Intervention de Christophe Léonard

Séance en hémicycle du 12 juin 2013 à 15h00
Respect de l'exception culturelle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Léonard :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, madame la présidente de la commission des affaires européennes, chers collègues, la notion d’exception culturelle, promue par la France depuis les années 1980, repose sur le principe que la culture n’est pas une marchandise comme les autres, eu égard à sa dimension profondément humaine, au rôle qu’elle joue dans le développement de la pensée, à ses effets sur notre manière d’être ensemble, à ce qu’elle dit de nous et à l’enrichissement de la réflexion et de la construction de nos sociétés et de nos démocraties qu’elle favorise.

Le principe d’universalité qui s’attache aux biens culturels ne saurait être remis en cause, comme l’a démontré la convention de l’ONU pour l’éducation, la science et la culture du 20 octobre 2005 relative à la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, à laquelle, contrairement à l’Europe, les États-Unis ont refusé d’être partie prenante.

Ce sont autant d’arguments qui, à moins de souhaiter la disparition de toute diversité culturelle, impliquent que la culture ne puisse être soumise à l’idéologie d’un marché dont on sait, pour le vivre et le subir au quotidien – c’est mon cas dans le département des Ardennes –, qu’il est incapable de se réguler et que son unique raison d’être est le profit pour le profit, au mépris de tout paramètre humain.

On ne peut donc que regretter que, le 12 mars dernier, la Commission européenne ait adopté le projet de mandat autorisant l’ouverture de négociations pour un accord global sur le commerce et l’investissement, intitulé pudiquement « partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique ».

Pour la première fois depuis plus de vingt ans et les négociations de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1993, l’exception culturelle est remise en cause.

En effet, afin d’éviter la mise en oeuvre de la possibilité offerte par l’article 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif aux négociations commerciales de déroger à la majorité qualifiée en conférant un droit de veto à un État membre qui serait en mesure de prouver que les accords commerciaux risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union européenne, la Commission a introduit dans le texte de son projet de mandat la mention selon laquelle la diversité culturelle serait préservée. Or, cette mention ne prévoit pas de protection automatique vis-à-vis des nouveaux supports numériques agrégateurs de contenus, principalement détenus par des sociétés américaines.

S’agit-il donc d’un oubli ou d’un trompe-l’oeil ? La Commission européenne organise vraisemblablement une offensive libérale sans précédent qui ne saurait laisser la représentation nationale indifférente et qui la conduira, j’en suis certain, comme ce fut le cas précédemment, à s’opposer farouchement à toute remise en cause du statut commercial de la culture.

Aussi faut-il saluer la position du gouvernement français, qui, une fois encore, a assumé ses responsabilités face à l’histoire, en réaffirmant le 14 mai dernier par la voix de sa ministre du commerce extérieur, Mme Nicole Bricq, que la France n’accorderait pas de mandat à la Commission européenne si l’exception culturelle n’était pas respectée et, par la voix de sa ministre de la culture, Mme Aurélie Filippetti, en réclamant l’exclusion des services audiovisuels de tout engagement de libéralisation commerciale. D’ailleurs, à l’invitation de Mme Filippetti, treize ministres de la culture européens ont cosigné une lettre adressée le 13 mai dernier à la présidence irlandaise de l’Union et à la Commission européenne. Par ailleurs, tout à l’heure, lors des questions au Gouvernement, M. le Premier ministre a réaffirmé la fermeté de la position de la France.

Au-delà de la puissance américaine dans le domaine audiovisuel et du statut commercial des biens culturels, une tout autre question est soulevée par cet accord transatlantique : celle de l’identité européenne.

Cette identité est en crise du fait de la situation économique très dégradée de l’Europe, qui résulte de son incapacité à mettre en oeuvre la nécessaire harmonisation sociale, fiscale et environnementale, et à se doter d’un budget communautaire puissant, tourné vers la croissance et l’emploi.

Par l’exception culturelle, c’est bien notre identité que nous devons défendre. La déposer entre les mains des marchés, des multinationales américaines – leaders sur les marchés audiovisuels et des nouveaux supports numériques – la vouerait irrémédiablement à la soumission et à l’écran noir, à la façon de la Grèce. Aussi je veux saluer la position de fermeté adoptée par le ministre du redressement productif dans le dossier Dailymotion-Yahoo, qui éclaire le débat actuel.

Voilà pourquoi, considérant que le texte actuel du projet de mandat de la Commission européenne ne prend pas pleinement en compte la protection et la promotion de la diversité culturelle en n’excluant pas explicitement les services culturels et audiovisuels, qu’il n’assure pas la pérennité de l’industrie cinématographique et audiovisuelle européenne notamment dans le monde numérique, qu’il se désintéresse du principe de neutralité technologique, en précisant que la nature du support ne modifie pas le contenu de l’oeuvre – ce qui est de nature à favoriser un contournement de la protection de la diversité culturelle –, je demande au gouvernement de la France de ne pas signer de chèque en blanc à la Commission européenne sur quelque sujet que ce soit et de s’opposer à la délivrance d’un mandat de négociation sur cet accord transatlantique, lors du Conseil du commerce extérieur prévu le 14 juin prochain, en utilisant si nécessaire son droit de veto.

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