Intervention de Noël Mamère

Séance en hémicycle du 12 juin 2013 à 15h00
Respect de l'exception culturelle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

L’actualité récente nous offre quelques exemples de ce à quoi peut conduire la faiblesse de l’Union européenne dans les rapports de force que nous entretenons avec les États-Unis. Ainsi, après avoir imposé à la Grèce un certain nombre de règles et d’efforts, nous avons vu, hier, consternés, abattus, les programmes de la télévision nationale – qui, en assurant l’accès à l’information, est l’un des éléments structurants du débat démocratique, de l’espace public, pour parler comme un pédant, qui contribuent à la vitalité démocratique d’un pays – se transformer en un écran noir : 3 000 personnes sont jetées à la rue.

Le Gouvernement grec n’a proposé aucune solution alternative, n’a annoncé aucune date de réouverture de la radio-télévision publique. Que va-t-il se passer ? Eh bien, vont s’engouffrer dans la brèche toutes les télévisions et les radios privées, qui, grâce au numérique et au satellite, vont pouvoir s’imposer et contribuer à une forme d’hégémonie culturelle.

Mme Filippetti, tout à l’heure, a souligné le rôle du numérique. Certes, nous ne pouvons nier son importance. Mais, comme l’avait décrit Jacques Ellul en 1953, dans un texte prémonitoire intitulé La Technique ou l’enjeu du siècle nous constatons que le numérique ne sert pas seulement à découvrir d’autres cultures ; il sert aussi à espionner, contrôler, réduire nos libertés personnelles, nos libertés publiques, et à envahir l’espace social et l’espace de notre vie.

Alors oui, bien sûr, il faut défendre l’exception culturelle. Mais que pourrons-nous faire face à cet ogre qui est en train de se construire « à l’insu de notre plein gré », pour reprendre l’expression d’un sportif pris la main dans le sac ? Contre quoi devons-nous nous battre ? Contre l’élargissement de cet espace géographique !

Car, pour résumer l’enjeu en une formule, on peut dire que cet accord transatlantique n’est rien d’autre qu’une forme d’OTAN de l’économie, l’Europe devenant un supplétif des États-Unis. Ceux-ci ont en effet, qu’il s’agisse du commerce ou de la politique extérieure, une peur obsessionnelle du déplacement du centre de gravité du monde vers le Pacifique et l’Asie, en particulier vers la Chine. Les États-Unis veulent donc imposer leurs normes, modifier les réglementations, pour permettre, par exemple à la société Wal-Mart, qui est plus riche que la Grèce, ou à la société pétrolière Exxon, dont le chiffre d’affaires est équivalent au produit intérieur brut de l’Autriche, de s’imposer par des fusions-acquisitions, liquidant ainsi nombre de petites et moyennes entreprises qui tenteront d’affirmer leur singularité. Comment pourrons-nous lutter contre des monstres pareils ?

J’ai parlé de nos libertés. Les États-Unis, malheureusement copiés par d’autres, sont devenus les chantres de ce que l’on appelle la lutte contre le terrorisme par tous les moyens. Même le Président Obama, qui s’était engagé à supprimer Guantanamo et à abandonner le programme « Prism », est prêt à remettre en cause les libertés, au nom de la lutte contre le terrorisme ; le Patriot Act qui a beaucoup réduit les libertés à l’époque de Bush, n’a pas été abrogé. Donc, si l’on passe un accord transatlantique avec les États-Unis d’Amérique, il y a de fortes chances qu’au nom de la lutte contre le terrorisme, nombre de dispositions sécuritaires attentatoires à nos libertés soient mises en oeuvre au sein de l’Union européenne.

Enfin, les conséquences et les dégâts collatéraux de cet accord seraient bien plus profonds que ceux de l’accord multilatéral d’investissement. Il répond en effet au souci exprimé par Samuel Huntington, cet historien américain qui a théorisé la guerre des civilisations. Il s’agit pour les États-Unis de constituer, avec l’appui de l’Europe, un bloc occidental contre le bloc Asie-Pacifique, mais aussi contre le monde arabo-musulman, qui est aujourd’hui présenté comme le diable et comme la source de tous les terrorismes contre lesquels nous devons nous battre et, à ce titre, sacrifier nos libertés.

Bien entendu, les écologistes, que j’ai l’honneur de représenter à cette tribune, voteront pour la proposition de résolution présentée par Patrick Bloche et Danielle Auroi. Mais nous regrettons vivement, nous aussi – mais pas dans les mêmes termes que M. Lellouche –, que la proposition de résolution présentée par Mme Seybah Dagoma devant la commission des affaires étrangères n’ait pas fait l’objet de ce débat. Sa proposition, qui évoquait tous les aspects que je viens d’essayer de décrire devant vous pendant les dix petites minutes qui m’étaient imparties, nous aurait permis d’avoir un vrai débat démocratique avant que l’Union européenne nous jette dans les bras de ce que Les Amis de la Terre appelaient un monstre.

En tout état de cause, nous, les écologistes, nous nous battrons et nous mènerons campagne, ici, à l’Assemblée nationale, et dans tout le pays, pour remporter le même succès que celui que nous avons obtenu contre l’accord multilatéral d’investissement. Nous voterons pour cette proposition de résolution sur le respect de l’exception culturelle.

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