Nous attachons tous une grande importance à l'écoute mutuelle et à la réciprocité des comportements au sein de l'école, alors essayons de donner ici l'exemple ! Je vais répondre aux questions de la représentation nationale, que j'estime légitimes, mais j'aimerais que l'échange avec l'opposition se construire à égalité de respect.
Il est en effet important, monsieur Durand, de distinguer crise des vocations et crise du recrutement. La réelle difficulté que notre pays rencontre à recruter des enseignants depuis quelques années ne tient pas au fait que notre jeunesse serait devenue paresseuse ou se détournerait de ce métier, mais aux conditions pour y entrer et pour l'exercer. Ces problèmes sont bien identifiés.
Tout d'abord, la longueur des études – cinq ans, du fait de la « mastérisation » – écarte les étudiants issus des milieux les plus défavorisés. Nous avons donc décidé que les candidats inscrits en quatrième année pourraient passer les concours de 2014 et nous avons mis en place les « emplois d'avenir professeur » à l'intention des étudiants boursiers.
Ensuite, du fait de la suppression de l'année de stage, les conditions d'accueil des jeunes enseignants sont devenues très difficiles, à tel point que l'on a assisté à des démissions. Non seulement ils se retrouvaient immédiatement à temps plein devant les élèves, mais, souvent, à cheval sur plusieurs établissements ou dans des niveaux de classe différents. La situation s'est améliorée, même si, cette année encore, certains de ces nouveaux recrutés n'ont que trois heures de décharge, les autres étant contractuels à mi-temps. Ce n'est que l'année prochaine que le nouveau système sera pleinement mis en place.
Enfin, l'anticipation des ouvertures de postes a une influence sur le comportement des étudiants. On sait bien que la raréfaction des postes se traduit par une baisse du nombre de candidats. Grâce à l'augmentation de 39 % des recrutements, nous avons commencé à inverser cette tendance négative tout en mettant des moyens sur le terrain et en assurant d'ores et déjà à certains une véritable formation. J'avais demandé que l'on accorde une attention particulière à la remise en place de tutorats et aux « berceaux d'emploi » pour les stagiaires. Si nous envoyons ceux-ci à 300 kilomètres du lieu où ils doivent poursuivre leurs études, alors qu'ils reçoivent 900 euros par mois, nous les découragerons ! De ce point de vue, je trouve que l'administration a bien fait son travail en cette rentrée pour accueillir de façon satisfaisante ceux qui arrivent dans le métier.
La revalorisation de l'année de stage représente 800 millions d'euros. Cela étant, la situation dans certaines matières comme les mathématiques et l'anglais reste très préoccupante et nécessitera un travail de longue haleine. Cette question du métier que je soulève aujourd'hui concerne non seulement la première affectation, mais aussi l'engagement particulier et la capacité à évoluer : peu de métiers sont figés au point que l'on doive se dire que l'on fera la même chose pendant quarante ans, même lorsque l'on aime la tâche que l'on accomplit ! Au-delà des polémiques sur le statut et les rémunérations, nous devons faire évoluer la conception du métier d'enseignant, et donc son attrait.
Pour ce qui est des écoles supérieures du professorat et de l'éducation, la mise en place a été en effet rapide, dans le cadre de l'autonomie des universités. Il faut que ces structures assurent une professionnalisation. À cet égard, les difficultés que nous avons rencontrées sont traditionnelles. Comment un pays peut-il reconnaître que tout se joue au cours préparatoire, donner la priorité au primaire, et confier la formation des enseignants à des personnes qui ne sont pas entrées dans une école primaire depuis des dizaines d'années ? Vous savez bien, monsieur Hetzel, que là est l'échec majeur de tout ce que la droite a accompli lorsqu'elle était aux responsabilités. À tel point que vous avez supprimé la formation des enseignants – c'était plus simple ! – et que la France a dégringolé dans tous les classements internationaux.
Notre tâche aujourd'hui est de respecter les savoirs disciplinaires et l'implication des universitaires tout en permettant l'intervention des praticiens. L'idée n'est pas de réserver les cours théoriques aux « intellectuels » et les stages aux praticiens. Il faut au contraire que les maîtres formateurs, les professeurs, les chefs d'établissement, les inspecteurs aillent dans l'ESPE et que, inversement, ceux qui ont des compétences théoriques s'intéressent à ce qui se passe dans les classes et dans les établissements. C'est ce modèle que nous mettons en place. Créer des dynamiques en faisant travailler ensemble les universitaires et les personnels de l'éducation nationale, les personnes qui se destinent au primaire et celles qui se destinent au secondaire, etc., n'est pas toujours simple, mais cette rentrée nous permet déjà d'en constater les résultats.
Bien sûr, beaucoup reste à améliorer. Nous nous heurtons à des traditions très anciennes. Comment, par exemple, intégrer dans ces écoles du professorat et de l'éducation des personnes dont la fonction n'est pas le professorat mais l'accompagnement de la tâche éducative ? Nous voyons bien qu'il y a des résistances. À Toulouse, où je suis allé accueillir les stagiaires, on avait réservé un amphithéâtre aux professeurs du secondaire et un autre aux professeurs du primaire. De même, il nous faut souvent expliquer que le master 1 ne doit pas être uniquement consacré aux enseignements disciplinaires et le master 2 aux stages. La formation doit permettre de se familiariser à la gestion des conflits, à l'accueil des enfants en situation de handicap, à l'enseignement des valeurs de la laïcité, à l'usage du numérique.
Toutes ces approches sont nouvelles et se font à des rythmes différents. La méthode suivie est riche d'enseignements : plutôt que de dénoncer ce qui fonctionne mal, nous avons choisi de réunir tous les chefs de projet et présidents d'université afin que chacun présente ce que nous avons identifié comme fonctionnant bien dans son académie. Nous avons mandaté l'inspection générale pour mettre en place un comité de suivi. L'enjeu est essentiel : en dix ans, 300 000 enseignants passeront par ces écoles en formation initiale. Je dois dire qu'en dépit des difficultés, le travail entre les deux ministères s'est déroulé dans d'excellentes conditions.
Je souhaite aussi que l'évolution du métier d'enseignant prenne en compte les tâches de tutorat, d'accompagnement du jeune collègue, de présence dans l'ESPE. Pour que le métier soit attractif, il ne faut pas être contraint de le quitter pour progresser, au contraire ! Il existait des possibilités dans le primaire, avec les maîtres formateurs et les conseillers pédagogiques, nous devons avancer dans le secondaire. Ma volonté est entière à ce sujet et je l'ai fait savoir aux syndicats. En matière de savoirs et de pédagogie, je considère que l'expérience est un objet de transmission. Ceux qui la détiennent et qui, à un moment de leur carrière – pas nécessairement à vie –, veulent la partager, doivent pouvoir le faire et être reconnus dans cette tâche.
Au sujet des rythmes scolaires, je ne suis pas sûr qu'il existe un désaccord de fond entre l'opposition et nous. Pour nous attaquer au noyau de l'échec scolaire, monsieur Hetzel, nous savons à peu près ce que nous devons faire.
D'abord former les enseignants et « mettre le paquet » sur les premiers moments de l'apprentissage. Cela suppose des moyens, mais aussi des méthodes de travail. C'est bien pourquoi j'ouvre un cycle à la fois pour les programmes et pour la formation des enseignants. Il était difficile à la précédente majorité, il est vrai, de changer les pratiques pédagogiques quand elle supprimait massivement les postes et la formation ! Pour notre part, nous considérons que l'attention portée aux apprentissages fondamentaux doit être soutenue par la formation, par l'accompagnement pédagogique et par les moyens.
Nous devons aussi offrir aux enfants un meilleur temps scolaire. L'opposition ne doit pas tout confondre : le temps dont l'éducation nationale est responsable, nous le savons, est celui de la scolarité obligatoire. Or je n'ai pas retranché une minute de ce temps aux enfants de France : je l'ai réparti différemment, me fondant sur le constat, partagé par tous, que les journées sont trop chargées et qu'il faut mieux répartir le temps scolaire. Le temps périscolaire, quant à lui, n'est pas obligatoire dans notre pays et il n'est pas offert de façon égale. Par exemple, seulement 20 % des enfants sont accueillis dans ce cadre le mercredi matin. Les études montrent que les inégalités entre les communes vont de 1 à 10. En outre, ce temps est payant.
Le temps périscolaire, j'y insiste, n'est pas de la responsabilité de mon ministère. Mais, pour la première fois, la réforme introduit un financement d'État et une péréquation, précisément parce que les inégalités sont très fortes en la matière.
On aurait pu croire – moi le premier –, qu'un partage se ferait entre les communes riches et urbaines et les autres dans l'application de la réforme. Les études dont nous disposons montrent qu'il n'en est rien. Des départements très ruraux comme le Tarn, l'Ariège ou la Charente affichent un taux d'application considérable, tandis que des communes urbaines et riches – y compris des municipalités socialistes – n'ont pas encore adopté le dispositif. La différence ne tient donc pas à la richesse ou à la taille. Des communes parmi les plus pauvres de France sont passées aux nouveaux rythmes et reconnaissent avoir obtenu des moyens dont elles ne disposaient pas auparavant pour le périscolaire. Cela étant, cette lutte contre les inégalités a lieu non sur le champ scolaire, mais sur celui de l'offre périscolaire. Les travaux entre les collectivités, les parents et les enseignants n'ont pas toujours été faciles à conduire, mais il est bon que la France ait ce souci collectif.
Faut-il parler de succès ou d'échec des uns ou des autres ? Ce vocabulaire ne convient pas. Ce qui me préoccupe, c'est l'échec des élèves. La gestion par l'image ou par la polémique ne m'intéresse pas. La réforme, on le sait, est difficile, et la préoccupation qui doit nous guider est le succès des élèves. À l'évidence, il y aura des améliorations à apporter. S'il est constaté, par le comité de suivi notamment, que la conception de départ n'était pas la bonne, nous apporterons les modifications nécessaires.
Certains arguments paraissent toutefois curieux, monsieur Salles. Les collectivités locales, au nom desquelles vous semblez parler, ont demandé de la concertation et, du même coup, de la liberté. On ne peut se faire le chantre de cette liberté et dénoncer en même temps des différences dans le temps périscolaire ! Au reste, des différences étaient demeurées quant au temps scolaire : certaines communes avaient conservé la semaine de quatre jours et demi, d'autres, par tradition, étaient aux quatre jours depuis longtemps. La passion de l'égalité qui vous saisit aujourd'hui entre en contradiction, me semble-t-il, avec beaucoup de vos déclarations !
La charte de la laïcité, dont je crois qu'elle est bien accueillie, fera bien entendu l'objet d'un accompagnement pédagogique. Comme il a été demandé, son installation se fera avec une certaine solennité. Les notions qu'elle comporte peuvent se rattacher aux programmes existants. Enfin, je veux que les enseignants soient formés à ces questions dans les ESPE et bénéficient d'une formation continue par Internet qui sera mise en place très prochainement.
Ce nécessaire effort d'explication se fera dans une neutralité absolue. Il s'agit des principes qui nous sont communs et qui découlent de notre devise et de notre droit. Ils devront être enseignés sans blesser aucune conscience et sans introduire dans l'école les passions et les querelles des adultes.
Cet enseignement est sans lien avec la question de la théorie du genre. Je l'ai dit à plusieurs reprises, madame Genevard : je n'ai pas connaissance d'une telle théorie. S'il s'agit de nier la différence entre les hommes et les femmes, cela me semble dépourvu de sens. Mais il existe des études sur les stéréotypes de genre qui peuvent nous aider à travailler à l'égalité entre filles et garçons. Je regrette que certains veuillent poursuivre une polémique qui n'est pas bonne pour les élèves.
Rappelons que les programmes mentionnaient les « devoirs envers Dieu » jusqu'en 1923. Contrairement à certaines conceptions erronées, les grands laïcs n'ont jamais eu besoin de manier le bâton : il leur a fallu convaincre que la laïcité était l'intérêt de chacun. J'ai souhaité que la charte de la laïcité soit notre bien commun, quelles que soient nos opinions politiques ou nos croyances religieuses, et non pas une revanche des uns sur les autres. Aucune population, je l'avais déclaré, ne devait se sentir stigmatisée. Je sais le temps qu'il faut pour que chacun puisse prendre toute sa place dans la République et je souhaite que celle-ci remplisse non seulement des missions de police ou de justice, mais aussi d'éducation. Or, en contradiction totale avec l'esprit de la charte et avec les précautions que nous avons prises, M. Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), a voulu stigmatiser une population. Je le regrette profondément, d'abord pour les élèves mais aussi parce qu'un grand nombre des personnes qu'il prétend représenter ne se sont pas senti représentées.
Sur tous les sujets, notre tâche est de rassembler. L'énoncé des valeurs communes de la République est bien le minimum que nous devons aux uns et aux autres ! Je vous le dis nettement, je n'ai pas trouvé la réaction de M. Boubakeur astucieuse, surtout s'il s'agit de faire de l'égalité filles-garçons un signe de prétendue discrimination.
Les enfants en grande difficulté scolaire doivent être notre priorité constante. La tâche est très difficile, mais ce sera en quelque sorte le crible de notre évaluation. Le conseil supérieur des programmes, où vous avez à désigner vos représentants, sera installé dans les quinze jours et le conseil national de l'évaluation du système scolaire le sera dans le même temps. C'est bien le signe, monsieur Breton, que nous ne sommes pas défavorables à une évaluation indépendante. Nous nous employons au contraire à créer cette indépendance afin de rompre avec les confusions passées.
Ces instances se mettront rapidement au travail mais les résultats prendront un peu de temps. Offrir un temps scolaire de qualité aux élèves, mieux former les professeurs, mettre en place un service du numérique, tout cela est une action de longue haleine que nous devons pouvoir évaluer en toute transparence à mesure que nous la conduisons.
Dans le cas des élèves décrocheurs, nous mobilisons les personnels, nous mettons quelques moyens, nous poursuivons les actions lorsqu'elles produisent des résultats et nous fixons des objectifs, lesquels sont bien connus : dans quelques années, on devra mesurer très nettement que l'on recrute des professeurs, que le nombre des élèves décrocheurs diminue, que les inégalités à l'école reculent, que le niveau à l'entrée du collège a été amélioré, etc.
Nous avons fait une partie du chemin mais beaucoup reste devant nous. J'attends des parlementaires qu'ils fassent valoir leurs opinions et leurs critiques, comme il est naturel, mais aussi qu'ils accompagnent au maximum ces réformes. Pour réussir le redressement de nos résultats éducatifs, nous avons besoin d'être unis. Il nous fallait, je l'ai dit, « fatiguer le doute ». L'école en France ne doit pas être un lieu d'affrontement mais le lieu du redressement collectif.