Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 10 septembre 2013 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Mon propos liminaire portera sur les trois événements intervenus depuis le débat parlementaire de mercredi dernier, alors même que les massacres continuent en Syrie : la réunion du G20 à Saint-Pétersbourg, la réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne le lendemain, à Vilnius, et la proposition formulée hier par Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères. Je préciserai la position de la France et où nous en sommes aujourd'hui.

Pour ce qui est du G20 de Saint-Pétersbourg, permettez-moi d'abord une remarque générale qui doit nous faire réfléchir. Normalement, et juridiquement, tout ce qu'il convient de faire pour résoudre la grave affaire syrienne – la plus grande catastrophe humanitaire depuis des décennies, puisque l'on recense désormais 110 000 morts et des millions de personnes déplacées et réfugiées – et traiter du massacre chimique du 21 août dernier devrait être traité au sein des Nations unies. Mais, en raison des blocages constatés depuis deux ans au sein du Conseil de sécurité, les Nations unies n'ont pu se saisir de la question. C'est donc le G20, instance qui n'a nullement été conçue à cette fin, qui a dû le faire. Le sommet de Saint-Pétersbourg n'a fait que survoler les questions économiques auxquelles il devait être consacré : on n'y a en réalité parlé essentiellement de la Syrie. Le moins que l'on puisse dire est que le système international ne fonctionne pas comme il le devrait.

La question syrienne a été abordée lors d'un dîner, à l'initiative du Président Poutine et les positions ont été énoncées de façon ferme, faisant apparaître des points d'accord et de désaccord. Onze pays sur vingt – dont, outre la France et la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne – se sont ensuite mis d'accord sur un texte rejoignant les positions française, britannique, américaine et de quelques autres États. Au sortir de cette réunion, et alors que l'on avait présenté la position française comme étant très isolée, on a donc constaté un début d'élargissement, puisque sept des huit pays du G8 partageaient notre position et, je le rappelle, onze pays du G20.

Le lendemain s'est tenue à Vilnius une réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne prévue de longue date, au cours de laquelle la question syrienne a été à nouveau abordée. Plusieurs possibilités étaient avancées et le Secrétaire d'État américain, M. John Kerry, est venu fournir un certain nombre d'informations, comme je l'avais moi-même fait la veille. Nous avons ensuite délibéré, hors sa présence, et obtenu l'unanimité, en dépit de la grande diversité de situation des pays européens : certains sont neutres, d'autres ont des réticences classiques à toute position ferme, d'autres encore ne sont constitutionnellement pas en mesure d'intervenir à supposer que leur gouvernement le souhaite. L'unanimité s'est donc finalement dégagée autour des thèses de la France et de la Grande Bretagne, comme Mme Ashton en a fait état. Et, à cette occasion, l'Allemagne qui, la veille, à Saint-Pétersbourg, n'avait pas signé la déclaration des Onze, a fait savoir, après que nous en avons discuté, qu'elle rejoignait leur position. Une position européenne unanime s'est ainsi dégagée.

On peut certes considérer que cela ne suffit pas. Mais comme vous le savez tous, il n'existe pas encore de politique étrangère et de sécurité commune. Certains s'en réjouissent, d'autres s'en désolent, beaucoup essayent de faire progresser la question. Nous avons donc élargi le cercle des pays qui soutiennent notre démarche ferme et forte – condamnation du régime et du massacre chimique du 21 août et préparatifs de sanction.

Lors de ces réunions, la France a toujours défendu la même position, que je caractériserai de la manière suivante : face au massacre chimique du 21 août, nous voulons à la fois sanction et dissuasion. Sanction puisque ce massacre, que le Secrétaire général des Nations unies a qualifié de crime contre l'humanité, ne peut rester impuni ; dissuasion, car notre absence de réaction encouragerait M. Bachar el-Assad à recommencer, voire à faire pire, mais aussi tous ceux qui seraient, comme lui, tentés. L'utilisation des armes chimiques est interdite depuis 1925 ; ne pas sanctionner leur usage massif serait un encouragement puissant à continuer de les employer, mais aussi à en utiliser d'autres – et comment ne pas avoir à l'esprit le programme nucléaire de l'Iran ?

Parallèlement, des discussions ont porté sur le rapport que doivent prochainement présenter les inspecteurs des Nations unies. Le Président de la République a eu l'occasion de s'exprimer à ce sujet et nous avons indiqué que la France voulait disposer de tous les éléments nécessaires pour prendre sa décision : le rapport des experts, intéressant même si son objet est limité, mais aussi le résultat des délibérations du Congrès américain puisqu'il n'est pas question pour nous de nous engager seuls dans cette affaire. Même si nous ne sommes pas suivistes mais aux côtés des États-Unis, la position qu'ils adopteront est un élément important du processus.

Voilà ce qu'il en est des réunions de Saint-Pétersbourg et de Vilnius. Puis, hier, mon homologue russe, Sergueï Lavrov, après avoir reçu le ministre des affaires étrangères de Syrie, a déclaré ce qui suit : « Nous appelons les dirigeants syriens à non seulement accepter de placer sous contrôle international leur stock d'armes chimiques, et ensuite à le détruire, mais aussi à rejoindre pleinement l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. ». Ayant pris connaissance de cette déclaration et des conditions dans lesquelles elle avait été élaborée, j'ai demandé à M. Lavrov de préciser ce qu'elle signifiait et je me suis à nouveau entretenu avec mes collègues américain, britannique, européens et chinois. Nous avons estimé que cette déclaration devait être accueillie avec intérêt mais précaution – non que l'on veuille faire un procès d'intention aux Russes, mais étant donné l'extrême difficulté d'un processus dans lequel interviendront et la Russie et la Syrie, il convient à la fois d'apprécier une proposition qui introduit un élément nouveau et d'éviter qu'il ne s'agisse d'un leurre.

Plusieurs contacts ont été pris et, ce matin, après m'en être entretenu avec le Président de la République, j'ai annoncé que la France déposerait aujourd'hui même au Conseil de sécurité un projet de résolution sur la Syrie. Il vise à condamner le massacre du 21 août commis par le régime syrien ; à exiger de ce régime qu'il fasse sans délai toute la lumière sur son programme d'armes chimiques, qu'il le place sous contrôle international et qu'il soit démantelé ; à mettre en place un dispositif complet d'inspection et de contrôle de ses obligations, sous l'égide de l'organisation internationale d'interdiction des armes chimiques ; à prévoir des conséquences extrêmement sérieuses en cas de violation par la Syrie de ses obligations ; à sanctionner les auteurs du massacre chimique du 21 août devant la justice pénale internationale.

Ce projet de résolution est discuté en ce moment même, dans le cadre du « P3 », par la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis – il est normal que nos trois États s'accordent sur le texte avant d'aller au-delà. Le projet de résolution français est sous-tendu par la démarche de sanction et de dissuasion décrite, qui nous fait dire que la proposition russe peut être intéressante si le stock massif d'armes chimiques détenu par la Syrie est effectivement contrôlé puis démantelé – tout le problème étant de s'assurer de l'effectivité de ce contrôle.

Le Président Obama, qui s'est entretenu avec le Président de la République il y a une heure, prononcera ce soir une déclaration. Je viens pour ma part de parler avec mon collègue russe, qui m'a dit souhaiter obtenir une déclaration présidentielle aux Nations unies puis, soit dans le cadre de l'ONU, soit entre États, l'élaboration des premiers éléments plus précis d'un contrôle de l'armement chimique syrien.

La première conclusion que je tire de ces événements est que la fermeté réfléchie – qui correspond à la position traditionnelle de la France – paye. On peut interpréter de différentes manières la position des Russes, mais ce n'est pas leur faire injure que de dire que la détermination dont nous avons fait preuve ainsi que les constats qu'ils ont faits en Syrie les ont amenés à modifier leur position, qui a évolué au fil des mois. Russes, Iraniens et Syriens sont passés par des vérités successives : on a affirmé qu'il n'y avait pas de stocks d'armes chimiques en Syrie puis convenu qu'ils existaient, on a nié les massacres chimiques, puis on les a admis… Le rapport des inspecteurs des Nations unies qui sera rendu la semaine prochaine donnera des éclaircissements. Je le répète, notre fermeté réfléchie a été utile ; nous ne devons pas perdre de vue notre ligne directrice – sanction, dissuasion.

Enfin, il nous faut évidemment saisir les opportunités qui se présentent, tout en créant les conditions qui les rendront sérieuses et non pas en faire une occasion de fuir nos responsabilités. La France est dans son rôle quand, en proposant un projet de résolution au Conseil de sécurité, elle s'attache à définir les orientations permettant d'éviter tout dérapage. En ce moment même, on meurt en Syrie, et même si l'on parvient à démanteler le stock d'armes chimiques, ce sera avec une extrême difficulté en ce contexte de conflit exacerbé. Il ne faut certes pas prendre prétexte de ces difficultés pour affirmer que ce formidable objectif est impossible à atteindre, mais il ne faut pas non plus se dissimuler les difficultés et permettre à ceux qui en auraient l'idée de fuir leurs responsabilités.

L'Histoire est en train de se faire, et il est certain que la situation évoluera encore au cours des prochains jours. Notre position, constante, est de saisir les opportunités, de faire preuve de fermeté et d'essayer de porter secours au malheureux peuple syrien qui souffre dramatiquement.

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