Intervention de Pierre-Alain Muet

Séance en hémicycle du 8 octobre 2012 à 15h00
Programmation et gouvernance des finances publiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Alain Muet :

…alors que, dans un autre contexte politique, une autre majorité aurait inscrit dans la Constitution un objectif de solde structurel qui n'a rien à faire ni dans une constitution, ni dans une loi organique.

Il est vrai que les traités européens sont parfois des textes de circonstance. Quant à son origine, c'est sans doute vrai aussi de celui-ci, puisqu'il résultait à la fois de la volonté d'Angela Merkel de transcrire en Europe des règles budgétaires qui s'appliquaient en Allemagne et de la nécessité pour l'ancien président, Nicolas Sarkozy, de faire oublier sa gestion calamiteuse des finances publiques en inscrivant dans la Constitution des règles qu'il avait violées quotidiennement.

Heureusement, le travail des institutions européennes a produit un texte plus subtil que ce qu'imaginaient leurs inspirateurs, puisque ce traité n'incorpore ni sanctions automatiques en cas de déficit excessif, ni fixation d'une date de retour à l'équilibre des finances publiques – à la différence, par exemple, du mécanisme constitutionnel allemand de frein à l'endettement –, ni contrôle de la mise en oeuvre de la règle d'équilibre structurel par la Cour de justice de l'Union européenne, dont le rôle est, effectivement, de vérifier la mise en place de telles procédures et non pas de s'exprimer sur la politique budgétaire elle-même.

Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs fondé sa décision – concluant à la conformité à la Constitution de la règle d'équilibre structurel figurant à l'article 3 du traité – sur le fait que des règles chiffrées étaient déjà applicables aux finances publiques de l'Union européenne, puisque le droit dérivé de l'Union prévoit depuis 2005 – c'était d'ailleurs la première fois qu'apparaît la notion de déficit structurel dans un texte européen – un objectif de déficit structurel de 1 % du PIB, ce qui est précisément l'objectif du traité quand la dette est inférieure à 60 % ; quand elle est au-delà, on sait bien qu'il faut la réduire et qu'il convient donc d'avoir un déficit structurel plus faible. C'est la logique de ce traité.

Opter pour un objectif de solde structurel est pertinent, puisque c'est reconnaître qu'il faut laisser jouer les stabilisateurs automatiques en fonction de la conjoncture. Cela permet de réagir à des ralentissements de l'activité économique ou, au contraire, à une période d'expansion forte.

Mais inscrire dans la constitution un objectif de déficit – structurel ou effectif – n'aurait aucun sens car cela impliquerait que cet objectif soit en quelque sorte valable pour la nuit des temps, quelle que soit la situation économique.

La limite posée par le traité – 0,5 % du PIB lorsque la dette est supérieure à 60 % du PIB, 1 % du PIB en deçà – est parfaitement adaptée à la situation actuelle, qui exige que nous réduisions la dette. Mais cette règle n'aurait guère de sens à très long terme. La seule équation qui fasse l'unanimité des économistes, parce qu'elle traduit une réalité comptable, lie le déficit, la croissance nominale et la dette qui en résulte, au bout d'un temps très long. Un déficit de 0,5 % avec une croissance de 2 % conduirait à une dette très faible ; ce n'est donc pas un objectif pertinent à long terme. En revanche, c'est un objectif pertinent dans la situation actuelle, où il convient de réduire la dette et même, si la conjoncture le permet, de dégager des excédents.

Le rôle de cette loi organique n'est pas d'imposer un chiffre, mais de renvoyer au traité. On peut imaginer que l'Europe se fixe d'autres objectifs dans dix ou vingt ans : il suffira alors d'un amendement pour que cette loi reste valable. C'est une vraie loi organique dans la mesure où elle n'est pas une réponse circonstancielle, mais où elle définit des procédures de finances publiques.

Surtout, le traité budgétaire est une composante d'un paquet qui comporte une véritable réorientation de l'Europe. Ce paquet n'est pas un simple codicille au traité ; il introduit pour la première fois en Europe un plan d'investissements représentant 1 % du PIB de l'Union, financé à la fois par la BEI, avec l'effet levier que l'on sait, et par les fonds structurels inutilisés. C'est une vraie réponse à la situation actuelle qui veut que les États réduisent leur dette et que la seule politique expansionniste possible soit à l'échelle européenne.

Ce projet de loi organique ne comporte aucune « règle d'or », mais seulement un ensemble d'instruments et de procédures dédiés à un meilleur pilotage de notre politique budgétaire. Des lois de programmation des finances publiques traceront le chemin du retour à l'équilibre structurel, sous la surveillance d'un Haut Conseil des finances publiques, lequel se contentera de donner des avis, sans pouvoir en aucune façon se substituer au Gouvernement ou au Parlement.

Loin de représenter un carcan, ce projet de loi organique met en place une obligation de moyens plutôt qu'une obligation de résultat et constitue, à l'image de la LOLF, un guide précieux permettant une gestion sérieuse de nos finances publiques.

Il n'impose aucune contrainte à nos choix de politique économique. La trajectoire que nous voulons donner aux finances publiques et dont nous discuterons lors du débat sur la loi pluriannuelle est celle qu'a annoncée le Président de la République : un retour du déficit des finances publiques à 3 %, puis à 0 % du PIB à la fin du quinquennat, parce qu'il faut remédier très rapidement à l'explosion de la dette. Cette trajectoire est parfaitement compatible avec l'objectif à moyen terme du traité ; elle est même plus ambitieuse, ce qui est une nécessité.

Le mécanisme de correction n'est pas automatique, seul son déclenchement l'est. En cela, le Gouvernement et le Parlement conservent pleinement leur rôle, le Haut Conseil n'ayant pas vocation à définir les politiques économiques, mais à donner une appréciation sur la situation budgétaire.

Les débats au sein de notre commission ont permis de préciser et d'améliorer le texte. De nombreux amendements ont été adoptés, à l'instar d'un amendement du rapporteur général qui prévoit une présentation dans un rapport annexé des modalités de calcul du solde structurel. On sait l'importance de ce solde et l'importance sous-jacente de la notion de croissance potentielle, sur laquelle les instituts de prévision se rejoignent rarement.

Un autre amendement du rapporteur général et du président de la commission spéciale réorganise la procédure de correction des écarts à la trajectoire de solde structurel, le constat des écarts prenant place naturellement dans la loi de règlement et l'annonce des mesures de redressement dans le débat d'orientation budgétaire.

Nous avons également prévu que le président du Haut Conseil pourra être auditionné par les commissions lorsque cela leur paraîtra nécessaire. En introduisant la possibilité pour l'Assemblée nationale et le Sénat d'organiser des débats sur les documents produits par le Gouvernement et par les institutions européennes, nous utilisons pleinement le semestre européen.

Enfin, un consensus sur l'élargissement du Haut Conseil s'est dégagé : nous proposons qu'y siègent le directeur général de l'INSEE – institut indépendant qui notifie à la Commission européenne le déficit, fournit des prévisions conjoncturelles et une appréciation de la croissance potentielle – ainsi qu'un représentant du Conseil économique et social, ce qui est cohérent puisque celui-ci peut se saisir des lois de programmation.

Cette loi organique est une bonne loi, durable puisque ses articles auront une longévité supérieure au traité qu'elle traduit.

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