Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 10 septembre 2013 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Je ne saurais dire, madame Fort, si la diplomatie française est flamboyante – vous faites certainement référence à des épisodes passés –, mais elle essaye en tout cas d'être utile. J'ignore si les Présidents Poutine et Obama se sont mis d'accord la semaine dernière . En tout cas, après que la proposition russe a été avancée hier, l'objectif de la résolution française actuellement discutée au sein du P3 est, pour éviter des déceptions futures, d'aider à prendre forme un processus qui sera très difficile à conduire. C'est la tâche de la diplomatie.

Je vous remercie, monsieur Lefebvre, pour votre soutien. Vous vous êtes interrogé sur la manière d'organiser Genève 2 ; nous en discuterons avec les Américains et les Russes, qui sont à l'origine de la proposition d'organisation de cette conférence. Il faut parvenir à ce qu'elle se tienne effectivement et il va de soi que la protection des minorités sera l'un des sujets de discussion. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous soutenons la coalition nationale syrienne, dont vous avez entendu certains responsables et dont vous savez qu'ils veulent un État unitaire protégeant les minorités. J'ajoute que M. al-Jarba, président de la coalition, a expressément déclaré que, s'il arrivait au pouvoir, il détruirait les armes chimiques ; dans le même temps, Bachar al-Assad, interrogé sur les chaînes de télévision américaines, a répondu au journaliste Charlie Rose qui lui demandait s'il envisageait d'utiliser des armes chimiques que cela dépendrait des circonstances. Votre préoccupation légitime sera prise en compte, monsieur Lefebvre.

Vous avez raison, madame Guittet, les médecins sont tués en masse en Syrie. C'est une autre manière de massacrer la population : non seulement on procède à un carnage mais on empêche de porter secours aux blessés. La protection du personnel soignant, réclamée par l'ONU et les ONG, doit être prioritaire.

Je parle peu des otages et de manière elliptique, monsieur Bapt, mais assez pour avoir dit récemment que nous avions la preuve que les deux journalistes français enlevés en Syrie sont vivants. Je le confirme, mais je ne donnerai pas d'autres indications et j'invite à la plus grande prudence sur la qualification des groupes qui détiennent des otages ; les risques de manipulation sont multiples.

Je vous remercie, monsieur Bacquet, pour vos aimables propos. Je partage l'appréciation que vous portez sur l'état de l'opinion publique. Au-delà des divergences d'opinions, notre rôle est effectivement de faire comprendre pourquoi nous agissons comme nous le faisons. Pierre Mendès-France ne disait-il pas que la tâche d'un homme d'Etat consiste à « rendre les citoyens co-intelligents des décisions à prendre » ? Pourquoi le Gouvernement français prendrait-il des décisions parfois différentes de ce que voudrait l'opinion publique s'il n'y avait pas à cela une nécessité absolue ? Il nous faut apporter, pour une parfaite compréhension des enjeux, tous les éléments relatifs au long terme, à notre vision géostratégique et à l'analyse de ce qui est nécessaire à la sécurité de la France.

Vous vous demandez, monsieur Balkany, si l'initiative française est prise à un mauvais moment. Elle ne vise en aucun cas à entraver la proposition russe, mais nous pensons que cette proposition doit avoir une base onusienne. C'est l'esprit dans lequel nous présentons notre projet de résolution, que nous sommes évidemment prêts à amender.

M. Loncle a posé la difficile question de la place à réserver à l'Iran dans le cadre de Genève 2. Cette conférence a, je l'ai dit, un objectif précis : permettre la constitution, par consensus, d'un gouvernement de transition doté du pouvoir exécutif. Certains disent que la paix ne peut être faite qu'entre ceux qui sont en guerre, et que l'Iran participe à cette guerre par le biais du Hezbollah, dont les hommes sont présents en Syrie ; pourquoi, alors, les Iraniens ne participeraient-ils pas à la négociation ? Soit, mais deux questions restent en suspens. J'ai posé la première à mon homologue iranien : l'Iran accepte-t-il l'objectif de la conférence, c'est-à-dire le transfert du pouvoir exécutif ? Je n'ai pas eu de réponse pour l'instant. S'il y en a une et qu'elle est positive, cela changera les éléments de la réflexion.

Par ailleurs, comme vous le savez, nous poursuivons depuis assez longtemps avec les Iraniens des discussions sur le nucléaire qui, malheureusement, ne progressent pas. Nous avons eu la surprise, l'année dernière déjà, d'entendre l'Iran dire que l'on parlerait du nucléaire plus tard, et que c'est de la Syrie qu'il convenait de traiter pour l'instant. Dans ce contexte, ne courons-nous pas le risque que les Iraniens fassent traîner les discussions sur la Syrie et qu'un télescopage se produise avec la discussion sur le nucléaire, l'Iran nous disant finalement : « Un accord est possible sur la Syrie, mais vous devez nous laisser agir comme nous l'entendons à propos du nucléaire » ? Voilà ce qu'il en est pour Genève 2. Peut-être une voie de négociation différente pourrait-elle s'ouvrir si, dans une phase préalable à Genève 2, une discussion s'engageait avec les envoyés de Bachar al-Assad et ceux de la Coalition nationale syrienne ; les Iraniens, s'ils ont quelque chose à dire, pourraient le faire dans ce cadre, différent de la conférence proprement dite.

J'ai reçu l'ambassadeur d'Iran il n'y a pas longtemps et je rencontrerai mon homologue iranien à New York prochainement. Dans l'intervalle, j'ai écouté attentivement ses arguments au téléphone. Lorsqu'il m'a dit que le droit international devait être respecté pour ce qui concerne les armes chimiques, je lui ai répondu en être parfaitement d'accord mais qu'il devait l'être aussi en matière d'armes nucléaires ; à ce moment, la conversation a dévié sur un autre sujet…

Nous devons, monsieur Dupré, tirer de la désastreuse et très inquiétante situation de l'Irak – où il est très difficile d'intervenir et où, chaque jour, on compte des dizaines de morts violentes –les conclusions nécessaires : autant c'est une faute d'intervenir lorsqu'il n'y a pas d'armes de destruction massive, autant il faut sanctionner et dissuader quand il y en a car la faute serait de ne rien faire.

Nous réfléchissons, madame Auroi, à la question des réfugiés syriens et nous lui apporterons une réponse. Les visas de transit aéroportuaire ont été créés pour faciliter les déplacements des réfugiés de pays à pays mais ils peuvent avoir des effets négatifs ; j'en traiterai avec le ministre de l'intérieur.

Vous avez, monsieur Habib, soutenu le Gouvernement, et vous savez sa détermination au sujet du nucléaire militaire iranien. L'armement chimique syrien peut-il être détruit ? Il y faut beaucoup de temps et de résolution, ce qui implique un processus strictement encadré. Nos collègues russes feront des propositions plus précises à ce sujet mais, quelle que soit leur bonne volonté, nous devons être certains de ne pas avoir de mauvaises surprises ultérieures.

Je vous remercie, monsieur Glavany, d'avoir rappelé ma disponibilité ; sans doute aurais-je pu venir la semaine dernière, mais il n'est pas certain que je serais alors venu aujourd'hui avec des éléments nouveaux. Vous avez formulé l'hypothèse que l'initiative russe emportait reconnaissance de la responsabilité du régime syrien dans le massacre du 21 août. J'ai discuté de cela avec mon collègue Sergueï Lavrov, qui n'a pas répondu.

Vous appelez à la prudence, monsieur Assouly ; c'est en effet le minimum. Je ne puis, étant donné la complexité de la situation, vous dire si un accord sera trouvé rapidement.

Bien sûr, monsieur Amirshahi, les armes chimiques ne sont pas les seules qui tuent. Mais si tous les pays du monde, à l'exception de quatre, ont décidé leur interdiction, c'est qu'ils les ont considérées d'une horreur sans pareille, parce qu'elles infligent des souffrances atroces, qu'elles frappent indistinctement militaires et civils et qu'elles ont une capacité de prolifération considérable. C'est pourquoi des dispositions particulières ont été prises qui les concernent, que nous devons respecter et faire respecter.

Enfin, je n'entrerai pas dans la controverse juridique, déjà connue, que vous avez souhaité relancer, monsieur Myard. Il ne s'agit pas de créer un précédent mais de surmonter la contradiction dont j'ai rappelé les termes : faire respecter le droit international qui interdit l'usage des armes chimiques alors qu'un veto au Conseil de sécurité bloque toute action des Nations unies. C'est pour résoudre cette contradiction, dans l'intérêt de la population syrienne, que nous avons avancé dans la voie de la fermeté. Peut-être de nouveaux chemins s'ouvrent-ils maintenant, mais il faudra continuer d'être extrêmement attentifs et fermes. Cela a été et cela continuera d'être la position de la France.

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