Intervention de François de Mazières

Séance en hémicycle du 12 juin 2013 à 15h00
Respect de l'exception culturelle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Mazières :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles, madame la présidente et rapporteure de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, « Le cinéma français se porte bien, pourvu qu’on le sauve ! » Le débat que nous avons aujourd’hui n’est pas nouveau, pas plus que ne l’est cette citation de Marcel L’Herbier. Pourtant il est d’une ardente actualité.

Dans deux jours, les ministres européens du commerce extérieur se réuniront pour adopter le mandat ouvrant un cycle de négociations commerciales entre l’Union européenne et les États-Unis. La culture sera-t-elle incluse dans ce mandat ou bien souffrira-t-elle d’une exception, comme en 1993 dans le cadre des accords du GATT ?

À l’époque, nous avions refusé de livrer le cinéma en échange du libre-échange. Depuis lors, l’exception culturelle est devenue la règle et la voix de la France a été rejointe par 128 États acceptant, ratifiant ou approuvant la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Depuis lors, le traité de Lisbonne a inscrit le respect de la diversité culturelle comme droit fondamental de l’Union.

Ces succès de la diplomatie française et européenne risquent pourtant de connaître un revers historique. Ces derniers mois, la Commission européenne a cédé à la volonté des États-Unis de négocier ce qui n’est pas négociable : le 12 mars, elle a adopté un projet de mandat autorisant l’ouverture de négociations concernant un accord global sur le commerce et l’investissement qui inclurait les services culturels audiovisuels.

Parce qu’on ne mégote pas avec la culture, le 17 avril dernier nous étions unanimes, au sein de la commission des affaires culturelles, pour faire valoir l’exception culturelle.

Le 13 mai, à l’initiative de Mme la ministre de la culture et de la communication, treize ministres européens de la culture l’ont rejointe pour demander solennellement cette exclusion.

À l’instigation de Luc et Jean-Pierre Dardenne la pétition des cinéastes européens a réuni près de 7 000 signataires dans le monde entier, de David Lynch à Ken Loach, en passant par Pedro Almodovar et Michael Haneke.

Alors, certains pourraient êtes tentés de dire que cette affaire regarde les gens de culture. Mais que nous enseigne le vote du 23 mai dernier en session plénière du Parlement européen ? Que, là encore, une majorité très nette est acquise à l’exception culturelle.

L’amendement du député européen Henri Weber a en effet été adopté à une large majorité, par 391 voix contre 191 comme cela a été rappelé tout à l’heure, en dépit de l’avis négatif du président de la commission du commerce international et, il faut bien le dire, des manoeuvres de la Commission européenne.

D’autres pourraient dire que cette affaire oppose deux Europe, l’une emmenée dans un sens par l’Allemagne et l’autre emmenée dans un autre sens par la France.

Mais alors, que dire du vote, la semaine dernière au Bundesrat allemand, d’une majorité de Länder qui s’est prononcée à rebours de l’opinion du gouvernement fédéral, contre l’inclusion de la culture dans le champ des négociations ?

Vous le voyez, nous le voyons, l’exception culturelle n’est pas un enjeu franco-français, c’est un enjeu européen.

Avec vingt-sept États membres – bientôt vingt-huit – l’Europe n’est pas autre chose que l’émanation de cultures singulières, séculaires et complémentaires. Ces cultures préexistaient à l’Europe et elles en fondent aujourd’hui l’essence.

Dans ce débat, d’autres l’ont dit avant moi, c’est donc la devise même de l’Europe qui est en jeu : « Unie dans la diversité ».

En 1993, notre diversité culturelle était en jeu face au cinéma hollywoodien. En 2013, le danger pour l’Europe n’est plus Hollywood. D’ailleurs lors de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes, le président du jury Steven Spielberg a rappelé que « l’exception culturelle est le meilleur moyen de préserver la diversité du cinéma, du cinéma mondial ».

Aujourd’hui le danger, y compris pour les États-Unis, vient d’acteurs économiques mondiaux qui s’affranchissent des règles nationales. Céder sur l’exception culturelle, c’est renoncer définitivement à les soumettre au droit et à la fiscalité. C’est les exempter à jamais de toute norme.

Jacques Toubon l’a rappelé mardi au théâtre du Vieux-Colombier devant la coalition française pour la diversité culturelle présidée par Pascal Rogard, dont on sait l’action déterminante : « Si l’on perd cette bataille, dans cinq à dix ans, les géants de l’Internet domineront le commerce numérique des oeuvres et nous n’aurons plus aucun moyen de les soumettre à une fiscalité ».

Aujourd’hui, Google, Apple ou Amazon ne menacent pas seulement le cinéma, l’édition et la musique, ils menacent la souveraineté des États.

Face à ces assauts, la Commission européenne semble oublier son histoire. C’est pourquoi le consensus doit faire la force de la diplomatie française.

Madame Bricq, tout à l’heure vous avez cité Jacques Chirac. Pour vous être agréable, je citerai François Mitterrand. En 1993, en période de cohabitation, l’unité s’était faite autour du Président de la République, François Mitterrand, du Premier ministre, Édouard Balladur, du ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, et du ministre de la culture et de la francophonie, Jacques Toubon. Cette union pouvait compter sur le soutien du président de la Commission européenne, Jacques Delors.

Vingt ans plus tard, il va de soi que l’opposition parlementaire est tout entière réunie derrière vous, madame la ministre, derrière la ministre de la culture, le ministre des affaires étrangères, le Premier ministre et le Président de la République.

Le rayonnement de la France, pour ne pas dire sa grandeur, passe par un État protecteur des créateurs comme de la création. En ce domaine, notre pays peut revendiquer une valeur d’exemplarité. C’est en France que Colbert créa le système des pensions aux artistes, sortant ceux-ci de la précarité, c’est en France que furent institutionnalisées les académies, laboratoires des talents artistiques, en France que naquit au XIXe siècle une politique de protection des monuments historiques, en France que fut créé le premier ministère de la culture, en France que furent imaginés des outils aussi performants que le prix unique du livre, l’intermittence ou le Centre national du cinéma.

Ce modèle, le monde entier nous l’a envié et a souvent essayé de le copier. Il contribue encore au rayonnement de la France, de notre langue et au dynamisme de notre pays.

Car, ne nous y trompons pas : en menant ce combat, cette bataille, ce sont trois acquis démocratiques fondamentaux que nous défendons.

Le premier, c’est la liberté de pensée. Quand Beaumarchais imagine les droits d’auteur, il le fait en homme des Lumières, attaché à défendre la possibilité pour les auteurs de se soustraire à la tyrannie de l’argent.

Le deuxième, c’est la fertilité de la création. La France est un terreau fertile pour les artistes, car elle ne s’intéresse pas seulement aux valeurs reconnues par le marché, mais entretient au quotidien des centaines d’initiatives. Le cinéma français produit des chefs-d’oeuvre parce que notre système de financement permet aux nouveaux créateurs de se lancer dans l’aventure.

Le troisième acquis, c’est la démocratisation du savoir. La plus belle conquête de notre politique culturelle restera toujours la possibilité offerte au plus grand nombre d’accéder aux oeuvres ; cet accès démocratique ne peut être garanti que s’il est donné aux acteurs de la culture de continuer à se battre pour faire partager leur passion. Comment imaginer que nos librairies de proximité puissent survivre sans protection face à la terrible concurrence d’Amazon ?

N’oublions pas non plus que derrière ce combat, des milliers d’emplois sont en jeu. S’il est encore un domaine dans lequel la place de la France est incontestée dans la grande concurrence mondiale, c’est celui de la culture.

Alors, soyons unanimes pour défendre le modèle du CNC, qui permet de financer le cinéma d’auteur, lequel participe de notre honneur et de notre fierté.

Soyons unanimes pour défendre le prix unique du livre, grâce auquel paraissent, chaque année, en France quarante mille nouveautés, distribuées dans plus de deux mille librairies indépendantes et quinze mille points de vente.

Soyons unanimes pour défendre les quotas de production et de diffusion, qui garantissent notre diversité audiovisuelle et musicale.

Soyons unanimes pour ériger une digue entre la culture et ses industries, d’une part, et les lois du marché, d’autre part.

Soyons unanimes pour que la culture ne soit pas un outil de domination, mais un outil de souveraineté.

Enfin, soyons lucides : si, vendredi prochain, le Conseil européen des ministres du commerce extérieur fait échec à tous les efforts déployés par notre assemblée, le Gouvernement, la diplomatie française et le Parlement européen, si tous les efforts de la France sont vains, nous devrons nous poser la question des raisons de cet échec historique.

En 1993, le Président de la République, qui était un homme de culture, avait su se montrer ferme en portant la voix de la France. Il y a deux jours au Vieux-Colombier, l’ancien ministre de François Mitterrand, Jack Ralite, que nous avons salué, a été vivement applaudi par les professionnels de la culture lorsqu’il a déclaré : « Je n’entends pas le Président de la République parler au niveau suffisant… Et pourtant, il s’agit du statut de l’esprit ! »

Au demeurant, il est difficile aujourd’hui de justifier une quelconque exception culturelle, lorsqu’on sait que lors de l’élaboration du premier budget du gouvernement Ayrault, les crédits de la culture ont été soumis à une diète historique. Qu’il est difficile de défendre l’exception culturelle pour notre cinéma, après avoir prélevé 150 millions d’euros au CNC !

Je sais qu’actuellement, a lieu, au Palais de l’Élysée, la remise du prix de l’audace artistique et culturelle. Madame la ministre du commerce extérieur, j’aurais voulu dire à votre collègue en charge de la culture,…

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