Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes, semble-t-il, appelés aujourd’hui à faire le procès du Sénat. Le crime dont il est coupable est d’abord de ne pas être totalement soumis au parti du Gouvernement, ensuite de vivre à un rythme différent de celui, trépidant, de la chambre basse.
La discussion autour de ce projet a donné l’occasion d’attaquer, de juger et de condamner ce bastion, encore quelque peu indépendant vis-à-vis du système présidentiel. Mais n’est-ce pas là la raison d’être du Sénat ? Être une voix indépendante des périodes électorales, tout en étant une force représentative de la nation.
Monsieur le ministre, vous proposez une modification des règles de scrutin suffisamment habile pour ne pas mettre en cause le mode de fonctionnement global de l’institution mais qui aura un fort impact sur les résultats des prochaines élections et sur la légitimité du Sénat.
D’ailleurs, si nous allions au bout de la logique qui sous-tend le texte du rapporteur, il faudrait supprimer totalement le Sénat ou bien élire tous ses membres au suffrage universel direct, puisque ce serait le meilleur moyen de représenter la population.
Ce n’est pourtant pas cela que vous proposez. Le Sénat nouvelle formule ne sera ni plus ni moins démocratique mais – du moins l’espérez-vous – bien plus favorable à l’actuelle majorité.
Au-delà de ce calcul partisan, on ne peut que regretter la volonté manifeste de changer la légitimité du Sénat. Ce qui est sous-entendu dans la réflexion menée par la majorité, c’est que la représentation nationale ne tire sa légitimité que de son alignement sur le courant politique dominant. Ce n’est pourtant pas – bien au contraire – le but de la démocratie !
Nous, représentants de la nation, représentons tous les Français. Et c’est ici qu’interviennent les territoires. En accordant au Sénat une voix à tous les territoires, nous garantissons que tous leurs habitants pourront s’exprimer et que leur voix ne sera pas noyée dans celle des territoires plus peuplés.
Notre bicaméralisme est une chance. Votre projet de loi propose ni plus ni moins de mettre fin à la défense du monde rural pour favoriser les villes et tout particulièrement les grandes villes, au motif qu’aujourd’hui le nombre d’habitants par grand électeur varie de un à quatre entre les territoires les moins peuplés et les zones les plus denses. Pourtant, dans notre chambre basse, ici même, le rapport entre la circonscription législative la plus peuplée et la circonscription la moins peuplée est de un à six ! Où est la rigueur quand on veut faire là-bas ce que l’on ne veut pas faire ici ?
Par ailleurs, vous frôlez volontairement les limites de la Constitution en augmentant au maximum le nombre de délégués des conseils municipaux sans mandat électif. Un des principes de base de notre droit est que le suffrage indirect est majoritairement assuré par les représentants élus des collectivités territoriales et que les délégués élus en dehors du conseil municipal sont le moins nombreux possible. Mais, au lieu d’avoir le courage de ses opinions et de tenter de réformer la Constitution, la majorité préfère pousser à ses limites légales le nombre de délégués supplémentaires.
Encore une fois, nous avons la preuve ici que ce texte a d’abord pour but de favoriser un parti plutôt que de réformer une institution. Il nous faut réfléchir à ce qu’est le Sénat, à ce qu’il devrait être. Il s’agit aujourd’hui du dernier poste électoral ayant un tant soit peu d’indépendance. Il s’agit de la chambre où les intérêts des plus faibles ont quelquefois leurs défenseurs. Il s’agit de la chambre qui permet le débat contradictoire avec notre assemblée.
Que pourrait devenir le Sénat si nous poussions au bout la logique du Gouvernement ? Une Assemblée nationale bis, dominée par les partis, sans la moindre once d’autonomie ! Nous y perdrions le peu de démocratie qui nous reste. Si le Sénat devait être réformé, ce devrait être pour donner à l’institution davantage d’indépendance vis-à-vis des habitudes politiciennes, des séquences électorales et des intérêts privés.
Alors que vous n’avez plus de majorité au Sénat, vous tentez par ce projet de loi de mettre au pas cette institution récalcitrante. Vous essayez d’influencer les résultats des futures élections, en augmentant le pouvoir des partis par la proportionnelle. Vous tentez de reprendre le contrôle du Sénat par des arrangements électoraux, piétinant les reliquats de démocratie qui subsistaient encore.