Un autre point qui mérite clarification, c'est la question de la pénibilité.
Aucune de nos organisations ne conteste qu'elle est d'importance et qu'elle doit trouver réponse majoritairement dans le champ de la prévention. Je souligne en passant que, concernant la sinistralité, les accidents du travail ont diminué de façon substantielle au cours des vingt dernières années. Nous pouvons tous nous en réjouir !
Quant aux positions que nous avons exprimées, qu'est-ce qui les justifie ? D'abord, il y a un ordre de priorité : quand un régime de retraite est aussi gravement malade, avant de dépenser de l'argent, il faut commencer par le remettre à l'équilibre ! Or, si la réforme proposée n'apporte aucune véritable réponse sur le court et le long terme, elle prévoit des dépenses supplémentaires – sur lesquelles une discussion eût été possible dans d'autres circonstances.
Ensuite, il faudrait arrêter d'accumuler les couches géologiques. Dans notre pays, nous passons notre temps – et vous y participez plus que largement ! – à empiler les textes, sans que soit jamais posée la question de la pertinence du nouveau dispositif. Ainsi, à une époque, on a introduit dans les entreprises des dispositifs de prime – ce qui, soit dit en passant, est probablement le meilleur moyen d'installer durablement une personne dans la pénibilité. Il nous paraît pertinent de chercher une autre solution, mais encore faudrait-il se poser la question des modalités de substitution du nouveau dispositif à l'ancien !
Même chose pour la réparation : il existe déjà un dispositif pour les carrières longues, qui s'adresse aux personnes entrées très jeunes dans la vie professionnelle ; en général, ces personnes ont des niveaux de qualification peu élevés et une proportion non négligeable d'entre elles travaillent dans des environnements dits de pénibilité. Puisque l'on met en place un nouveau système, posons-nous la question de l'opportunité de le faire cohabiter avec ce précédent dispositif.
Troisièmement, la complexité à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés dans le champ de la réglementation sociale nous amène – pour reprendre une formule facile – à faire du « Canada Dry » : nous nous donnons l'illusion que la législation sociale française protège les salariés, mais nous aboutissons à des résultats inversement proportionnels à la densité de cette législation, parce que les textes sont pour la moitié d'entre eux inapplicables ou, quand ils le sont, dépendent de l'interprétation des tribunaux, ce qui crée des zones d'insécurité préjudiciables à l'emploi. Travaillons donc sur la simplification – et c'est une conviction, non une posture !
Dernier point : nous considérons qu'il faut aussi tenir compte de la dimension individuelle du problème. Deux personnes peuvent exercer le même métier, si l'une fume depuis l'âge de quinze ans alors que l'autre n'a jamais touché à une cigarette, ou si l'une doit faire un trajet quotidien de deux heures tandis que l'autre habite à cinq minutes, ou encore si l'une souffre de pathologies familiales et l'autre non, au bout du compte on observera la conjonction de deux phénomènes : le fait qu'une personne aura travaillé dans un environnement pénible – ce que nous ne contestons pas –, et le fait que d'autres facteurs auront pesé sur cette situation. On ne peut s'en tenir aux aspects collectifs ; essayons de croiser les deux approches.
Si, ensemble, nous travaillons intelligemment sur ces différents points, nous saurons apporter des réponses en matière de financement. Comme certains d'entre vous l'ont noté, des négociations ont déjà été engagées, soit au niveau des entreprises, soit au niveau des branches, afin qu'une partie de la prime dite « de pénibilité » vienne alimenter des dispositifs d'épargne ; cela est également suggéré par le projet de loi. Nous ne sommes pas opposés au principe, mais à la façon dont le sujet est abordé dans le texte.