Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, dans cette discussion qui s’engage sur l’exception culturelle, objet de cette proposition de résolution, il n’est peut-être pas inutile de rappeler le contexte dans lequel ce débat s’inscrit.
En mars, Bruxelles a donné son feu vert au lancement des négociations pour un accord de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Europe et les États-Unis. Il vise à stimuler la croissance et l’emploi pour l’Union européenne en garantissant, par exemple, un accès total aux marchés publics et en supprimant les restrictions imposées aux fournisseurs européens par les USA. Un accord avec les États-Unis permettrait d’ajouter 0,5 % de PIB à l’économie européenne.
Pour le président Obama, cet accord est « une chance unique ». Son secrétaire d’État, John Kerry, y voit « quelque chose qui peut aider à relever l’économie de l’Europe, à renforcer notre économie, créer des emplois pour les Américains, les Allemands, les Européens en général et donner naissance à l’un des plus grands marchés du monde. »
Mais le périmètre du mandat à accorder à la Commission fait débat, en particulier sur les OGM, sur les normes sanitaires ou environnementales, ou sur la culture, sujet qui cristallise les oppositions. Malgré les promesses économiques en termes d’emplois que peut apporter un marché transatlantique mieux intégré et malgré l’engagement que le résultat ne porte pas préjudice « aux valeurs fondamentales de l’Union européenne » – ce sont là les mots du rapporteur de la Commission pour le commerce international –, le monde de la culture et le monde politique se sont puissamment mobilisés pour réaffirmer la singularité de la question culturelle qui, selon eux, ne doit pas entrer dans le champ des négociations – selon eux, mais selon nous aussi.
Les raisons mises en avant et résumées dans cette résolution portent sur la protection et la promotion de la diversité culturelle, menacée dans l’hypothèse de la libéralisation du marché, notamment dans le domaine des industries audiovisuelles dominées par les États-Unis, avec une part de marché de plus de 50 %, mais qui représente aussi en Europe 4,5 % du budget de l’Union et 8 millions d’emplois. La France a brandi son droit de veto, qui permet de déroger au principe d’un vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil de l’Union, ce qui fait trembler les défenseurs de cet accord, dont les fondamentaux économiques sont, par ailleurs, largement partagés.
Le rapport du sénateur Blin analyse opportunément la place de la culture en Europe. Si celle-ci s’est d’abord construite sur l’économie, celle du charbon et de l’acier, afin d’éloigner le spectre de l’affrontement de ses États membres en liant leurs économies, en particulier celle de l’Allemagne et de la France, et même si la culture n’était pas absente des préoccupations des bâtisseurs, la reconnaissance de la culture comme compétence communautaire est tardive. Elle ne date que de 1992, par un article repris et devenu l’article 151 du traité d’Amsterdam, selon lequel « la Communauté contribue à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun ».
Pour expliquer cette singularité, on peut invoquer la magnifique définition que Léon Brunschvicg donne de la culture dans son ouvrage paru en 1947 L’Esprit européen : « La culture demeure inerte et morte tant qu’elle se borne à rôder en quelque sorte autour des âmes, tant qu’elle n’a pas suscité l’effort de la conscience pour se posséder elle-même et se conquérir dans son autonomie essentielle, c’est-à-dire tant que la matière de la culture n’a pas servi à la réalité de la civilisation, tant que l’Europe expression géographique ne s’est pas transformée en Europe communauté spirituelle. »