Intervention de Dominique Minière

Séance en hémicycle du 30 mai 2013 à 9h30
Débat sur la sureté nucléaire — Table ronde

Dominique Minière, directeur délégué Groupe, production et ingénierie d'EDF :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, quelques mots introductifs tout d'abord, avant de développer plusieurs points, en écho à un certain nombre d'interrogations de M. le député Baupin.

La sûreté nucléaire, c'est la priorité, pour un exploitant nucléaire tel qu'EDF. Il ne peut y avoir du nucléaire s'il n'est pas sûr et s'il n'a pas la confiance du public. La sûreté nucléaire repose concrètement sur trois piliers : une conception solide des réacteurs reposant sur des lignes de défense successives et des systèmes de sûreté qui permettent de maîtriser toutes les situations – systèmes dont il faut d'ailleurs vérifier régulièrement la disponibilité – ; une exploitation au quotidien qui s'appuie sur des organisations définies, des procédures et des règles, mais aussi sur du personnel compétent et formé ; une culture sûreté conduisant chacun des personnels à une attitude interrogative et prudente face à toutes les situations rencontrées.

Le modèle d'EDF est donc un modèle d'exploitant concepteur qui cherche à maîtriser l'ensemble des trois piliers : la conception, l'exploitation et la culture sûreté. Car, comme Fukushima l'a rappelé, le premier responsable de la sûreté, c'est l'exploitant.

EDF a donc, en interne, tant des forces d'ingénierie importantes pour maîtriser la conception que des forces d'exploitation formées et rigoureuses, mais aussi, il faut le savoir, des forces de contrôle indépendantes, à tous les niveaux managériaux : l'objectif est bien de progresser en permanence en matière de sûreté nucléaire, en toute humilité car, en la matière, on n'a jamais terminé.

Bien évidemment, pour des réacteurs construits pour des décennies, il est fondamental d'améliorer régulièrement leur conception pour intégrer le retour d'expérience – les accidents et les incidents dans le monde –, mais aussi les progrès de la connaissance et les évolutions de l'environnement. Je citerai quelques exemples : après Three Mile Island, un accident important qui a eu lieu en 1979 aux États-Unis, et après bien sûr Tchernobyl en Russie, en 1986, nous avons mis en place sur nos centrales des recombineurs à hydrogène passifs pour éviter des explosions telles que celles de Fukushima, mais aussi – j'y reviendrai – des filtres à sable sur l'ensemble de nos enceintes de confinement, un élément extrêmement important face à ce type d'accidents.

S'agissant des progrès de la connaissance, il faut prendre en compte le fait que nous n'avons pas les mêmes moyens de calcul que dans les années soixante-dix. On peut aujourd'hui modéliser des éléments beaucoup plus complexes. Il est donc normal de revisiter régulièrement, tous les dix ans, la conception de nos réacteurs pour pouvoir l'améliorer.

Il faut également tenir compte des évolutions de l'environnement car c'est peut-être aujourd'hui, j'insiste sur ce point, ce qu'il y a de plus important : on conçoit une installation par rapport à ce qui s'est produit dans le passé, voire dans les millénaires précédents, mais on n'avait jamais eu de tempête tropicale en France avant 1999, et ce sont des événements nouveaux de ce type qu'il est nécessaire de prendre en compte pour améliorer régulièrement la conception des réacteurs.

Bien sûr, l'ensemble de ces approches est encadré et codifié, et j'insiste sur le fait que les codes et les règles à respecter en France sont parmi les plus sévères au monde. J'aurai l'occasion d'illustrer ce point par la suite.

Il y aura bien pour nous un avant et un après Fukushima, comme pour tous les accidents graves. Celui-ci montre que, plus encore qu'aujourd'hui, il nous faut garantir demain que, quel que soit l'accident qui surviendrait sur nos sites, il n'y ait pas de contamination à long terme des territoires. Si quelqu'un qui habite près d'une centrale nucléaire peut imaginer qu'il devra évacuer son foyer en cas d'accident, et que même son petit-fils ne pourra jamais revenir occuper la maison familiale, il n'acceptera pas le nucléaire. C'est un point fondamental, extrêmement important, qu'a montré Fukushima. Cela ne nous avait pas échappé puisque, suite à Tchernobyl, nous avions alors notamment mis en place des filtres à sable sur tous nos réacteurs, qui, en cas d'accident grave, seraient capables de retenir la quasi-totalité des césiums, qui sont responsables de la contamination à long terme des territoires à Fukushima. Cet événement est comme un fil conducteur que nous devons toujours avoir en tête pour empêcher toute contamination à long terme des territoires, quel que soit le type d'accident. Il faut conduire cette logique jusqu'au bout tant pour renforcer la conception de nos réacteurs que pour faire face, via des organisations et des hommes – nous avons notamment mis en place la force d'action rapide nucléaire – à l'inconcevable. Nous avons suivi ce fil rouge quand nous avons mené les évaluations complémentaires de sûreté en 2011, via les dispositifs déjà en place : l'accident le plus sévère imaginable sur nos réacteurs serait un accident avec rejets différés et filtrés, et les dispositions prévues dans le cadre du post-Fukushima ont pour objectif, à terme, d'éviter même l'ouverture de l'enceinte en cas d'accident grave, comme pour l'EPR. Dans cette hypothèse, on est donc très loin de ce qui s'est passé à Tchernobyl ou à Fukushima.

Nous nous impliquons bien évidemment dans la gouvernance de la sûreté nucléaire. Pour ce qui concerne EDF, c'est à l'échelle mondiale, avec l'ensemble des autres exploitants, notamment à travers la WANO – la World Association of Nuclear Operators –, organisation au sein de laquelle nous essayons de mettre en place un certain nombre de critères et de règles pour faire progresser la sûreté nucléaire partout dans le monde car, en matière de nucléaire, comme Fukushima l'a malheureusement montré, un accident n'importe où dans le monde est un accident partout dans le monde. Nous sommes reconnus en ce domaine puisque, pendant quatre ans, la WANO a été dirigée par un ancien dirigeant d'EDF, qui vient récemment d'être remplacé par un autre ancien dirigeant d'EDF.

Bien évidemment, le niveau de sûreté en France et son progrès permanent nous préoccupent. J'insiste sur le fait qu'il est globalement bon, quand on le met en regard de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui : un fort taux de renouvellement de compétences de nos agents – M. Chevet l'a évoqué –, puisque, entre 2008 et 2015, nous aurons renouvelé 50 % de l'effectif qui travaille dans le parc nucléaire, ce qui est considérable. Il y a également un fort taux de renouvellement chez nos prestataires. Nous sommes également dans un contexte de travaux importants, sur lesquels je vais revenir.

Bien évidemment, la disponibilité d'un parc nucléaire n'est pas la meilleure mesure de la préoccupation de ce soir, à savoir la sûreté. C'est souvent la préoccupation des financiers, mais côté exploitants, sans nier que c'est un indicateur intéressant à suivre, il est beaucoup plus pertinent de suivre la fiabilité globale des installations. On peut la mesurer à travers les arrêts automatiques des réacteurs, que ce soit des arrêts fortuits de centrales ou que ce soit à travers la disponibilité et la réponse aux sollicitations des équipements importants pour la sûreté. Sur les quatre premiers mois de 2013, à force des travaux de rénovation que nous menons sur nos réacteurs, le coefficient d'indisponibilité fortuite n'a jamais été aussi bas dans l'histoire du parc nucléaire. J'ai tous les chiffres à votre disposition, et je peux vous les produire à n'importe quel moment. De la même façon, le nombre d'arrêts automatiques de réacteurs, sur les cinq premiers mois de l'année, n'a jamais été aussi bas.

La disponibilité d'un parc est affectée par de multiples facteurs : la manière dont on le sollicite, la durée des arrêts pour renouvellement du combustible et pour maintenance. Or nous sommes entrés dans une phase de renouvellement important de composants et nous avons donc bien évidemment des arrêts programmés pour maintenance plus longs et plus complexes ; mais, au total, grâce à ces investissements, nous avons réduit fortement les arrêts fortuits. Dans un contexte énergétique où l'arrivée des sources d'électricité intermittentes est de plus en plus prégnante, il est extrêmement important, et bon pour l'équilibre du réseau, de disposer d'une source fiable et prévisible, comme le sont de plus en plus nos centrales nucléaires.

À l'approche des trente ans en moyenne, EDF est amenée à remplacer ou à rénover un nombre important de gros composants. Nous avons toujours eu une politique d'investissement en la matière. Il ne s'agit donc pas de quelque chose de nouveau dans sa nature, mais il s'agit quand même de quelque chose d'assez nouveau dans son amplitude et dans son ampleur. Dans le même temps, nous devons prendre en compte l'ensemble des décisions prises suite aux évaluations complémentaires de sûreté post-Fukushima et à nous préparer à prendre en compte les améliorations de niveaux de sûreté qui seront demandées, on le sait, dans le cadre de la poursuite d'exploitation de nos réacteurs.

L'ensemble de ces travaux constitue ce qu'on appelle « le grand carénage du parc nucléaire ». Un montant d'investissements important nous attend, de l'ordre de 50 milliards d'euros, mais il s'agit d'une première approche qu'il reste à ventiler sur les quinze à vingt ans à venir. De tels investissements, je tiens à le rappeler, sont une vraie opportunité pour la filière nucléaire dans son ensemble. Ils sont porteurs de nombreux emplois industriels en France.

Bien sûr, cela fait écho au sujet de la durée de fonctionnement. Les réacteurs du parc français, l'ASN l'a rappelé dans un avis transmis au Conseil national du débat sur la transition énergétique, ont été construits pour une durée de fonctionnement de quarante ans minimum. La question est donc bien de savoir quels sont les éléments qui impactent la durée de fonctionnement. Ils sont principalement de deux natures.

En premier lieu, il y a le comportement des différents composants des centrales, notamment les gros composants. Je rappelle qu'à l'exception de la cuve du réacteur et de l'enceinte de confinement, ils tous sont remplaçables ou rénovables. Comme pour toute autre installation industrielle ou tout autre réacteur dans le monde, on suit de près leur comportement et on les rénove bien sûr en temps et en heure. Ces opérations, largement condensées, vont s'accélérer dans les années à venir, entraînant de ce fait une activité industrielle forte, je pense par exemple aux générateurs de vapeur que nous avons commandés il y a deux ans aux usines Areva de Bourgogne et qui leur donnent un vrai carnet de commandes pour les années à venir.

Reste la question de la capacité des cuves et des enceintes à aller au-delà de quarante ans. Aux USA, la réponse a été clairement donnée par la NRC, l'autorité de sûreté nucléaire américaine : la plupart des réacteurs ont vu leur licence d'exploitation renouvelée jusqu'à soixante ans. En France, les cuves sont meilleures car mieux surveillées en fabrication et plus récentes. Nous sommes également confiants sur la capacité des enceintes à assurer l'étanchéité demandée dans la durée. Cela étant, les codes français sont plus exigeants et c'est bien à nous de démontrer que nos cuves peuvent aller au-delà de quarante ans. Mais, d'une part, EDF a depuis longtemps optimisé la manière d'exploiter ses réacteurs pour « économiser les cuves », et, d'autre part, elle a un programme de surveillance par éprouvettes, directement dans les cuves, qui permet d'anticiper l'effet d'irradiation et de se projeter dans l'avenir.

Les évolutions des exigences de sûreté sont un élément à prendre en compte parce qu'à l'horizon 2020, quand nos premiers réacteurs atteindront quarante ans, des réacteurs de troisième génération seront effectivement en service.

En matière d'objectif de sûreté concernant les risques d'accidents ou leurs conséquences, tous les travaux réalisés après Fukushima vont amener nos réacteurs existants à des niveaux proches des réacteurs de troisième génération. Des discussions ont déjà été entamées dans les groupes d'experts qui traitent de ces sujets pour le compte de l'Autorité de sûreté nucléaire. À l'issue de la dernière réunion, en janvier 2012, les experts ont considéré que les orientations de notre programme, associées à notre projet d'extension de la durée de fonctionnement, étaient satisfaisantes moyennant la prise en compte de certaines recommandations. Bien évidemment, le travail n'est pas terminé : il nous reste, effectivement, à aller au bout de la démonstration, s'agissant de l'autorisation de prolonger la durée de fonctionnement au-delà de quarante ans.

Dans ce cadre-là, j'ai bien entendu évoqué le risque générique qu'il ne faut pas masquer. Ce n'est pas seulement un sujet technique : le Japon, qui n'a pas de parc standardisé, a dû arrêter tous ses réacteurs en même temps pour une même cause générique, la robustesse aux séismes et aux tsunamis.

Le risque générique ne porte donc pas uniquement sur la standardisation de la technologie qui, il est vrai, est prononcée en France où le parc est très standardisé. Mais partout dans le monde, pour avoir un bon niveau de qualité, les exploitants s'appuient en général sur quelques industriels spécialisés qui fabriquent pour tous les opérateurs.

C'est ainsi qu'à l'origine, la fabrication de cuves – élément essentiel pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure – a été concentrée dans quelques mains, conduisant par exemple à l'arrêt prolongé récent de Tihange 2 et Doel 3, dans la mesure où les cuves de ces réacteurs avaient été fabriquées pour partie par le même forgeron qui a fabriqué aussi pour partie la cuve de vingt réacteurs dans le monde, dont la moitié aux États-Unis, neuf en Europe hors France et un en Argentine.

En France, la standardisation du parc a conduit, d'une part, à développer un tissu industriel de fabrication performant et, d'autre part, à élaborer des techniques plus poussées destinées à éviter, par exemple, le type de défaut constaté dans les cuves de Doel 3 et Tihange 2.

Ce risque de défaut générique n'est donc pas nouveau. L'ancien président de l'ASN l'a fortement mis en avant dès le départ, ce qui l'a conduit à conclure à la nécessité de règles de sûreté renforcées tant au stade de la conception-construction qu'à celui du fonctionnement, ce qui n'est pas sans impact sur la durée des arrêts en France par rapport à d'autres pays, comme vous l'évoquiez tout à l'heure, les contrôles à faire étant plus nombreux et exhaustifs. Mais cela conduit également à un niveau de sûreté plus important, de fait : plus de fiabilité des éléments importants pour la sûreté des réacteurs, par exemple.

Dans beaucoup de pays, il est fait référence à un code d'origine américaine, l'ASME. En France mais aussi dans les pays où le nucléaire français a diffusé, comme en Chine, les codes utilisés sont les RCCM et les RSEM qui sont beaucoup plus sévères.

L'influence de ces règles et de ces codes est importante et va dans le sens, en France, d'un conservatisme marqué. C'est parce que ces codes existent que le contrôle des cuves, par exemple, est fait de façon très intrusive sur le parc français via la mise en oeuvre par une machine d'inspection au service très poussé et régulièrement amélioré depuis trente ans, qui a été développée par Areva. C'est d'ailleurs l'utilisation de cette machine et de ses possibilités techniques qui a mis en évidence les défauts d'origine des cuves de Tihange 2 et Doel 3.

Autre point extrêmement important : l'utilisation du code américain a permis la remise en service des cuves avec indication importante pour les réacteurs de Doel-Tihange 2 et Doel 3. L'utilisation du code français en la matière aurait peut-être conduit à des conclusions différentes, notamment pour la justification de l'aptitude en service.

Enfin, dernier point : toutes les tranches n'ont pas le même âge et les inspections sur les tranches plus âgées permettent en général d'anticiper pour les plus jeunes – encore un avantage de la standardisation – et cela permet également de mobiliser de grosses forces d'ingénierie pour faire face à ces problèmes de risques génériques.

S'agissant des accidents nucléaires, notre objectif est d'empêcher tout accident plus grave que ceux du type rejets filtrés et différés. Les mesures d'ores et déjà prises, suite aux accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl, permettent de limiter raisonnablement les risques d'accidents imaginables en France au-delà de ces types d'accidents. À l'avenir, nous visons à renforcer ce dispositif par des mesures supplémentaires au niveau de la conception.

Le coût d'un accident nucléaire est directement lié au type d'accident que l'on considère. Il dépend très fortement de l'existence ou non de contamination à long terme, tout simplement parce qu'il est principalement lié aux mesures prises en matière de décontamination et, comme le rappelait M. Repussard, d'interdiction de consommation de denrées produites dans l'environnement proche, ainsi qu'à l'impact sur le tourisme ou sur l'activité économique. Quand il n'y a pas de contamination à long terme du territoire, l'impact est plus réduit et les coûts des accidents sont beaucoup plus faibles.

De nombreuses études ont été menées dans le monde par l'IRSN bien sûr, mais aussi par des exploitants, comme nous, par des projets européens, mais aussi par l'autorité de sûreté américaine. Toutes ces études montrent que les coûts des accidents nucléaires de type rejets différés et filtrés, c'est-à-dire sans contamination à long terme des territoires, sont dans l'ordre de grandeur des valeurs prises en compte demain en matière de responsabilité civile nucléaire.

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