Monsieur le président, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, chers collègues, la proposition de résolution dont nous discutons aujourd’hui est d’une grande importance, non seulement pour notre pays et nos concitoyens, mais également pour tous les citoyens européens.
Mon propos sera bref, et principalement centré sur deux questions : pourquoi préserver la diversité culturelle ? Pourquoi la Commission européenne doit-elle changer d’avis ?
La notion d’exception culturelle se comprend comme l’exclusion de la culture de la sphère des relations marchandes lorsqu’elles ne sont vues que dominées par l’offre et la demande et à l’aune de la rentabilité des biens et services échangés.
Lors du cycle de l’Uruguay, commencé en 1986, certains États souhaitaient élargir le champ des négociations aux services, y compris les services culturels, en particulier ceux de l’audiovisuel. Or la soumission de l’audiovisuel au droit commun de l’accord menaçait l’existence des systèmes nationaux et européens de l’aide publique à l’audiovisuel.
Ainsi est née l’exception culturelle. Elle donne à la culture une place à part dans ce que l’on appelle les biens et les services.
La question des relations entre culture et commerce est posée dans la plupart des instruments du droit commercial international : le commerce des biens, la protection de la propriété intellectuelle touchant au commerce, la protection des investissements, la régulation des subventions.
Aujourd’hui ce sont les négociations en vue d’un accord de libre-échange euro-Atlantique, dont la négociation prendra deux ans, et qui devrait aboutir à la création de la première zone commerciale du monde, qui redonnent son actualité à cette exception. L’enjeu est tout autant dans la préservation de la diversité que dans la protection de l’équilibre des échanges économiques.
Je commencerai par la protection de l’équilibre des échanges économiques.
La vision qui prédomine trop souvent est celle de la référence aux seules économies d’échelles que permettrait l’harmonisation des marchés nationaux. Vu ainsi, l’atout serait donc seulement dans le marché intérieur et dans des marchés nationaux harmonisés.
Appliqué au secteur culturel et audiovisuel, cela traduit, me semble-t-il une dimension économique conçue a minima réduisant le traitement des industries de la culture et de l’imaginaire à une question de concurrence interne et non à une politique de valorisation, de partage et de soutien à la créativité et à l’exportation des oeuvres européennes. Cela traduit aussi un défaut de conception de la politique commerciale qui n’est pas vue comme un possible support à la culture et aux productions européennes.
Si je prends l’exemple du cinéma, cela aurait pour conséquence d’ouvrir davantage nos marchés à la concurrence américaine et de créer une concurrence artificielle entre cinémas nationaux européens qui n’a aucune raison d’exister, car la diversité des approches artistiques est à l’origine même de leur complémentarité.
Je souhaite compléter mon propos par quelques mots sur la préservation de la diversité. À cet égard, je reprendrai l’exemple du cinéma.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’identité du cinéma européen réside dans la coexistence d’industries cinématographiques nationales fortes.
À l’instar de Bertrand Tavernier, je pense qu’il existe une culture et une histoire européennes qui transparaissent dans les films européens. Le cinéma européen aborde aussi de nombreux thèmes de société que ne traite pas le cinéma outre-Atlantique.
Il faut donc mieux valoriser ce qui a fait et fait l’excellence du cinéma européen : sa diversité, sa capacité à raconter des histoires différentes comme Costa-Gavras le dirait s’il était là, son aptitude à renouveler les genres et les formes.
Pourquoi la Commission doit-elle absolument changer d’avis ?
La position actuelle de la Commission est simple, je dirai même simpliste. Comme l’a rappelé Mme la ministre, l’Union européenne protégera ses industries culturelles dans les discussions avec les États-Unis en vue d’un accord de libre-échange, et ce, en contrepartie de l’acceptation par les États membres que le cinéma et la télévision soient inclus dans le champ des négociations.
Voilà la position très générale et l’engagement très minimal du commissaire au commerce au nom de la Commission européenne.
Trois arguments me paraissent justifier un changement de cap, non seulement utile mais bien nécessaire. Cette position méconnaît la réalité politique, oublie la réalité économique et est contraire à l’essence même de la volonté de faire l’Europe.
Dans une certaine mesure, la force de la politique américaine dans de nombreux secteurs tient à son inscription dans une stratégie gouvernementale prospective, cohérente et disposant d’un soutien prioritaire aux plus hauts échelons politiques. Rien de tel en Europe.
Bien que le thème de la culture soit proclamé comme une priorité, les faits, eux toujours têtus, nous ramènent en deçà des discours.
Qu’est devenue l’affirmation de l’actuel président de la Commission qui assurait, en 2005, que « Dans l’échelle des valeurs, la culture vient devant l’économie » ? Rien, seulement des mots, face à la perspective d’un demi-point de croissance annuelle supplémentaire pour chacun des partenaires de cette zone de libre-échange entre les États-Unis et l’Europe.
Évidemment cela est tentant alors que l’Europe n’est toujours pas en mesure de créer les conditions d’un retour à ladite croissance en valorisant les ressources stratégiques actuelles que sont la recherche, l’éducation, les valeurs culturelles.
La position de la Commission oublie la réalité économique et géostratégique. Le but des États-Unis est de contrer l’essor commercial de la Chine, en créant deux zones de libre-échange, une côté Pacifique et une côté Atlantique.
La volonté de faire prévaloir des accords commerciaux bilatéraux est aussi l’expression d’un recul général du multilatéralisme, ce qui risque de marginaliser encore plus certains États et de laisser certaines régions du monde s’enliser dans la pauvreté.
Par ailleurs en matière de politique économique ne soyons pas dupes. Certains pratiquent, ouvertement ou non, ce qu’ils dénient aux autres le droit de pratiquer.
Les lois dites « buy american » et « employ american » , c’est-à-dire « acheter américain » et « employer américain » traduisent bien une réalité protectionniste.
Enfin, la position de la Commission est contraire à la volonté originelle de faire l’Europe.
On prête à Jean Monnet le propos suivant : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture. » Même si ce propos n’a jamais été tenu, il rend compte de ce qui a fondé la volonté originelle de rassembler pour prévenir les oppositions et les conflits en Europe. C’était partir du constat que l’Europe c’est d’abord une culture bimillénaire, philosophique, juridique et artistique.
L’éminent historien de l’art Ernst Gombrich indique que les oeuvres ont ceci de particulier qu’elles sont inépuisables et imprévisibles comme les hommes.
Si l’on veut des innovations sociales mais aussi des découvertes scientifiques, il faut en amont de la créativité. Ce potentiel est pour une part dans la création culturelle.
Si on la réduit, seules les applications technologiques nous rapprocheront. Or, on le sait, elles ne portent pas les valeurs qui font un monde plus proche et des solidarités plus fortes.
En conclusion, la culture et les oeuvres de création audiovisuelles ne doivent plus être les passagers clandestins de l’Europe, elles doivent être de grandes étoiles qui nous aident à choisir nos priorités et à ce titre faire l’objet d’un traitement exceptionnel.
Je suis ravie, avec mes collègues, de soutenir cette proposition de résolution, cette initiative prise en commun par la commission des affaires culturelles et celle des affaires européennes, afin d’appuyer la démarche volontariste du Gouvernement au niveau européen.