas tous prêts à afficher la même détermination quand il s’agira de décider d’accorder ou non le mandat à la Commission européenne, soit après-demain. Certains sont même prêts à accepter une position de compromis.
La Commission continue à vouloir prendre des engagements mais sans dire explicitement lesquels, ce qui est déjà un problème. Elle nous dit en quelque sorte que c’est elle qui sera juge de ce qu’est ou de ce que n’est pas la diversité culturelle. Ce faisant, elle sort, selon moi, de sa compétence. J’estime qu’il faut garantir une liberté entière aux États pour favoriser l’émergence de nouveaux modèles économiques face à l’évolution des nouvelles technologies. C’est la Commission qui est sur la défensive. Elle nous fournit des pages et des pages d’argumentaires techniques sans répondre, et pour cause, à une question qui est éminemment politique.
La France a pris des initiatives. J’ai écrit à mes vingt-six homologues qui siégeront à mes côtés le 14 juin prochain afin de les informer de notre position. Le Président de la République m’a donné un mandat très clair que M. le Premier ministre a exposé devant vous, mesdames, messieurs les députés, en répondant tout à l’heure à une question au Gouvernement posée par Pierre Lellouche qui, s’il était resté, aurait pu prendre à nouveau la parole après les interventions de Mme Filippetti et de moi-même.
Le Président de la République a très tôt pris une position très nette sur le sujet de l’exception culturelle. Il s’inscrit dans une continuité car la position de la France n’a jamais varié, du général de Gaulle à Jacques Chirac, en passant par François Mitterrand et Nicolas Sarkozy. Vous voyez, mesdames, messieurs de l’opposition, que je ne suis pas sectaire.