Intervention de Patrick Lefas

Réunion du 11 septembre 2013 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, j'ai l'honneur de vous présenter le rapport sur l'évolution et les conditions de maîtrise du crédit d'impôt en faveur de la recherche que votre commission a demandé au titre du 2° de l'article 58 de la LOLF et qui vous a été remis le 31 juillet dernier. Pour le faire, j'ai à mes côtés Mme Jeanne Seyvet, contre-rapporteur, et l'équipe des rapporteurs : Mme Valérie Charolles, conseillère référendaire, M. Emmanuel Glimet, conseiller maître, et Mme Christine Costes, rapporteure.

Créé en 1983, le CIR a connu en 2008 une réforme majeure qui en a porté le taux à 30 % des dépenses de recherche et développement des entreprises jusqu'à 100 millions d'euros de dépenses et à 5 % au-delà, le franchissement de ce seuil étant calculé filiale par filiale au sein des groupes. Il est devenu le principal outil d'aide à la R&D des entreprises.

En accord avec votre président et votre rapporteur spécial du budget de la recherche, la Cour s'est efforcée de répondre à quatre questions principales : quelles sont les perspectives et les conditions de maîtrise du CIR ? Quel est l'impact de cet instrument de soutien public aux entreprises ? Comment apprécier les conditions d'accès des entreprises au CIR ? Quels sont ses paramètres d'évolution ?

Pour mener notre enquête, nous avons procédé, comme à notre habitude, à des comparaisons internationales, nous rendant en particulier au Canada, au Royaume-Uni et en Allemagne, et rencontré de nombreux groupements professionnels, dont l'ordre des experts comptables et l'Agence française des investissements internationaux. De manière plus originale, nous avons créé des ateliers de travail avec les chercheurs qui étudient l'impact du CIR, ce qui nous a permis d'identifier les difficultés que celui-ci pose. Nous en rendons compte en détail, notamment dans les annexes du rapport. Nous avons également procédé, naturellement, à des contrôles sur pièce et sur place au sein de la direction générale des finances publiques – administration centrale, directions nationales, dont la direction des grandes entreprises, directions régionales et interrégionales. Enfin, pour identifier les paramètres d'évolution du dispositif, nous avons mis au point un outil de simulation à partir des bases de déclaration des entreprises de 2007 à 2011 – par exemple, pour 2011, à partir des 19 700 déclarations effectuées.

Ce travail a débouché sur un ensemble de constats et sur dix-sept recommandations.

Premier constat : le coût de la réforme de 2008 a été mal anticipé.

Le rapport montre ainsi que le nouveau régime du CIR a été adopté en loi de finances pour 2008 sur la base d'un chiffrage évaluant son coût à 2,7 milliards d'euros, alors que les administrations centrales compétentes l'estimaient dès cette époque à 4 à 5 milliards en régime de croisière. Cet écart entre les prévisions budgétaires et le coût effectif de la dépense fiscale a perduré jusqu'en 2012, du fait de difficultés techniques d'évaluation tenant notamment au délai qui sépare la naissance de la créance des entreprises de sa transformation effective en crédit d'impôt. Ces difficultés résultent pour partie du fait que les seules données dont on dispose aujourd'hui proviennent de la saisie des déclarations papier des entreprises par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Par ailleurs, les remboursements anticipés de 2008 et 2009 ont différé le plein effet du CIR, c'est-à-dire le remboursement à l'issue de la quatrième année pour les grandes entreprises.

La sous-estimation d'origine et les écarts qui se sont manifestés depuis lors – près d'un milliard d'euros de différence entre la dépense prévue dans la loi de finances initiale et la dépense exécutée entre 2010 et 2012 – ont nourri de multiples controverses depuis cinq ans et contribué à faire douter du bien-fondé du dispositif. La Cour n'en met pas moins en évidence des éléments positifs, comme la mobilisation du CIR dans le cadre des plans de relance de 2008 et 2009, qui a permis aux entreprises de disposer immédiatement de liquidités dans une période cruciale.

Il importe donc d'améliorer les chiffrages prévisionnels concernant le CIR afin de mieux informer le Parlement : toute réforme doit reposer sur des scénarios chiffrés solides permettant de choisir à long terme les modalités adaptées du crédit d'impôt.

Deuxième constat : le CIR est un instrument avantageux, en comparaison avec les pratiques de nos partenaires, mais son coût, en forte hausse depuis 2008, est encore appelé à croître.

Avec la réforme de 2008, la France s'est incontestablement dotée de l'aide fiscale à la R&D la plus avantageuse des pays membres de l'OCDE : 0,26 % du PIB, loin devant le Canada, qui occupe la deuxième place avec 0,21 %. Nos partenaires recourent à des stratégies diverses en la matière. Dans certains pays, comme l'Allemagne et la Suède, où il n'existe aucun équivalent du CIR, le niveau de recherche des entreprises n'en est pas moins très élevé – respectivement 1,88 % et 2,35 % du PIB, contre 1,41 % pour la France en 2010 et 1,43 % en 2011. Aux États-Unis, le dispositif porte sur l'accroissement de la dépense de R&D des entreprises. Le Royaume-Uni vient pour sa part de se doter d'un système fondé, comme en France et au Canada, sur le volume des dépenses de R&D. Mais le taux de ces crédits d'impôt est nettement plus bas qu'en France, en particulier pour les grandes entreprises, de sorte que leur volume financier, rapporté au PIB, est nettement moins élevé. Le rapport et ses annexes présentent des éléments détaillés sur ces points, naturellement très importants dans un contexte de mondialisation des investissements en R&D.

Le CIR constitue donc un instrument très généreux, mais aussi très coûteux. À cet égard, les difficultés de mesure que j'ai évoquées n'empêchent pas de nourrir quelques certitudes. Premièrement, le droit à crédit d'impôt constitué par les entreprises, c'est-à-dire la créance de CIR, va continuer d'augmenter, pour atteindre 5,5 à 6,2 milliards d'euros en 2014. Deuxièmement, un ressaut important de la dépense fiscale est inéluctable en 2014. En effet, pour la première fois depuis la fin du plan de relance, la dépense fiscale correspondra alors à 100 % de la créance constituée par les entreprises au titre du nouveau régime du CIR, soit 5,3 à 5,7 milliards d'euros. Ce qui suppose un ajustement d'au moins 2 milliards d'euros en loi de finances. Troisièmement, la dépense fiscale va continuer d'augmenter de façon dynamique par la suite. La Cour estime en effet, sur le fondement des données disponibles, que le coût du régime actuel du CIR devrait rapidement atteindre 6 milliards, puis tendre vers 7 milliards, soit 0,4 % du PIB, parce que les entreprises vont progressivement déclarer la quasi-totalité de leurs dépenses de R&D, ce qu'elles ne font pas encore aujourd'hui. Le coût du CIR va donc aller croissant, ce qui appelle toute notre attention : cela présente un risque budgétaire pour la loi de finances 2014, mais également au-delà.

La Cour formule en conséquence deux recommandations : d'une part, accélérer la production des données relatives au CIR, affiner leur analyse et faire apparaître les incertitudes qui entourent le chiffrage du dispositif dans les documents annexés aux lois de finances qui vous sont transmis ; d'autre part, tenir compte de la dynamique prévisible de la dépense fiscale lors de l'élaboration des lois de finances et des lois de programmation des finances publiques.

Le troisième constat porte sur la mesure de l'efficacité du CIR, sujet difficile qui est naturellement au coeur de vos préoccupations. Pour aller à l'essentiel, si des indices témoignent d'une certaine efficacité, aucun élément véritablement probant ne permet d'affirmer que celle-ci est substantielle, et encore moins de la mesurer.

Depuis 2007, le nombre d'entreprises déclarantes a doublé pour atteindre 19 700 en 2011, mais cela ne représente que 0,5 % des entreprises. On retrouve ici l'un des sujets traités dans le rapport public thématique que la Cour a publié en juin dernier, intitulé « Le financement public de la recherche, un enjeu national ». En clair, le problème, en France, n'est pas que les entreprises qui font de la recherche n'en font pas suffisamment – sauf pour les entreprises de taille intermédiaire ; c'est qu'il n'y a pas suffisamment d'entreprises qui font de la R&D. Ce qui nous ramène à la constitution de l'offre et aux enjeux de la montée en gamme, laquelle implique des efforts de R&D.

Depuis 2007, le nombre de bénéficiaires du CIR a doublé, le montant du CIR a triplé, mais les dépenses fiscales déclarées n'ont augmenté que de 3 milliards d'euros, passant de 15,4 milliards en 2007 à 18,4 milliards en 2011, à un rythme comparable à celui qui prévalait avant 2007. On peut voir dans cette évolution un effet du nouveau taux de 30 %, mais aussi un indice d'efficacité : la R&D des entreprises a continué de croître malgré la crise. Si l'on détaille la répartition du crédit entre ses bénéficiaires, au cours de la même période, la créance moyenne des PME a augmenté de 40 % et celle des entreprises de plus de 5 000 salariés a plus que doublé. À partir de ce constat, on peut rapporter l'efficacité du CIR à trois éléments.

L'efficacité du CIR se mesure tout d'abord au regard de son objectif premier et explicite : l'augmentation de la dépense de R&D des entreprises. Or, il n'existe pas d'étude économique mesurant spécifiquement les effets du CIR après sa réforme et reposant sur des données réelles : les études du Trésor ou les rapports annuels de performances qui vous sont soumis évaluent son impact ex ante, et non ex post. Cette situation risque de perdurer si l'on ne remédie pas aux difficultés d'accès des chercheurs aux données économiques des entreprises qui sont nécessaires à leur travail. À cet égard, il appartient au ministère de l'Économie et des finances, puisque c'est lui qui est en cause, de modifier son interprétation extensive du secret fiscal. Les travaux en cours n'en suggèrent pas moins certains éléments, qui mériteront d'être confirmés à plus long terme : un euro de CIR supplémentaire génère un euro de R&D supplémentaire ; en outre, l'efficacité est supérieure pour les premiers millions d'euros de dépense de R&D engagés par l'entreprise, donc notamment pour les PME. Si l'on compare enfin l'évolution du CIR et celle de la dépense de R&D des entreprises depuis 2007, on constate que la seconde n'a pas progressé en proportion de l'avantage fiscal accordé à ces dernières.

Étant donné ces différents constats, la Cour recommande de retenir comme indicateur principal de l'impact du CIR l'évolution effective de la dépense de R&D des entreprises, en la déclinant par grands secteurs d'activité.

L'efficacité du CIR peut aussi se rapporter à son attractivité, dont témoigne l'implantation de centres de R&D étrangers. En la matière, de bons résultats ont été obtenus en 2009 et 2010, mais l'on constate ensuite un essoufflement. Le coût du chercheur a baissé, mais les investisseurs étrangers prennent en considération un ensemble d'éléments contribuant à un climat favorable à l'innovation ; or, d'après les comparaisons internationales, nous ne sommes guère performants de ce point de vue.

Enfin, l'efficacité du CIR peut s'apprécier au regard des autres composantes de la fiscalité des entreprises.

Tout d'abord, le CIR se combine avec une autre mesure fiscale, le taux réduit d'imposition sur les brevets, qui représente 680 millions d'euros en 2012, pour 150 bénéficiaires environ. La Cour appelle à réexaminer cette mesure en tenant compte de la concurrence fiscale.

Par ailleurs, le CIR doit être intégré à toute réflexion relative à l'impôt sur les sociétés. Il contribue en effet à singulariser la France, notamment par rapport à l'Allemagne, par un taux d'imposition des bénéfices élevé, mais assorti de nombreuses exemptions et exceptions. Pour une dépense fiscale de 5,1 milliards d'euros, le CIR représente ainsi l'équivalent de 3,3 points d'impôt sur les sociétés, soit l'équivalent d'un taux d'IS abaissé à 30 %.

Dans ce contexte, nous formulons quatre recommandations : développer les études d'impact pour disposer de résultats portant sur le régime issu de la réforme de 2008, et assurer à nouveau aux chercheurs l'accès aux données économiques des entreprises ; retenir comme principal indicateur de performance l'évolution du ratio de dépense intérieure de R&D des entreprises sur PIB, en le complétant par des indicateurs selon les grands secteurs d'activité ; réexaminer la mesure fiscale instaurant un taux d'imposition réduit pour les cessions et concessions de brevets ; intégrer le CIR aux travaux qu'engagent la France et l'Allemagne sur l'harmonisation de leur impôt sur les sociétés.

Le quatrième constat porte sur la gestion et le contrôle du CIR.

La déclaration de CIR est déposée par les entreprises en même temps que leur déclaration d'impôt sur les sociétés. Le CIR est alors soit imputé en réduction de l'impôt dû, soit reporté sur l'exercice suivant, soit, s'agissant des PME, remboursé à l'entreprise par les services fiscaux. Au cours des trois ans suivant le dépôt légal de la déclaration, le CIR peut donner lieu à un contrôle fiscal. Des investigations ont été menées par la Cour sur chacune de ces trois étapes.

La déclaration spéciale, non dématérialisée à ce jour, s'est complexifiée, notamment pour le calcul de la sous-traitance. En outre, depuis 2011, les grandes entreprises qui exposent plus de 100 millions d'euros de R&D doivent présenter à l'appui de leur déclaration un état de leurs travaux de recherche. Cette complexité explique que 17 % des entreprises aient déclaré des dépenses de conseil et que les demandes de rescrit montent en puissance, concernant aujourd'hui l'équivalent de 22 % des nouveaux déclarants au CIR. La Cour estime qu'Oséo, qui traite une part importante de ces rescrits alors qu'il intervient par ailleurs dans le préfinancement du CIR, ne devrait plus les traiter au fond même s'il continue de recevoir les demandes, et ce afin d'éviter tout conflit d'intérêt.

S'agissant des déclarations des groupes fiscalement intégrés, le régime actuel du CIR, prévoyant un seuil de 100 millions d'euros calculé filiale par filiale, est à notre sens suffisamment généreux pour ne pas susciter chez la plupart des déclarants un besoin d'optimisation fiscale : en 2011, seuls 17 déclarants dépassent ce seuil. Depuis le plan de relance et la pérennisation du remboursement anticipé du crédit d'impôt pour les PME, le CIR génère environ 11 500 demandes de remboursement annuelles, c'est-à-dire de décaissements budgétaires au bénéfice des entreprises.

Ces versements de l'État supposent plusieurs vérifications et formalités que les entreprises confondent souvent, à tort, avec un contrôle fiscal. Il importe donc que les services du ministère de l'Économie et des finances ciblent mieux les entreprises qu'ils souhaitent soumettre à des vérifications plus approfondies – ce qu'ils ont apparemment entrepris de faire, conformément aux recommandations que nous avons déjà formulées –, mais aussi qu'ils clarifient les justificatifs demandés aux entreprises et le type de travaux de R&D jugés éligibles. C'est là un point essentiel à la sécurité juridique du dispositif pour les PME, en particulier.

Il est ressorti des vérifications sur pièces et sur place que le CIR ne constitue pas un axe spécifique de contrôle fiscal pour la direction générale des finances publiques et que les contrôles fiscaux restent limités, même s'ils se sont faits un peu plus intenses au cours de la dernière période : 1 178 redressements incluent un aspect relatif au CIR en 2012, ce qui représente moins de 7 % des déclarants. Ces contrôles font en revanche apparaître des zones de risque propres au CIR, dont témoignent des rectifications en forte augmentation. On constate notamment l'émergence de pratiques frauduleuses liées à l'existence d'un remboursement immédiat du crédit d'impôt pour les PME.

Les auditions de groupements d'entreprises et les entretiens avec leurs représentants montrent par ailleurs que les conditions dans lesquelles les experts du ministère de la Recherche interviennent pour juger de l'éligibilité des dépenses présentées ne sont pas satisfaisantes. L'amélioration de la perception du CIR et de sa sécurité juridique pour les entreprises suppose que les contrôles soient mieux ciblés grâce à une analyse de risque qui fait encore défaut, malgré de récents efforts. En outre, les conditions d'intervention des experts du ministère devraient être améliorées.

Au total, la Cour a tiré six recommandations de cette série de constats : faire d'Oséo un simple point d'entrée pour les rescrits ; clarifier les justificatifs demandés pour les remboursements anticipés ; publier une fiche-type sur la description des projets de recherche demandée lors d'un contrôle fiscal ; étendre le vivier des experts du ministère de l'Enseignement supérieur, en prévoyant les budgets adéquats, et renforcer le caractère contradictoire de leurs interventions ; cibler les contrôles fiscaux, en se fondant sur une analyse de risque et en intégrant dans le système d'information du ministère de l'Économie et des finances le suivi de la créance et de ses rectifications ; dématérialiser la déclaration de CIR.

En réponse à la dernière question posée à la Cour, le cinquième chapitre porte sur les paramètres d'évolution possibles du CIR : l'assiette des dépenses éligibles, leur mode de calcul, la méthode de constatation du crédit d'impôt, son taux enfin.

Sur le premier point, faut-il limiter l'assiette des dépenses éligibles à celles qui ressortissent effectivement aux activités de R&D, à l'exclusion des dépenses de normalisation, de veille technologique et de prise, maintenance et défense des brevets, qui représentaient en 2011 680 millions d'euros, soit 4 % de l'assiette totale ? L'on pourrait considérer que le CIR n'est pas l'instrument le plus adapté pour soutenir de telles dépenses ou que le bénéfice de ce soutien pourrait être réservé aux PME, mais c'est à vous, mesdames et messieurs les députés, qu'il appartient d'étudier les avantages et inconvénients de cette éventualité.

La loi de finances pour 2013 a encadré l'usage du crédit d'impôt innovation en en limitant le bénéfice aux prototypes conçus par les PME, en fixant son taux à 20 %, et surtout en plafonnant le niveau des dépenses éligibles à 400 000 euros par an, soit un crédit d'impôt maximal de 80 000 euros par entreprise. Cependant, les interrogations que soulève la définition de l'innovation nourrissent l'incertitude. Une instruction fiscale est en préparation à ce sujet. La question de l'ajustement des paramètres ne se posera que si le crédit d'impôt innovation se révèle beaucoup plus dynamique que prévu.

La Cour relève enfin que les assiettes du CIR et du crédit d'impôt compétitivité emploi – CICE – sont pour partie identiques, le recoupement pouvant être chiffré à 400 à 600 millions d'euros de dépenses déclarées. Elle estime que les pratiques fiscales usuelles devraient s'appliquer en la matière : il ne devrait pas être possible de bénéficier des deux crédits d'impôt sur une même assiette.

Le deuxième paramètre d'évolution concerne le mode de calcul des dépenses éligibles. La Cour formule à ce sujet trois recommandations.

Premièrement, ajuster le forfait de dépenses de fonctionnement, qui reste, même après sa révision en 2011, plus élevé que les dépenses déclarées par les entreprises dans l'enquête portant sur leurs activités de R&D. L'enjeu financier est important : il représente à lui seul un coût de plus d'1,5 milliard d'euros en 2011.

Deuxièmement, supprimer le doublement d'assiette pour la sous-traitance publique, lequel vient s'ajouter à une profusion d'aides à la R&D partenariale, auxquelles les investissements d'avenir ont adjoint depuis 2010 de nouveaux dispositifs.

Troisièmement, supprimer le forfait de fonctionnement de 200 % pour l'embauche des jeunes docteurs. Ce forfait s'ajoute au doublement d'assiette déjà applicable à ces dépenses, ce qui aboutit à un taux global de crédit d'impôt de 120 % de la rémunération des docteurs nouvellement embauchés, charges incluses. Pour la Cour, quel que puisse être l'impact du doublement d'assiette pour les jeunes docteurs, les situations dans lesquelles le soutien public excède le montant de la dépense engagée par l'entreprise doivent être évitées. Elle recommande de ramener ce taux à 75 %, ce qui resterait très significatif.

Enfin, la Cour ne propose pas, dans l'immédiat, de modifier le mode de calcul des dépenses sous-traitées, bien que la déclaration du crédit d'impôt par le sous-traitant soit susceptible d'entraîner une simplification notable, car le coût qu'elle représenterait si l'on conservait la structure actuelle des taux du CIR – 700 millions d'euros – serait trop élevé.

Le troisième paramètre d'évolution possible réside dans la méthode de constatation du crédit d'impôt. Faut-il supprimer le remboursement immédiat pour les PME, le remboursement au bout de quatre ans pour les autres entreprises, calculer le franchissement du seuil de 100 millions d'euros au niveau des groupes ? Là encore, la Cour a passé en revue ces évolutions possibles, résumant ses calculs dans le rapport et en annexe, et a retenu une proposition unique et simple qui lui paraît de nature à mieux s'assurer que le crédit d'impôt sert à son objet : réserver le bénéfice du CIR aux groupes qui prévoient la rétrocession du crédit d'impôt aux filiales ayant généré les dépenses de recherche.

Le dernier paramètre d'évolution possible est le taux du crédit d'impôt. La Cour a simulé l'impact de différents scénarios d'évolution en faisant état de leurs avantages et inconvénients respectifs : retour au plafonnement du crédit d'impôt ; baisse du taux de 30 % à structure inchangée ; modulation plus marquée du taux selon le niveau de la dépense déclarée ; instauration de taux différenciés selon la taille de l'entreprise. Pour chacun de ces scénarios, différentes possibilités ont été chiffrées, la plus contrainte correspondant au coût annoncé pour le CIR en 2008, soit 2,7 milliards d'euros.

Réalisées à partir des déclarations réelles de 2011, les dernières connues, ces simulations mettent donc en évidence les effets des mesures envisagées par catégorie de bénéficiaires. À ce stade, la Cour ne propose toutefois pas de réviser les taux, considérant comme vous, monsieur le président, l'intérêt de la stabilité des régimes fiscaux. Lorsque les études disponibles permettront de mieux établir l'efficacité du CIR, l'on pourra réfléchir notamment aux moyens de concentrer le taux de 30 % là où il apparaîtrait le plus efficace. Toute évolution des taux du CIR devrait être précédée de l'exercice de simulation correspondant, afin de ne pas rencontrer les mêmes problèmes de chiffrage que ceux que l'on a connus en 2008.

La Cour a donc retenu ici quatre recommandations. D'abord, simplifier l'assiette et la méthode de calcul du CIR – dépenses éligibles correspondant au manuel international de référence, le manuel de Frascati ; suppression du doublement d'assiette pour la recherche partenariale et du forfait de fonctionnement à 200 % pour l'embauche de docteurs ; ajustement du calcul des frais de fonctionnement. Ces ajustements représenteraient 400 à 600 millions d'euros d'économies annuelles, selon les paramètres retenus, soit quelque 10 % du crédit d'impôt. Deuxièmement, publier rapidement une instruction fiscale clarifiant les dépenses d'innovation éligibles et instaurer un suivi ad hoc du crédit d'impôt innovation. Troisièmement, exclure de l'assiette du CICE les rémunérations déclarées dans le cadre du CIR, ou inversement. Enfin, réserver le bénéfice du CIR aux conventions d'intégration fiscale qui prévoient la rétrocession du crédit d'impôt aux filiales ayant généré les dépenses éligibles, ou proposer aux entreprises d'en faire une bonne pratique.

Au total, l'évolution dynamique qu'a connue le CIR depuis 2008 est appelée à se poursuivre. La Cour propose certains ajustements propres à contenir ce coût sans remettre en cause ni l'architecture d'ensemble ni l'efficacité du CIR. Au-delà de ces mesures, elle se propose de conclure par trois messages. Premièrement, l'État doit se donner les moyens de connaître plus rapidement et mieux le CIR et son coût, ce qui suppose de dématérialiser sa déclaration. Ce sera également une source de simplification pour les entreprises. Deuxièmement, face à l'émergence de pratiques frauduleuses, les services de l'État doivent procéder à une analyse de risque pour décourager ces comportements et mieux orienter leurs contrôles vers les entreprises à risque. Une déclaration récente du ministre de l'Économie et des finances suggère que des instructions leur ont été données en ce sens. La confiance qu'inspire le crédit d'impôt et les effets positifs qui en sont attendus n'en seront qu'accrus. Troisièmement, le CIR équivaut à une baisse de la fiscalité ciblée sur les entreprises, principalement industrielles, c'est-à-dire les plus exposées à la concurrence internationale. Ce point doit être intégré à toute réflexion sur l'évolution de l'impôt sur les sociétés, sa lisibilité, sa cohérence et sa neutralité.

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