Intervention de Patrick Ollier

Séance en hémicycle du 20 juin 2013 à 9h30
Déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Ollier :

Je suis plutôt d’accord avec M. Chassaigne, mais pas pour les raisons qu’il a développées. Cette proposition de loi reste un coup politique, qui n’apporte rien aux Français en matière de pouvoir d’achat. Elle se limitera à un effet d’annonce qui pervertit la participation et détourne de son objectif cette belle ambition que sont l’association capital-travail et le partage de la valeur ajoutée.

J’ai eu l’occasion, lors de la première lecture, de rappeler que le pouvoir d’achat des Français a baissé – pour la première fois depuis 1984 – de 1 % en 2012. La perte de confiance est bien là, c’est indéniable. Et vous en portez la pleine responsabilité.

Les effets mécaniques sur la consommation des hausses d’impôts – 10 % fin 2012 – que vous infligez singulièrement aux classes moyennes contribuent largement à ces résultats.

Sans vouloir être cruel, je rappellerai les propos tenus par François Hollande le 16 mai : « l’idéal serait de ne pas avoir à encore augmenter les impôts ». Dix-sept jours plus tard, cet « idéal » se transformait en cauchemar pour les Français, plus particulièrement pour les classes moyennes. Cette malheureuse initiative était la douzième en un an, soit un relèvement significatif de la fiscalité par mois !

Je ne les citerai pas tous, mais cela va du gel du barème de l’impôt sur le revenu à la hausse de la TVA en 2014, en passant par le tour de vis sur la fiscalité de l’épargne, la hausse des cotisations retraites des salariés, la cotisation spéciale sur les retraites pour la dépendance, et les baisses successives du quotient familial. Douze augmentations ! Depuis votre arrivée au pouvoir, cela fait 30 milliards de hausses d’impôts, qui ont touché en premier lieu les ménages.

Comment imaginer qu’en sortant de votre chapeau ce déblocage exceptionnel de la participation, vous allez résoudre le problème du pouvoir d’achat des Français ? Ils pourront bénéficier d’un retrait de 20 000 euros pour stimuler la consommation, mais cela ne permettra pas de gommer les effets de cette politique de matraquage fiscal. La consommation des ménages est en recul, de 0,9 %, pour la seconde fois en soixante ans. Les prix à la consommation ont augmenté de 0,1 % en mai, soit une hausse de 0,8 % sur un an.

L’emploi marchand baisse au premier trimestre 2013, tandis que le taux de chômage explose. Au mois de mai, la confiance des ménages se dégrade, en perte de 4 points.

Voilà le constat que nous sommes conduits à faire les uns et les autres. Ce n’est quand même pas la faute de vos prédécesseurs !

Tous les voyants sont au rouge, et vous voulez bercer d’illusions les Français avec une hypothétique embellie économique, qui découlerait de votre politique.

En vérité, si les effets positifs de votre politique économique se font attendre, c’est bien parce que votre boîte à outils ne contient aucun ustensile qui réponde aux impératifs d’une politique économique destinée à compenser les effets de la crise et à faciliter les investissements et l’emploi !

Oui, il ne fallait pas augmenter les impôts ! Oui, il fallait diminuer le coût du travail ! Oui, il fallait stimuler l’investissement ! Oui, il fallait diminuer courageusement les dépenses publiques ! Voilà les pistes sur lesquelles nous aurions aimé vous suivre. Hélas, ce n’est pas ce qui s’est passé.

Selon une étude de l’INSEE datée de 2005, les deux tiers des retraits effectués en 2004 sont allés vers des placements plus souples, comme le livret A, ou des placements plus rémunérateurs, comme l’assurance-vie. À titre d’exemple, sur les 7 milliards d’euros dégagés en 2004, à peine 2,5 milliards d’euros ont été injectés dans des consommations nouvelles.

En 2008, 1,6 million de salariés ont retiré au total 3,9 milliards d’euros, bien loin de l’objectif que nous avions fixé, à 12 milliards d’euros. D’autres que moi ont fait ce constat, et vous demeurez sourds à ces vérités ! Malgré votre fléchage, qui provoquera forcément des réactions, je crains que ce déblocage ne reste « bloqué » !

En réalité, ces mesures exceptionnelles détournent le dividende du travail de sa vocation ; elles sont largement insuffisantes pour relancer la croissance.

Gaulliste, je milite pour achever le projet de société conçu par le général de Gaulle, notamment dans sa dimension sociale et économique, qui associe capital et travail, association dont sont issus la participation, l’intéressement et l’actionnariat salarié. Ce principe va de pair avec le refus de l’injustice sociale et la volonté de résoudre les problèmes de tension au sein des entreprises. C’est un instrument utile : en permettant de faire en sorte que les hommes deviennent un peu propriétaires de leur outil de travail, il est de nature à modifier sensiblement les conditions du dialogue social. Voilà une belle ambition !

C’est un instrument qui permet aussi un meilleur partage de la valeur ajoutée ! Avec l’association capital-travail, il s’agit de remplacer dans l’entreprise les rapports de contrainte par des rapports de confiance et de faire que les hommes ne soient plus des adversaires, mais des partenaires.

Sincèrement, j’aurais aimé que vous vous engagiez dans cette voie. Nous aurions pu vous suivre, car c’est une ambition sociale qui a toujours amélioré le fonctionnement et la compétitivité des entreprises.

En janvier 1959, le processus participatif a été amorcé, puis renforcé en 1973, en 1986, en 1994, en 2004, en 2005, en 2006. Hélas, le chemin vers une société de la participation n’est pas encore achevé.

En 2008, la dernière réforme – j’étais le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale – a permis de modifier le régime de la participation pour donner le choix aux salariés entre le déblocage, assorti d’un avantage fiscal, des sommes qui leur reviennent et la disponibilité immédiate de ces sommes. En outre, elle a permis d’appliquer la participation dans les entreprises publiques. Cela n’est pas négligeable ! Je me souviens aussi avoir fait voter la création du dividende du travail, car j’estimais que ce concept était mobilisateur par rapport au dividende du capital. J’ai aussi pensé que c’était oeuvre utile que de faire adopter le principe de l’élection d’un salarié, au suffrage universel des actionnaires salariés, au conseil d’administration. Ces mesures ont désormais force de loi. Pourquoi n’avez-vous pas, en partant de ces avancées, fait progresser encore la participation ?

L’association capital-travail est loin d’être achevée. Je pensais que les socialistes, soucieux, en principe, du progrès social, auraient engagé des réformes audacieuses, plutôt que de se limiter à ce gadget politique – passez-moi l’expression. Ainsi, j’aurais préféré parler de la mise en place dans chaque entreprise d’un pacte de progrès par la gestion participative, au niveau des responsabilités, des résultats et du capital. J’aurais aimé que nous évoquions la possibilité de généraliser l’association capital-travail dans toutes les entreprises, quelle qu’en soit la forme – actionnariat salarié, participation, intéressement. Hélas, ce n’est pas ce qui s’est passé.

Nous espérions aussi que la navette permettrait à ce texte d’évoluer, dans le sens que nous souhaitions. Nous nous étions d’ailleurs abstenus en première lecture, avec l’espoir que les débats au Sénat permettraient des progrès et que vous proposeriez, avec le retour de ce texte, des avancées.

Malheureusement, cela n’est pas le cas. Vous voulez que les Français mangent leur blé en herbe. C’est tout à fait inacceptable ! Il ne faut pas jouer, en faisant ces annonces, avec le principe de la participation. Le groupe UMP constatant que vous n’avez pas même proposé de faire évoluer le texte, en toute logique nous voterons contre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion