Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par une citation : « Le 14 juin, date de l’adoption par le Conseil de l’Union européenne du mandat définitif de négociation de l’accord de libre-échange Europe-États-Unis, l’Europe pourrait rentrer dans une nouvelle ère, celle dans laquelle le politique abdiquerait devant la seule logique de marché en sacrifiant l’un de ses biens les plus précieux : la culture ». Ce sont les propos introductifs d’une tribune signée par une vingtaine de cinéastes européens – mais qui aurait aussi bien pu l’être par Jack Ralite, que je salue.
Au-delà de son importance pour l’édification de la personne humaine, mais aussi pour la défense des différentes cultures de l’Union européenne, ce combat n’est pas une danseuse ! Le secteur de la culture est d’ailleurs un secteur économique pourvoyeur d’emplois et porteur de développement – davantage même que le secteur automobile en France. Sur le plan européen, il représente 3,3 % du PIB et emploie un peu moins de 7 millions de personnes. Or, cette réalité et cette potentialité d’emploi et de croissance sont remises en cause avec le projet de négociation de l’accord de libre-échange avec les États-Unis.
Les secteurs de la culture et de la création ne peuvent être soumis à une stricte logique commerciale, compte tenu de la puissance et de l’impact des industries culturelles dans le monde. Il y a là une asymétrie qui s’impose à l’ensemble des autres pays, et dont il faut tenir compte. Le combat est mené pour la reconnaissance de la diversité culturelle et son épanouissement dans un monde nécessairement multiculturel. C’est pourquoi nous défendons avec force le principe de l’exception culturelle, portée par la France depuis des lustres et devenue diversité culturelle lors des accords de Marrakech du 15 avril 1994.
Ce principe a été constamment réaffirmé dans les négociations commerciales conduites par l’Union européenne. Il a, par ailleurs, été consacré en 2005 par la convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles. Je rappelle les propos tenus à l’époque par son directeur général, Koichiro Matsuura : « La richesse culturelle du monde, c’est sa diversité au dialogue ».
Au moment où le mandat de négociation va fixer, le 14 juin prochain, les contours de l’accord de libre-échange, cette proposition de résolution est indispensable pour favoriser le dialogue des cultures et pour accompagner le Gouvernement. Elle interroge la pure logique des marchés et replace la culture au centre de notre identité française et de notre identité européenne.
Il convient, en effet, de réaffirmer que la culture ne constitue pas un ensemble de biens et services marchands comme les autres. L’identité française, si souvent présente dans le débat public, est fondée aussi sur la vitalité de notre culture. C’est là que la France est attendue et c’est là qu’elle a un rôle éminent à jouer : un rôle dans l’accès de tous à la culture et la diffusion culturelle ; dans le soutien aux créateurs ; dans la régulation d’une activité économique de la création ; enfin, elle joue un rôle dans la promotion de la diversité dans la création, et ambitionne également de favoriser la rencontre entre les cultures, notamment européennes.
Alors, pourquoi sacrifier ce patrimoine, partie intégrante de notre identité – et de celle, d’ailleurs, de chacun des pays de l’Union européenne ? Rien ne le justifie. C’est pourquoi, avec d’autres pays engagés à ses côtés, la France entend bien défendre la diversité culturelle. L’écho de cette mobilisation nous vient aussi du Parlement européen, qui a voté, le 26 mai dernier, une résolution demandant l’exclusion du secteur audiovisuel du mandat de négociation.
La culture et la création doivent impérativement être protégées et préservées pour prospérer. Toutes deux doivent faire l’objet d’un régime particulier de régulation avec des mesures de soutien financier et réglementaire, afin d’assurer leur développement et leur pérennité. Il ne s’agit pas de défendre une vision franco-française de l’exception culturelle ou de la diversité culturelle : c’est le combat pour la culture, partie intégrante de l’identité de chacun.
Il ne suffit pas au commissaire européen au commerce, M. De Gucht, de dire qu’on ne touchera pas au système de protection et de régulation mis en place en faveur des biens et services culturels traditionnels. Le combat n’est pas celui du cinéma américain contre le cinéma français, celui d’Hollywood contre la diversité culturelle, mais bien celui d’entreprises – Netflix, Google, Apple, Facebook – contre la diversité culturelle, notamment celle de l’Union européenne. N’oublions pas qu’un moteur de recherche comme Google, qui devrait normalement garantir la neutralité dans ses conditions d’utilisation, est aujourd’hui éditeur de services et, à ce titre, donne la priorité à ses propres services.
Nous sommes devant une mutation technologique qui va, peut-être seulement dans un premier temps, fragiliser le dispositif que nous avons mis en place pour faire perdurer la création culturelle. Mais demain, il est à craindre que tous les systèmes de régulation et de financement de la création ne se trouvent étouffés. C’est de cela qu’il s’agit, et de rien d’autre. C’est pourquoi nous demandons au gouvernement français de s’opposer clairement à l’inclusion des services culturels dans le mandat de négociation entre l’Europe et les États-Unis. Nous connaissons votre détermination sur ce point, madame la ministre, et vous en remercions.