Intervention de Marie-George Buffet

Séance en hémicycle du 12 juin 2013 à 15h00
Respect de l'exception culturelle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet :

Monsieur le président, madame la ministre, madame et monsieur les rapporteurs, nous débattons aujourd’hui d’un projet de résolution européenne visant à faire respecter l’exception culturelle. Qui aurait pu penser qu’un tel acquis puisse être de nouveau remis en cause ? Mais qui aurait pu penser que trois chaînes de télévision publique seraient, hier soir, plongées dans le noir en Grèce ? Au vu du mandat confié à l’Union européenne pour négocier le contrat de libre-échange, dit « partenariat transatlantique de commerce et d’investissement », avec les États-Unis, le risque est bien là. Les logiques libérales en place ne nous feront pas taire. Deux raisons expliquent le bien-fondé de la résolution pour l’exception culturelle : la culture n’est pas une marchandise et l’exception culturelle n’est pas négociable.

La culture, tout d’abord, n’est pas une marchandise. La volonté citoyenne de placer la culture hors du champ du commerce ne date pas d’hier. Elle s’enracine dans la lutte contre l’offensive des marchands pour faire de l’argent avec ce que l’on appelle aux États-Unis l’industrie du divertissement. Nous parlons de culture, voilà toute la différence. Celle-ci est intrinsèque à toute activité humaine : « Je pense, donc je suis ». Et quand nous parlons culture, parlons-nous d’autre chose ? Nous parlons de création, d’imagination, de réflexion, d’abstraction, d’anticipation d’échange et de partage, que seuls les femmes et les hommes sont en mesure d’accomplir.

Nous savons que pour vivre et s’épanouir, les êtres humains n’ont pas seulement besoin de s’alimenter ou d’ériger des règles, mais aussi de créer. Les grottes de Lascaux ne sont-elles pas là pour nous le rappeler ? Oui, la beauté de la peinture existait bien avant que ne s’organise le marché de l’art !

Aussi, l’exception culturelle ne peut être négociable. Le mandat négocié entre l’Europe et les États-Unis relève d’un enjeu de civilisation que tous les chefs d’États européens devraient sinon comprendre, du moins admettre au regard des multiples décisions européennes d’ores et déjà formulées. Faut-il rappeler en effet que l’Union européenne a ratifié la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle, ouvrant ainsi à chaque État le droit d’apporter des aides aux diverses expressions culturelles comme il l’entend ? Faut-il rappeler également que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne précise que « l’Union européenne respecte la diversité culturelle et linguistique » ? Plus récemment, le Parlement européen a adopté à une très large majorité une résolution demandant l’exclusion du secteur audiovisuel du mandat de négociation. Le traité sur l’Union européenne lui-même, que nous avons combattu sur bien d’autres aspects, promeut grâce aux mobilisations la diversité culturelle au sein de l’Union européenne !

Nous savons combien le combat fut rude et long pour en arriver là. Permettez-moi à mon tour de rendre hommage à mon ami Jack Ralite qui, dès 1986, alors que l’on privatisait TF1, impulsait la création des états généraux de la culture. Ces derniers rassemblèrent 1 500 artistes à Paris le 17 juin 1987 et 6 000 personnes au Zénith six mois plus tard, qui étaient autant d’artistes, citoyens et citoyennes, nous ayant appris à nous battre pour refuser de livrer la culture au marché et à la concurrence libre et non faussée. En 1994, le principe est reconnu par les instances européennes lors des négociations du GATT. Depuis cette date, l’exception culturelle est partie intégrante de la construction européenne, mais les tentatives de la remettre en cause ont été fréquentes. Ainsi, il a fallu la défendre en 1998 face aux velléités marchandes de l’accord multilatéral sur l’investissement.

Aujourd’hui, nous devons de nouveau nous mobiliser. Nous allons montrer aux rapaces que les artistes, le monde de la culture et de la création ainsi que les citoyennes et les citoyens peuvent avoir le dernier mot pour faire gagner l’humain contre la loi de l’argent. Partout, se lèvent la protestation et la résistance : à Cannes, où des milliers de signatures ont été recueillies ainsi que le soutien de l’un des plus grands cinéastes américains, Steven Spielberg. Mentionnons aussi l’appel des 500 artistes, qui viennent d’apposer leur signature sur une pétition lancée par la SACEM et soutenue par les organismes de la filière musicale. Une nouvelle fois, la mobilisation est en route pour défendre l’exception culturelle face à des accords commerciaux internationaux impliquant l’Europe et qui feront encore trinquer les peuples. Quand on fait trinquer les peuples, on tire souvent sur la culture !

En refusant par une résolution que l’on touche à la culture, nous refusons toute la logique mercantile qui guide actuellement les politiques européennes et qui est d’autant plus nocive qu’elle s’accompagne de la mise en oeuvre du dogme de l’austérité. D’ailleurs, madame la ministre de la culture, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire hier, il va vous falloir sonner le tocsin pour votre budget ! On ne peut accepter que la culture, dont la dotation est censée diminuer de 67 millions d’euros, soit « dévastée par l’austérité », selon le titre du journal L’Humanité h ier.

Il faudrait donc avoir le débat sur l’ensemble du mandat pour l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis, car ces logiques toucheront tous les domaines de notre activité économique et sociale. La Commission européenne s’apprête en effet à créer une vaste zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis visant à démanteler les règles tarifaires, réglementaires et environnementales protégeant les salariés et les consommateurs. Elle laisse planer sur nos services publics de lourdes menaces, tant dans la santé que dans les transports ou l’éducation.

On veut nous vendre tout cela au nom d’une relance économique en France. Ne soyons pas dupes ! Les grands vainqueurs seront les multinationales, comme le Président Obama l’a lui-même reconnu. Cet accord transatlantique risque en fait de mettre notre développement sous tutelle des grands groupes financiers, comme dans le domaine culturel sous celle des Google, Apple et autres Amazon.

Une nouvelle fois, je veux vous dire notre mécontentement du retrait de la résolution européenne portant sur la totalité du mandat et de l’impossibilité de débattre d’un mandat global et impératif pour la négociation de l’Union européenne sur l’ensemble de l’accord. Cela nous aurait peut-être permis de mieux défendre l’exception culturelle en nous opposant aux logiques qui sous-tendent un tel mandat.

Je me félicite toutefois que nous puissions débattre ce soir de la culture, répondant ainsi à l’appel des cinéastes soulignant qu’« à l’heure où le déficit démocratique du fonctionnement de l’Union européenne fait dangereusement tanguer l’idée même des pères fondateurs, ne galvaudons pas la diversité culturelle qui est au coeur de notre rayonnement ».

À ce propos, nous aurons à débattre dans quelques jours d’une nouvelle résolution sur la volonté de la Commission européenne de porter atteinte aux aides pour le développement du cinéma. Je pense en particulier à la volonté de modifier les critères de territorialisation des dépenses. Sur ce point également, mobilisation citoyenne et détermination gouvernementale doivent aller de pair. Rappelons-nous les manifestations des cinéastes en 1946 lors des accords liés au plan Marshall, auxquelles vous avez fait allusion, madame la ministre.

J’en viens maintenant au contenu de la proposition de résolution qui nous est proposée. L’alinéa 13 mentionne que « les biens et services culturels ne sauraient être assimilés à des marchandises comme les autres ». J’aurais préféré, comme l’orateur précédent, que l’on s’arrête à « des marchandises », car, vraiment, les services culturels n’en sont pas. Les alinéas 14 et 15 ainsi que l’alinéa 18 insistent sur les services audiovisuels à juste titre. Autant il est inacceptable de supprimer l’exception culturelle, autant il serait inacceptable d’en sortir les services audiovisuels. L’entrevue qui a eu lieu entre le président de la Commission européenne ne nous rassure pas sur ce point.

Nous prenons note, madame la ministre, des garanties que vous nous donnez sur l’attitude du Gouvernement justifiant l’utilisation de son droit de veto si le contenu du mandat demeure inchangé. En effet, comme le rappelle la CGT spectacle, le traité prévoit un vote à l’unanimité en cas de menaces sur la diversité culturelle. Nous souhaitons que le Président de la République dise haut et fort à ses collègues européens notre opposition résolue au contenu actuel du mandat. Celles et ceux qui se mobilisent pour l’exception culturelle comptent sur la détermination de la France.

C’est dans cet esprit que les députés du front de gauche voteront cette résolution.

Je voudrais terminer par cette belle idée traversant la mobilisation depuis près de trente ans : « La culture se porte bien, pourvu qu’on la sauve. »

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