Intervention de Jean-François Pilliard

Réunion du 11 septembre 2013 à 17h30
Commission des affaires sociales

Jean-François Pilliard, vice-président du Mouvement des entreprises de France, MEDEF :

Ce qui peut vous apparaître comme un recul ou une position dogmatique est probablement lié à une forme d'exaspération par rapport à un discours en vigueur dans notre pays – et c'est malheureusement une fois de plus un cas unique en Europe – selon lequel tout travail serait pénible ; on l'entend jusqu'à des niveaux très élevés. Quand on présente comme une grande victoire le fait que 100 000 personnes par an – chiffre invérifiable faute d'étude d'impact – vont bénéficier chaque année d'un dispositif de pénibilité, je m'inquiète ! D'un côté, il y a des hommes et des femmes qui souffrent parce qu'ils ont perdu leur emploi ; de l'autre, des personnes qui travaillent, certaines étant placées dans des conditions difficiles : il faut garder une juste mesure ! Nous considérons pour notre part – sans nier les difficultés inhérentes à certains travaux – que le travail est la source du développement d'une société moderne et un facteur d'épanouissement individuel et collectif.

Nous sommes prêts à discuter ; mais il faut que vous ouvriez les bonnes portes, car, si l'on reste sur les propositions actuelles, le débat risque d'être difficile ! Une fois de plus, le Parlement votera une loi dont l'application ne sera que partielle, non parce que nous sommes des rebelles, mais parce que nous serons dans l'impossibilité de la mettre en oeuvre correctement.

J'en viens à l'égalité entre les hommes et les femmes. Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, nous considérons qu'un système de retraite par répartition n'a pas pour objet de réparer les inégalités de la vie professionnelle. Nous n'évacuons pas pour autant de notre champ de réflexion et d'action ce sujet fondamental à la fois pour la société française et pour l'efficacité des entreprises – dans une entreprise, la diversité, de quelque nature qu'elle soit, est un facteur d'innovation et de progrès. Mais, chaque fois qu'on est confronté un problème, c'est la même chose : premièrement, on produit une loi, deuxièmement, on lui adjoint une réglementation – la plus légère se traduisant par un texte de 250 pages –, troisièmement, on se désintéresse de la mise en oeuvre opérationnelle, tout en faisant de temps en temps un rappel à l'ordre et en agitant la menace d'une sanction et d'une pénalisation de l'employeur !

Au niveau de ma branche, qui représente 1,6 million de salariés, soit à peu près la moitié des effectifs de l'industrie française, nous avons signé un accord avec les organisations syndicales ; cela a permis de stopper les conversations de salon et de poser un diagnostic, avec l'aide d'experts, sur la question : dans ma branche, à emploi et formation équivalents, les écarts de rémunération se situent, dans la durée, dans des fourchettes de plus ou moins 5 % – ce qui est considéré par les experts comme non significatif. Le vrai problème, c'est le « plafond de verre » : comment se fait-il qu'un homme et une femme commençant dans le même emploi, avec le même niveau de formation, n'aient pas ensuite des parcours professionnels, non pas identiques – car l'entreprise n'est pas un lieu d'égalité, mais d'équité –, mais approchants ? Concrètement, cela a abouti à la mise en oeuvre de programmes de sensibilisation et d'actions rectificatives.

Nous sommes prêts à continuer à travailler sur le sujet, mais dans un esprit différent, en commençant par demander à ceux qui sont concernés comment ils conçoivent les choses avant de les enfermer dans des lois successives. La France est le pays d'Europe qui détient le plus grand nombre de lois sur l'égalité entre les hommes et les femmes, mais nos progrès en ce domaine sont inversement proportionnels au nombre de textes !

Avons-nous d'autres solutions à proposer ? Certains d'entre vous estiment qu'une hausse des cotisations est inéluctable ; mais c'est ce qu'on nous répète depuis trente ans, et c'est pourquoi nous atteignons de tels niveaux de charges ! Et que dire de la méthode ? La concertation dure depuis près de six mois ; elle a donné lieu à des travaux de qualité, comme ceux du Conseil d'orientation des retraites (COR) ou le rapport de Yannick Moreau – qui ouvrait des pistes intéressantes, même si nous n'étions pas d'accord sur tout –, ainsi qu'à de multiples réunions avec les cabinets et avec le Premier ministre. Des propositions, nous en avons fait, mais nous n'avons jamais obtenu de retour et aucune étude d'impact n'a été lancée.

Une solution aurait été de croiser une action sur la durée de cotisation et une action sur l'âge de départ à la retraite. Que l'on soit d'accord ou non, on gagnerait, vis-à-vis de nos concitoyens, à expliquer en quoi une augmentation de la durée de cotisation à partir de 2020 serait de nature à mieux répondre aux problèmes actuels que ce que nous proposions ; personne ici n'ignore qu'une action relativement vigoureuse, mais progressive sur l'âge de départ à la retraite apporte en termes financiers des résultats bien plus rapides qu'une action sur la durée de cotisation. Pourquoi ne pas avoir accepté d'en débattre ? Répondre « Circulez, y'a rien à voir ! » dès que l'on aborde la question de l'âge nous paraît pour le coup une position dogmatique à la fois inacceptable et préjudiciable. Comme je l'entendais dire ce matin, vu l'âge auquel les jeunes entrent sur le marché du travail, une augmentation régulière de la durée de cotisation sera bien plus inéquitable sur le long terme. Ce que nous demandons, c'est qu'il y ait un débat sur le sujet.

Quand nous évoquons les différences entre le public et le privé, il ne s'agit pas d'opposer les salariés ; tous, quel que soit le secteur auquel ils appartiennent, sont respectables. Ce que nous fustigeons, ce sont les différences entre les systèmes et le traitement collectif du problème – qui est d'ailleurs contraire à la loi républicaine, puisque la loi de 2010 prévoyait que, en 2013, serait engagée une réflexion entre le Gouvernement et les parties prenantes sur ce qui avait été appelé une « réforme systémique ». Ce débat a été complètement évacué ! Pourquoi la loi n'a-t-elle pas été appliquée ?

Nous ne sommes pas de ceux qui ont demandé l'alignement en 2014 du régime des fonctionnaires sur celui des salariés du privé. Nous avons simplement souhaité que soit lancé un travail collectif, méthodique et rigoureux, afin d'arrêter une feuille de route, fondée sur la considération suivante : à long terme, ne serait-il pas plus simple et plus sain de disposer d'un socle commun à l'ensemble des salariés, qu'ils soient du secteur privé ou du secteur public, avec quatre régimes complémentaires : un pour le secteur privé, un pour la fonction publique, un pour les professions libérales et un pour l'agriculture ? Suivre une telle démarche ne nécessiterait pas un effort démesuré !

En outre, l'argent aujourd'hui dépensé pour financer la gestion dispersée des régimes de retraite pourrait être utilisé avec profit, soit pour éviter les augmentations de cotisation, soit pour améliorer des régimes de pension. L'argent du contribuable et des entreprises doit d'abord servir à verser une retraite décente aux personnes affiliées à ces régimes : je pense qu'on ne peut être que d'accord sur ce point !

S'agissant de la capitalisation et de l'épargne retraite, soyons clairs : nos trois organisations sont profondément attachées au régime de répartition. Si nous étions des tenants de la capitalisation pure et dure, il y a bien longtemps que nous aurions renoncé à participer à la gestion des régimes complémentaires de retraite ! Si, malgré les difficultés rencontrées, nous ne l'avons pas fait, c'est que nous avons la conviction que le système par répartition est bénéfique. Mais, là encore, tout est question d'équilibre ; à nous de le trouver ensemble. Dans des pays qualifiés de sociaux-démocrates, il a été considéré qu'il était sain d'ajouter au socle de la répartition quelques éléments d'épargne retraite, un régime par répartition étant soumis à des aléas. Nous avons fait des propositions dans ce domaine : permettre aux entreprises d'adapter leur effort de financement des retraites supplémentaires à leur situation économique, laisser une latitude suffisante au dialogue social pour la détermination des collèges de salariés éligibles à un dispositif collectif, ouvrir aux entreprises, en particulier aux PME, la possibilité d'alimenter les dispositifs de retraite supplémentaire individuels. Là aussi, notre propos est raisonnable et équilibré ; il ne s'agit pas de substituer la capitalisation à la répartition, mais de prévoir, parce que c'est une saine gestion, une épargne complémentaire pour les salariés que nous représentons.

Nous avons aussi suggéré de lancer, comme l'ont fait d'autres pays, une réflexion collective pour étudier comment réorienter l'épargne – qui atteint en France un niveau très élevé, ce qui n'est pas un signe de confiance –, afin que, au lieu de dormir sans être employée efficacement pour l'économie française, elle puisse renforcer la capitalisation des petites et moyennes entreprises ou favoriser des projets de développement, au service de l'emploi. Là encore, nous n'avons pas eu le moindre retour.

Voilà autant d'éléments qui démontrent que les trois organisations patronales que nous représentons souhaitent profondément, comme vous, le développement de notre pays, le retour à un niveau d'emploi plus favorable et la mise en place d'un système équitable. Nous voulons construire, non détruire – et l'énergie avec laquelle nous déployons nos arguments est à la hauteur de nos convictions.

Une dernière remarque, pour terminer, sur les expressions relevées à la sortie d'une certaine réunion : je trouve plutôt heureux que les responsables politiques et économiques conservent un certain sens de l'humour ! Plus sérieusement, j'ai participé à cet entretien ; aucun des membres de notre délégation n'imaginait que la concertation qui avait été engagée six mois auparavant allait s'achever dans de tels délais et dans les conditions qui nous ont été annoncées. On nous avait pourtant promis un temps de réflexion entre le résultat de la concertation et la prise de décision ; sans vouloir faire de procès d'intention, permettez-moi de dire qu'il est un peu surprenant de voir dégringoler une avalanche de décisions alors que le processus de concertation vient à peine de s'achever !

D'autre part, il est vrai que les propos qui nous avaient été tenus en matière de coût du travail étaient plutôt encourageants. Toutefois, qu'il n'y ait pas de malentendu à ce sujet : nous souhaitons que ce dossier soit retravaillé et que l'on adopte un calendrier et une méthode. Si les résultats sont bons, nous les saluerons et nous les encouragerons ; mais cela ne gommera en rien les critiques que nous venons d'émettre sur la réforme des retraites.

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