Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à nous prononcer sur une proposition de loi qui fait écho à une mesure annoncée par le Président François Hollande le 28 mars dernier pour relancer la consommation. Permettez-moi de citer les propos du chef de l’État : « Je propose que [la participation], pour tous ceux qui en ont l’usage – 4 millions de Français bénéficient d’un accord de participation –, puisse être débloquée immédiatement sans pénalités fiscales jusqu’à 20 000 euros, et utilisée pour quelque achat que ce soit, sans aucune raison, pour acheter un bien, une voiture [… ]. Cela durera six mois, mais cela permettra pendant ces six mois de débloquer une épargne pour l’affecter à la consommation. »
Conformément à cette annonce, la présente proposition de loi prévoit que les salariés qui ont déjà placé en épargne salariale des primes d’intéressement ou leur participation disposeront de six mois pour débloquer jusqu’à 20 000 euros nets de prélèvements sociaux.
Il est bien sûr difficile de s’opposer à une telle mesure. Elle permettra à ceux de nos concitoyens qui en bénéficieront de rehausser un peu leur pouvoir d’achat. Nous exprimons néanmoins les plus vives réserves sur l’efficacité de ce dispositif et la philosophie qui le sous-tend.
Nous regrettons tout d’abord que ces dispositions soient inscrites dans une proposition de loi. Ce choix n’est pas fortuit car il a pour effet de nous priver d’une étude d’impact, laquelle aurait probablement révélé le peu de pertinence de ce type de dispositif.
Rappelons en effet qu’une mesure identique avait été initiée par Nicolas Sarkozy. La majorité d’alors prétendait ainsi elle aussi « remettre du carburant dans la croissance française et le pouvoir d’achat ».
Le moins que l’on puisse dire est que le résultat n’a pas été à la mesure des espérances : alors que le Gouvernement espérait injecter 12 milliards d’euros dans l’économie, nos concitoyens n’ont débloqué que 3,9 milliards d’euros. Ce résultat témoigne bien de la limite de l’exercice qui consiste à stimuler artificiellement le pouvoir d’achat en incitant les salariés à puiser dans leur épargne.
Nous sommes de fait davantage dans l’effet d’annonce que face à une réelle mesure de soutien au pouvoir d’achat.
Ceux des bénéficiaires qui doivent faire face à des dépenses urgentes débloqueront sans doute leur participation, mais ils peuvent déjà le faire dans de nombreuses circonstances. La grande majorité des autres préféreront à l’évidence tout simplement conserver leur épargne. La précaution prise de faire en sorte que la participation débloquée ne soit pas réinvestie dans l’épargne sonne à cet égard comme un aveu : l’aveu de la faiblesse structurelle de ce type de mesure en période de crise.
Vous savez comme nous que les ménages modestes et moyens, qui subissent de plein fouet les conséquences de la crise actuelle, ne vont pas dilapider leur épargne. Ils n’attendent pas du Gouvernement et de la majorité qu’ils usent et abusent d’artifices comme le déblocage de la participation. Ils attendent une politique volontariste de soutien actif au pouvoir d’achat.
Le pouvoir d’achat a reculé de 0,4 % en moyenne l’an dernier, pour la première fois depuis près de trente ans. Selon l’INSEE, la consommation n’a depuis bientôt cinq ans progressé en moyenne que de 0,2 % par an.
La raison en est simple : des quatre leviers de croissance que sont la consommation, les dépenses publiques, l’investissement des entreprises et le commerce extérieur, nous avons sacrifié les deux premiers au profit des deux autres.
Ces politiques économiques uniquement fondées sur l’offre n’ont pas eu les effets escomptés : la baisse de la consommation et des dépenses publiques a entraîné non pas le redressement de notre économie mais, au contraire, la baisse de l’investissement des entreprises. Pourquoi en effet une entreprise augmenterait-elle l’investissement quand la demande qui lui est adressée, et donc son chiffre d’affaires, est en baisse ? Pourquoi voudriez-vous que le commerce extérieur se porte mieux, alors que nos partenaires les plus importants sont aussi en récession ? Pourquoi proposer un pacte de compétitivité qui accorde 20 milliards d’euros de baisse d’impôts aux entreprises si celles-ci n’investissent pas et utilisent leur surcroît de marge pour continuer à augmenter les dividendes versés aux actionnaires ?
Il est temps selon nous de nous interroger en profondeur sur les choix qui continuent d’orienter notre politique économique malgré leur échec évident. Ce qui est en faillite, c’est non pas notre pays, mais son modèle de développement.
Nous préconisons pour ce qui nous concerne une tout autre stratégie fondée sur la relance de l’investissement public et, ce qui est plus important encore, de la consommation.
Nous ne croyons pas aux vertus d’un prétendu socialisme de l’offre. C’est la demande qu’il faut stimuler…