Intervention de Laurence Tubiana

Réunion du 11 septembre 2013 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Laurence Tubiana, directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales, IDDRI :

J'ai souhaité, dans ma présentation, vous exposer les grandes lignes du travail issu du débat sur la transition énergétique. 225 mesures précises ont fait l'objet d'un consensus.

Nous avons à l'évidence bénéficié de l'acquis du Grenelle de l'environnement, qu'il convient de saluer : il y a eu l'apprentissage d'une démocratie délibérative, qui reste d'ailleurs encore balbutiante.

Nous avons besoin de cette méthode délibérative, qui permet de clarifier les choix et de faire émerger une vision sociale commune. Les syndicats de salariés et patronaux sont à des degrés différents de maturation sur la transition énergétique, qui est à un moment de basculement. Nous sommes en train de sortir d'une République d'ingénieurs, qui avait conçu le système énergétique français avec beaucoup de talent, pour entrer dans un monde plus compliqué, marqué par une révolution technologique. Celle-ci suscite parfois des peurs, notamment s'agissant de ses conséquences en termes de redistribution ou sur les métiers. Concernant la rénovation thermique, j'ai été étonnée de voir que l'obligation de travaux suscitait un rejet de la part des fédérations d'artisans ou de la Fédération française du bâtiment (FFB). Cela dit, on peut en comprendre les raisons : elles ont été déçues dans le passé, craignent que les nouveaux marchés soient monopolisés par de grands groupes capables de faire des offres intégrées – reléguant les autres au rôle de sous-traitant – et redoutent la concurrence internationale, avec des produits moins chers venant d'ailleurs, ainsi que la redistribution du travail au sein de la profession. La manière dont est constitué le débat délibératif dépend étroitement de la capacité de ces corps constitués à incarner le changement.

Concernant le prix de l'énergie, nous avons évidemment besoin d'avoir une industrie compétitive. À l'égard des concurrents européens, on peut remédier aux écarts existants, notamment au sujet des prix du gaz. Les énergo-intensifs ou électro-intensifs doivent faire l'objet d'un traitement particulier. J'ai vu d'ailleurs des associations écologistes qui étaient d'accord pour dire que l'industrie ne doit pas être pénalisée et doit pouvoir prévoir le prix de l'énergie. Quant à l'écart existant avec les États-Unis, il s'agit d'une autre question.

Le modèle allemand est intéressant, même s'il trouve ses limites : on ne peut établir un équilibre entre industriels, prix de l'énergie relativement bas – des prix très bas étant selon moi illusoires – et ménages pouvant supporter des prix supérieurs que si les ménages sont très économes dans l'usage de l'énergie.

En Californie, le prix du kilowhattheure est le plus élevé des États-Unis mais la facture électrique est la deuxième plus basse du pays, en raison de la grande efficacité énergétique des ménages. On pourrait aussi évoquer le modèle suédois, qui est assez proche.

Nous avons donc un compromis social nouveau à construire. Mais nous avons aussi de grands changements technologiques en perspective, comme la voiture à 2 litres aux cent kilomètres ou le véhicule électrique – dont on sait qu'il sera urbain et probablement partagé dans la plupart des cas. Il est donc normal qu'il y ait encore des incertitudes et, d'ici cinq ou dix ans, beaucoup de questions pourront être éclaircies, notamment s'agissant des transports.

Il est vrai que ce dernier sujet a été abordé avec difficulté : les acteurs du secteur étaient là mais n'ont pu apporter suffisamment de contributions à temps. Quand on a interrogé les constructeurs, on n'était pas informé des innovations de telle ou telle entreprise et ce n'est que grâce au groupe de contact des entreprises qu'on a pu les connaître. Il y a donc un décalage entre le débat tel qu'il est organisé et cette période de révolution technologique mais aussi organisationnelle, grâce aux technologies de l'information.

EDF voit, par exemple, ce que peuvent être les énergies réparties et comment offrir des services énergétiques et se faire rémunérer sur les économies d'énergie, à l'encontre de l'Union française de l'électricité (UFE), qui défend qu'il faut dépenser davantage d'électricité – ce que l'on peut comprendre. Par ailleurs, des entreprises comme Mercedes ou Renault ont une approche très différente de l'usage et de la consommation d'énergie.

Je ne suis pas convaincue que la croissance impose nécessairement un accroissement de la consommation d'énergie. Les exemples de la Californie, de l'Allemagne ou de la Suède le montrent. Il existe en effet un découplage possible entre la croissance et la consommation d'énergie. Notre histoire l'atteste : après le premier choc pétrolier, la France a continué à avoir une croissance économique forte et a enregistré un extraordinaire succès en matière d'économie d'énergie, grâce au progrès technique. D'autant qu'on peut gagner en rationalité en fonction des incitations économiques.

On ne peut avoir des scénarios ambitieux de sobriété énergétique, voire de réduction de 50 % de la consommation, que si l'on pense que ce découplage est possible. Celui-ci est au coeur de la révolution technologique. D'ailleurs, la Chine est obsédée par ce découplage et n'hésite pas parfois à recourir à des mesures brutales, comme fermer des usines en octobre pour tenir les objectifs du plan qu'elle s'est fixé pour l'année.

La planète n'est pas infinie : nous avons des capacités limitées d'absorption des gaz à effet de serre et des ressources halieutiques, minérales et forestières réduites. Mais le progrès technique rend ces limites complexes. D'autant que, selon les données publiées par les Nations Unies cet été, la population mondiale pourrait passer à 11 milliards d'habitants, plutôt que se stabiliser à 9 milliards, à horizon 2050.

Il est donc essentiel de réussir ce découplage, même si l'on peut discuter du rythme et des moyens pour y parvenir, sachant qu'il faut le faire de manière rationnelle et scientifique. Faute de quoi, nous nous lancerions dans une course effrénée dans l'accès au pétrole, au charbon, au gaz ou à l'uranium.

Parmi les mesures précises qui ont fait consensus, je citerais notamment le fait d'arriver à un taux de crédit identique à celui du crédit immobilier pour les travaux, le parcours de rénovation ou le guichet unique. Certaines, d'ailleurs, n'imposent pas de recourir à la loi.

Quant à la fiscalité écologique, elle est très difficile à mettre en place sans réforme fiscale d'ensemble. Tous les pays qui ont réussi à l'instaurer n'ont pu faire l'économie de celle-ci. Cela a été le cas en Suède, où la taxe carbone atteint 112 euros la tonne, sans mettre en cause la compétitivité de l'industrie. Nous devons examiner le système prévalant dans les autres pays européens et construire à cet égard une ligne cohérente.

Ce sera le cas dans le cadre du paquet européen de 2030, sachant que les politiques énergétiques sont différentes d'un pays à l'autre, ainsi que dans celui de la négociation internationale de 2015 en vue d'un grand accord sur le climat.

Quant à la Chine, elle a le même débat que nous sur le fait de savoir si l'on peut aller vers une économie moderne faiblement carbonée. Le gouvernement actuel pense que oui. Il faut construire avec ce pays un rapport à la fois de force et de coopération.

Le photovoltaïque est un véritable échec, car il y a eu une crise des industries de fabrication de panneaux solaires dans ce pays et en Europe, que ce soit en France, en Espagne ou en Allemagne. Mais de cet échec peut naître une coopération.

Sur la question de la contribution carbone, il faut manier la carotte et le bâton. D'une part, la Chine a terriblement peur de mesures de rétorsion commerciale. D'autre part, elle réfléchit aux impacts du changement climatique sur elle et, en tant que premier émetteur de gaz à effet de serre, est motivée pour avancer.

Malheureusement, nous avons agi a posteriori dans l'affaire de la taxe antidumping, pour arriver à une discussion qui pourra finalement être positive. On aurait pu traiter le problème en amont et réfléchir à l'avenir de la filière photovoltaïque de manière à éviter les erreurs du passé. J'en suis d'autant plus consciente que j'ai participé à la préparation des tarifs de rachat de l'électricité solaire, mais à l'époque, le secteur paraissait très petit et on n'a pas élaboré de politique industrielle en même temps que les mesures incitatives – ce qu'on ne peut plus se permettre aujourd'hui.

Si l'on développe les nouvelles phases d'industrie photovoltaïque, notamment des couches minces, il faut donc définir une politique industrielle en maniant, là encore, la carotte et le bâton vis-à-vis des compétiteurs.

J'espère que la presse couvrira nos débats de façon plus positive. Nous avons fait, je le répète, de nombreuses propositions concrètes, dont beaucoup sont d'ordre organisationnel ou tiennent au fait de donner de bonnes instructions à la Caisse des dépôts et consignations et de créer des associations entre petites et grandes entreprises pour que les parcours de rénovation existent. Cela dit, le débat doit encore mûrir et se poursuivre au sein du Parlement. Encore une fois, beaucoup de désaccords tiennent aux incertitudes que j'évoquais : il faut profiter du délai nous séparant de l'examen du projet de loi prévu pour approfondir la réflexion, en faisant venir des experts devant les commissions parlementaires et en commandant des études, notamment sur la question des transports ou du financement.

On sait notamment que l'on doit obtenir des taux de crédit pour les travaux de 2 à 3 % : nous avons plusieurs idées à cette fin, mais il faut aussi favoriser une synergie entre les banques privées, la Caisse des dépôts et la Banque européenne d'investissement (BEI). De même, il conviendra, dans le cadre du projet de loi, de favoriser la décentralisation et faciliter la vie des tiers financeurs – qui relèvent de l'habitude en Californie, plutôt que de l'expérimentation, comme chez nous.

Monsieur Gabriel Serville, je me ferai volontiers votre porte-parole pour protéger l'Amazonie et la forêt guyanaise. La gestion collective du bassin amazonien est une vraie question. Je pense que le gouvernement français peut avancer avec le Brésil dans ce domaine d'ici 2015 : cela ferait mauvais effet qu'on ne noue pas d'accord sur ce point. Je rappelle que la déforestation est à l'origine de 20 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales.

Enfin, certaines institutions françaises peuvent prendre en charge la suite du débat sur la transition énergétique, comme le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Il faut élaborer un scénario national où les parties prenantes convergent sur la vision à 2050. Il convient à cet égard de trancher certaines questions comme le découplage et faire le lien entre le débat national et le débat parlementaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion