Intervention de Jean-François Pilliard

Réunion du 11 septembre 2013 à 17h30
Commission des affaires sociales

Jean-François Pilliard, vice-président du Mouvement des entreprises de France, MEDEF :

Le projet de loi sur les retraites a pour objectif de garantir l'avenir et la justice de notre système de retraite. Les enjeux sont considérables : il s'agit d'assurer la soutenabilité des régimes de retraite par répartition, auxquels nous sommes tous très attachés, et de rétablir la confiance des salariés, plus particulièrement celle des jeunes générations.

Étant donné l'état des comptes publics, celui des entreprises, la démographie et le changement de paradigme économique, il est impossible de garantir la pérennité des régimes et de la protection sociale en général sans soutenir, dans le même temps, la compétitivité des entreprises et sans maîtriser le niveau des dépenses de protection sociale. Je rappelle que le taux de marge des entreprises françaises est revenu à son niveau des années 1950 : 28 % tous secteurs confondus, 25 % pour les industries manufacturières, soit dix points de moins que dans la plupart des pays européens. Avec de telles marges, il n'est plus possible d'investir. Le manque d'investissement provoque une hausse du chômage, avec les drames humains que cela entraîne. Les conséquences ne sont pas moins catastrophiques sur le plan économique : lorsque les recettes baissent, c'est l'ensemble des équilibres du financement de la protection sociale qui est menacé.

Dans ce contexte, seule une réforme structurelle des régimes de retraite, fondée sur une perspective d'allongement de la durée de l'activité à l'horizon 2020, permettrait d'atteindre les objectifs qui sont les nôtres, y compris pour les régimes complémentaires. Aussi notre organisation a-t-elle avancé, dès la fin du mois de juillet, dans le cadre de la concertation, vingt-quatre propositions concrètes.

La réforme qui nous est présentée se fonde sur une erreur de diagnostic. On nous parle du seul régime général et d'un déficit de 7 milliards d'euros. Or, au-delà du régime général, il faut envisager les régimes complémentaires – bien mal nommés, puisque la retraite complémentaire AGIRC représente à peu près 60 % du revenu d'un cadre retraité. De même, la réforme ignore les régimes applicables dans la fonction publique et les régimes spéciaux qui font l'objet, chaque année, d'une subvention d'équilibre de plus de 7 milliards.

Les hypothèses économiques qui ont été retenues correspondent à un des scénarios du Conseil d'orientation des retraites (COR) qui, pour la période 2011-2020, table sur un taux de croissance annuelle de 1,6 % et un taux de chômage de 7,8 %. Sur la période 2011-2014, la croissance a été nulle. Pour tenir cet objectif, il faudrait donc une croissance supérieure à 2 % sur la période 2014-2020. On ne peut s'empêcher d'émettre un doute sérieux sur une telle ambition dans la mesure où tous les économistes s'accordent à penser que, dans le meilleur cas, le taux de croissance s'établira autour de 1,5 %.

En définitive, ce n'est pas une réforme structurelle qui a été présentée, mais un agrégat de dispositions disparates se caractérisant par des augmentations de charges, pour les salariés et les entreprises, et par des droits nouveaux qui entraîneront des dépenses supplémentaires au détriment du rééquilibrage de nos régimes.

Nous considérons que l'augmentation des cotisations n'est pas la bonne solution pour assurer la pérennité des régimes de retraite à court terme. Depuis trente ans, on nous explique qu'une augmentation des cotisations de 0,1 ou 0,2 point est anecdotique. Mais l'anecdotique devient dramatique pour l'emploi en raison des charges qui pèsent sur les entreprises françaises. La France se distingue en effet des autres pays européens et de ceux de l'OCDE par le financement de sa protection sociale, assuré à 63 % par les cotisations patronales et salariales, mais aussi par le niveau élevé des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises. Je rappelle que la cotisation spécifique employeur représente 14,4 % du PIB, ce qui en fait un des plus hauts niveaux de dépense de protection sociale. Une fois de plus, notre pays se distingue par son exception : hélas, elle ne nous place pas en tête de la compétition internationale, mais a au contraire tendance à nous marginaliser. Chaque augmentation des cotisations sociales des entreprises de 0,1 point entraîne la destruction de 2 000 à 6 000 postes à court terme – à l'horizon 2015 – et de 6 000 à 12 000 emplois à long terme.

Certes, ces cotisations sont compensées, mais cela ne change rien à notre diagnostic, car, en définitive, cela contribue au déséquilibre global. Bien sûr, nous demandons cette compensation, mais nous y sommes obligés, puisque la mesure de départ est mauvaise.

On nous dit que l'objectif visé par le projet de loi est la justice et l'équité. Or nous considérons que le projet est loin du compte, en particulier s'agissant des jeunes générations vis-à-vis desquelles nous avons collectivement une responsabilité. Seul un allongement de la durée d'activité à un horizon rapproché permettrait d'atteindre cet objectif.

Est-il normal que le projet de loi n'envisage pas le rapprochement progressif des trente-six régimes existants ? Non seulement leur dispersion gonfle les frais de gestion – ces fonds seraient bien plus utiles pour maintenir, voire augmenter, le niveau des prestations pour les retraités –, mais elle fait apparaître des disparités, ce qui contredit le principe d'équité. Pour certains régimes spéciaux, on peut dire qu'il y a deux poids deux mesures, puisque, en dépit de conditions de travail parfois très proches de celles de nos entreprises, des départs anticipés sont financés par le contribuable.

Par ailleurs, comment un régime de retraite par répartition pourrait-il avoir pour vocation de corriger les inégalités de la vie professionnelle ? Certes, les parcours professionnels, notamment ceux des femmes, et la pénibilité sont des problématiques auxquelles nous attachons une grande importance, mais en quoi concernent-elles notre régime par répartition ?

Sur la pénibilité, notre position est claire. Contrairement à ce qui semblait se dessiner pendant la concertation, le dispositif proposé est un joyeux mélange entre, d'une part, la prévention et, d'autre part, la réparation. Paradoxalement, il amènera des salariés évoluant dans des environnements pénibles à s'orienter vers des solutions les gardant durablement dans la pénibilité au lieu de les en sortir.

Le financement du dispositif, tel qu'il est proposé, alourdira les charges des entreprises et, par conséquent, les graves difficultés en matière d'emploi.

Sans préjuger des améliorations qui seront apportées grâce au débat parlementaire et aux décrets d'application, la mise en oeuvre opérationnelle du dispositif sera d'une extrême complexité, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. Notre pays a une grande capacité à développer toutes sortes de systèmes dont la première caractéristique est d'être quasiment impossibles à mettre en oeuvre dans les entreprises.

En outre, peut-on considérer que le fait, pour des salariés, d'évoluer dans un environnement de travail donné les place dans des conditions identiques ? En fait, chaque salarié voit sa santé évoluer en fonction d'autres paramètres. Or il nous semble important de prendre en compte ce croisement entre l'approche collective et la dimension individuelle sous l'angle médical.

Dans quelles conditions le nouveau système se substituera-t-il au système actuel ? Des dispositifs de pénibilité ont été développés dans les entreprises, en particulier par le biais de primes parfois importantes. Il existe également des dispositifs de retraite anticipée pour carrière longue, amiante et invalidité, dont bénéficie chaque année environ un quart d'une classe d'âge. Est-il légitime de cumuler le nouveau dispositif avec tous ceux-ci ?

En matière de gestion paritaire des régimes de retraite complémentaires, on fait très fort ! Ces régimes, gérés par les partenaires sociaux, sont autonomes. Toutefois, on nous a toujours interdit d'agir sur les paramètres structurels de la retraite. Ainsi, lors de la dernière négociation sur les régimes complémentaires, les organisations syndicales et patronales ont accepté – pour sauver les régimes complémentaires – une moindre revalorisation des retraites pendant trois ans et de légères augmentations de cotisations. Nous avons consenti ces efforts en espérant que la réforme du régime général serait structurelle et nous apporterait une visibilité sur le long terme. Nous nous sommes probablement trompés : les réserves de l'AGIRC seront épuisées en 2018 ; celles de l'ARRCO en 2020 ou 2022. Or le projet de loi prévoit que l'État pourra nous demander de remettre les régimes complémentaires à l'équilibre ! Cela nous paraît irréaliste en termes d'efficacité et, surtout, contradictoire avec le principe d'autonomie qui caractérise la gestion paritaire.

Notre organisation est profondément attachée au régime par répartition et à la notion d'équité. Nous pensons avoir une responsabilité vis-à-vis des nouvelles générations. Malheureusement, le texte qui nous est proposé est très loin de répondre aux objectifs qui figuraient dans les attendus de la concertation à laquelle nous avons participé.

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