Monsieur le président, madame la ministre, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, l’Union européenne et les États-Unis ont décidé, en début d’année, de lancer les négociations visant à conclure un accord bilatéral de libre-échange. Il convient ici de rappeler que le commerce transatlantique est un enjeu économique majeur. En effet, à eux deux, l’Europe et les États-Unis représentent la moitié de l’économie mondiale en volume, et chacun est le premier partenaire de l’autre.
Ces négociations bilatérales s’inscrivent dans un objectif de recherche de nouveaux relais de croissance entre l’Union européenne et les États-Unis. Elles se dérouleront par ailleurs dans un contexte marqué par l’échec des négociations multilatérales du cycle de Doha et par la conjoncture économique tendue en Europe et aux États-Unis.
Les conditions dans lesquelles se dérouleront ces négociations doivent faire l’objet d’une attention particulière de notre part. En effet, cet accord posera très certainement les bases des futures règles internationales en matière d’échanges commerciaux. Cela a été dit, l’objet de la libéralisation des échanges internationaux ne porte plus que de façon très marginale sur des barrières tarifaires largement démantelées par de précédents accords. Désormais, ce type de partenariat porte essentiellement sur la suppression ou l’adaptation des normes ou des règles qui sont le reflet des valeurs respectives des parties.
En choisissant d’inclure dans sa proposition de mandat de négociation les services culturels et audiovisuels, la Commission ouvre la voie à une offensive libérale dans ces secteurs, menaçant ainsi la diversité des expressions culturelles européennes.
En adhérant à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée par l’Unesco, l’Union européenne et l’ensemble de ses États membres ont marqué leur volonté commune de se doter d’un instrument international de protection de leur identité culturelle.
Cet engagement a été traduit dans le traité de Lisbonne par l’introduction d’un certain nombre de dispositions nouvelles portant sur la protection de la diversité culturelle des États membres. L’article 3 du traité dispose notamment que l’Union « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ».
Le développement de notre modèle culturel s’appuie sur un soutien fort de la puissance publique. En France, notamment, il permet de garantir l’accès de tous à la culture et à la diffusion culturelle et le soutien aux créateurs, grâce à des dispositifs d’aide et à des mécanismes de rémunération de la création via les droits d’auteur. Il permet aussi de structurer une activité économique de la création, notamment dans l’audiovisuel, et de promouvoir la diversité par l’orientation de fonds vers des formes d’expression qui ne pourraient trouver de soutien financier dans une stricte logique de marché.
Cet engagement public est aujourd’hui possible grâce à notre système, qui combine des obligations de production et de diffusion à la charge des diffuseurs, une chronologie de diffusion, ainsi que des financements par des taxes assises à la fois sur les entrées en salles de cinéma et la diffusion de films sur les médias audiovisuels. C’est ce modèle qui permet de faire de notre cinéma l’un des plus créatifs au monde. C’est ce mécanisme qui permet au Centre national du cinéma et de l’image animée de mettre en oeuvre la politique de l’État dans les domaines du cinéma et des autres arts et industries de l’image animée. Ainsi 700 millions d’euros ont été générés par le produit des taxes affectées au fonds de soutien géré par le CNC. La valeur ajoutée atteint 29,8 milliards d’euros, soit environ 1,5 % du PIB français, et 340 000 emplois sont aujourd’hui couverts par le périmètre d’action du CNC.
À l’échelle européenne, les secteurs culturels et de l’audiovisuel apportent une contribution non négligeable à l’économie et à l’emploi, en représentant 3,3 % du PIB et 6,7 millions d’emplois.
Alors que les institutions européennes sont décriées et que le sentiment d’appartenance à une forme de « citoyenneté européenne » est chaque jour plus compliqué à inculquer, la protection de notre exception culturelle représente un enjeu majeur pour la construction de l’identité européenne.
Pourtant, ces mécanismes de soutien à la création sont aujourd’hui sous la menace d’une offensive libérale, souhaitée par les États-Unis dans le cadre des négociations de l’accord de libre-échange.
En incluant dans son projet de mandat de négociation les services audiovisuels, la propriété intellectuelle et les nouvelles technologies de l’information, la Commission disposerait d’un mandat particulièrement large.
L’objectif pour les États-Unis est de lever la protection qui recouvre le secteur audiovisuel, en remettant en cause le principe selon lequel la nature du support ne modifie pas le contenu de l’oeuvre, ce que l’on appelle la neutralité technologique.
Or les États-Unis disposent dans le secteur de l’audiovisuel d’une part de marché de 54,5 %, contre 25,5 % pour l’Union européenne. Par ailleurs, les séries au succès universel sont presque exclusivement distribuées par les majors américaines et les contenus sont proposés par les grands groupes nord-américains tels Google, Amazon, Facebook et Apple.
En affaiblissant les mesures de régulation qui permettent à nos expressions culturelles d’exister, la Commission contribuerait à l’établissement d’un rapport de force totalement asymétrique entre l’Union européenne et les États-Unis et, par voie de conséquence, au délitement de notre savoir-faire en la matière.
Notre diversité culturelle européenne doit être défendue ! Cette proposition de résolution nous permet de rappeler à la Commission le rôle de régulateur que doit jouer l’Union européenne dans le secteur culturel et dans la préservation de notre identité.
L’Europe s’est engagée pour cette protection dans le cadre du traité de Lisbonne et de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO du 20 octobre 2005.
L’intervention de la puissance publique paraît nécessaire pour garantir la pérennité d’une offre culturelle riche, variée et accessible à tous, et qui ne peut être intégralement soumise à la loi du marché. C’est pourquoi nous demandons à la Commission, par cette proposition de résolution, de conserver l’ambition européenne qui est de contribuer à l’épanouissement des cultures des États membres, dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun.