Je ne dirai pas : « la rapporteuse »… (Sourires.)
Mesdames et messieurs les députés, les outre-mer nous regardent et nous écoutent. Au moment où il vous revient d'examiner le projet de loi de régulation économique dans les outre-mer, il y a dans ces territoires de la République une espérance qui ne veut pas être déçue : l'espérance de nous voir réussir là où tant d'autres avant nous n'ont pas pu – ou n'ont pas su – apporter les réponses à cette réalité douloureuse et à cette injustice flagrante qui frappent durement, depuis longtemps, nos compatriotes, et qu'une expression très explicite a fini par résumer en deux mots : la « vie chère ».
Mesdames et messieurs les députés, la longue marche vers l'égalité réelle que constitue l'histoire des outre-mer dans la République marque ce soir une étape importante, ici, dans cette Assemblée.
J'ai pu mesurer l'élan que cette espérance, ô combien précieuse en des temps où tant de citoyens désespèrent de la politique, peut donner à l'action publique, de Saint-Denis à Fort-de-France, de Mamoudzou à Pointe-à-Pitre en passant par Cayenne. J'ai pu aussi l'entendre s'exprimer avec force par la voix des élus de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Wallis-et-Futuna, de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Car partout dans ces territoires des outre-mer français, pourtant baignés d'océans différents et avec des histoires si diverses, il y a ce constat partagé d'écarts de prix considérables avec ceux pratiqués ici, dans l'Hexagone, pour des produits de grande consommation. Je rappelle les chiffres maintes fois entendus : les écarts de prix s'échelonnent de 22 % à 38,5 % selon les données INSEE de 2010 pour les seuls produits alimentaires, alors que le revenu médian outre-mer est inférieur de 38 %.
Si l'espérance de nos compatriotes est aujourd'hui si vive et si puissante, c'est parce que le texte soumis aujourd'hui à votre examen a cheminé depuis trois mois et qu'il a, au fil des jours, révélé quelque chose de suffisamment rare pour être souligné : une convergence sur la réalité des écarts de prix, mais surtout – et c'est plus inattendu –, un consensus sur la nécessité pour les pouvoirs publics, et en premier lieu pour l'État, d'agir sur les structures mêmes des économies outre-mer pour changer durablement les choses.
Nous avons choisi d'agir en instillant une belle dose de concurrence dans ces économies qui, pour des raisons historiques et – disons-le aussi – politiques, se sont plutôt structurées autour de monopoles ou d'oligopoles sinon de distribution, en tout cas d'importation.
Mesdames et messieurs les députés, nos compatriotes des outre-mer nous regardent et nous écoutent en se demandant si, enfin, nous sommes décidés à agir résolument contre ce qui pèse si lourd dans leur vie quotidienne déjà rendue si difficile par la dure crise économique que nous connaissons tous.
Cette urgence et cette impatience, le Président de la République les a comprises, lui qui s'était rendu plusieurs fois outre-mer ces deux dernières années. Il y a pris des engagements qu'il convient de rappeler à cette tribune : lutter contre les monopoles et les marges abusives, renforcer les instances de contrôle et les observatoires des prix et des revenus, lutter contre les exclusivités accordées aux agences de marques, créer des plateformes logistiques mutualisées pour la distribution alimentaire et artisanale, mettre en place un bouclier qualité-prix, encourager les circuits courts de distribution, favoriser la mise en marché des productions locales, et favoriser l'organisation des consommateurs. Le Premier ministre et le Gouvernement m'ont chargé de mettre en oeuvre ces engagements, qui se trouvent traduits dans le projet de loi sur la régulation économique dans les outre-mer qui constitue – je le rappelle – une première étape.
Je l'ai dit : ce texte a cheminé durant trois mois, pendant lesquels il a été mis entre les mains de l'ensemble des acteurs de la vie économique et sociale des outre-mer, mais aussi de l'ensemble des élus locaux. Nous avons écouté leurs objections, leurs observations et leurs propositions dans le cadre d'une concertation exemplaire de la méthode que souhaite employer le Gouvernement. Depuis sa mise en ligne dans les premiers jours du mois d'août, il a d'ailleurs été très significativement modifié. Ces modifications n'ont pas porté sur sa philosophie générale, car il s'agit de lutter contre la vie chère, non plus en s'attaquant simplement aux symptômes, comme cela a pu être le cas jusqu'ici, mais en ciblant les causes réelles, aujourd'hui bien identifiées, de la vie chère dans les outre-mer. Nous ne pouvions nous départir de cette philosophie générale car elle est fondatrice de notre action. Je crois, d'ailleurs, qu'elle a été comprise au regard des approbations reçues qui transcendent très largement les courants politiques et les différents groupes d'intérêt.
En revanche, ce texte a été enrichi et, dans une très large mesure, perfectionné. Comme j'aime à le dire, il est devenu le produit d'une intelligence collective en mouvement en laquelle je crois beaucoup. Le Parlement a effectué un travail absolument remarquable auquel je tiens à rendre très solennellement hommage. Le Sénat a contribué à rendre encore plus opérationnels les outils de régulation que nous avions imaginés. L'Assemblée nationale, sur d'autres points, a proposé d'apporter des améliorations particulièrement bienvenues pour l'efficacité de nos dispositifs. Je félicite pour le travail précieux qu'ils ont fourni, en sagesse, Mme la rapporteure Erika Bareigts et les administrateurs de la commission des affaires économiques. Je salue aussi Bernard Lesterlin, rapporteur pour avis de la commission des lois, ainsi que Jean-Claude Fruteau, président de votre toute nouvelle délégation aux outre-mer. Je ne doute pas que nos débats apporteront encore de nouvelles améliorations à l'ensemble.
Pour lutter contre la vie chère, ce projet de loi propose de créer de nouveaux outils de régulation mis à la disposition des pouvoirs publics. Ces outils vont des interventions sur les marchés de gros au contrôle de la chaîne logistique, en passant par la lutte contre les exclusivités abusives et la régulation de la grande distribution.
L'article 1er propose de réguler par décret les marchés de gros, c'est-à-dire les marchés entre entreprises qui ne concernent pas directement le consommateur final, mais qui le pénalisent. Le remarquable travail des députés en commission a permis de clarifier très significativement sa rédaction : le passage de la loi au règlement s'en trouve sécurisé.
L'article 2 interdit les accords exclusifs d'importation lorsque ceux-ci vont à l'encontre de l'intérêt des consommateurs. Je précise qu'il ne s'agit en aucune façon d'interdire l'activité des grossistes-importateurs, mais ceux-ci devront désormais démontrer qu'ils sont un circuit d'approvisionnement efficace et compétitif afin de continuer leur activité.
L'article 3 étend le pouvoir de saisine de l'Autorité de la concurrence par les régions d'outre-mer. Au titre de leur compétence de coordination économique, elles se voient attribuer un pouvoir général de saisine quel que soit le secteur, qui leur permettra d'être les porte-parole naturels de toutes les entreprises qui n'osent pas porter plainte elles-mêmes.
L'article 4 abaisse de 7,5 millions à 5 millions d'euros le seuil de contrôle des concentrations dans le commerce de détail en outre-mer, permettant ainsi d'inclure les opérations portant sur des surfaces moyennes supérieures à 600 m².
L'article 5, qui instaure la disposition « d'injonction structurelle », a fait débat, au Sénat puis au sein de votre Assemblée. Les discussions ont été fort utiles, car elles ont permis à chacun de se positionner clairement. Il y a incontestablement une divergence entre ceux qui veulent s'en tenir à l'article L. 752-26 du code de commerce, dont on sait pourtant qu'il s'est avéré jusqu'ici inopérant, et notre approche qui est différente. L'article L. 752-27 que nous voulons créer est en effet un dispositif résolument innovant qui doit, pour remplir sa mission dissuasive en matière de contrôle des rentes de monopole, présenter des garanties d'efficacité aussi solides que les garanties juridiques qui doivent nécessairement l'entourer. Beaucoup des amendements déposés sur cet article cherchent à nous faire revenir à un outil du passé qui ne fonctionne pas. Or à nos yeux, seule une injonction structurelle opérant, si nécessaire, comme échelon ultime de la grille de sanctions, peut permettre de combattre les comportements conduisant à des prix abusifs. Nous entendons donc garder le cap en ce domaine. Les conservateurs feront leur choix ; nous avons fait celui de l'audace et de la nouveauté.
L'article 6 bis a été inséré au Sénat par le biais d'un amendement du Gouvernement. Il prévoit les conditions de mise en oeuvre du bouclier qualité-prix, qui figurait – je le rappelle – parmi les engagements du chef de l'État contre la vie chère. Cette disposition nouvelle est le résultat de la maturation de la réflexion collective tout au long de la période de concertation. Elle est d'application immédiate, ce qui correspond à la demande sociale que j'ai pu mesurer en me rendant dans les outre-mer ces derniers mois. Elle correspond aussi à des propositions que j'ai pu entendre à plusieurs reprises de la part d'acteurs locaux de la distribution qui souhaitaient, eux aussi, démontrer leur bonne volonté à agir concrètement et rapidement en baissant les prix de certains produits de consommation courante.
Là encore, nous avons fait le choix d'innover pour rompre avec l'approche de 2009 qui conduisait à fixer de nombreux prix de détail produit par produit alors que nous visons une procédure plus souple et, nous le souhaitons, plus efficace qui permettra de peser sur les prix d'un grand nombre de produits – plus d'une centaine dans mon esprit. Très concrètement, dans chaque territoire, dès la promulgation de la loi, s'ouvriront avec les distributeurs des négociations sur un chariot-type composé de produits de consommation courante, alimentaires et non alimentaires, en incluant, lorsque c'est possible, des produits locaux. C'est le prix plafond global du panier qui sera négocié, permettant ainsi aux distributeurs de se faire concurrence entre eux sur les marques des produits composant le panier. Cette concurrence devra bénéficier très directement aux consommateurs.
Le Gouvernement n'oublie pas nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Mais la plupart des dispositions du texte relèvent de la compétence de ces territoires. Elles n'ont donc pas vocation à s'y appliquer. Il appartiendra aux autorités de ces deux territoires, si elles l'estiment opportun, de transposer celles des dispositions qu'elles jugent adaptées à leur situation locale.
Le Gouvernement, je l'ai dit et je le répète ici, les accompagnera dans cette démarche et a accueilli avec bienveillance des amendements relatifs à ces territoires.
Je tiens aussi à vous dire quelques mots de la seconde partie du projet de loi qui prévoit une mise à jour du cadre législatif des outre-mer par la voie de ratification d'ordonnances, d'habilitation pour des ordonnances nouvelles ou par la validation législative de loi de pays. Je commenterai, en particulier, l'article 8 qui supprime l'obligation – mais laisse la faculté – pour une collectivité d'outre-mer de prendre en charge au moins 20 % du financement des projets dont elle assure la maîtrise d'ouvrage.
Cette disposition dérogatoire existe déjà pour la Corse et il s'agit pour l'État de l'utiliser dans des cas très précis pour des investissements d'intérêt public majeur lorsque la collectivité concernée manque de ressources. Certaines situations le justifient, comme celle des communes de l'ouest guyanais qui ne parviennent pas à financer des infrastructures de traitement des déchets ce qui vaut à l'État d'être condamné par la justice européenne à payer de lourdes astreintes.
Nous avons là l'occasion de faire, tous ensemble, oeuvre utile au bénéfice des outre-mer. Et c'est bien le signal que nous devons adresser à nos compatriotes.
Également dans cette seconde partie, deux dispositions concernent la Nouvelle-Calédonie. Le nouvel article 9 bis a pour objectif de garantir l'effectivité des transferts de compétences en matière de droit civil en Nouvelle- Calédonie. Il habilite le Gouvernement à agir par ordonnance. Et l'article 11 sexies étend et adapte à la Nouvelle-Calédonie les dispositions de la loi du 6 juillet 1989, ce qui garantit les droits des locataires dans leur relation aux bailleurs.
Pour conclure mon intervention, je voudrais dire quelques mots sur le sens général du projet qui vous est soumis.
Au cours de mes déplacements de ces derniers mois, dans les cinq départements d'outre-mer, et à travers les débats publics auxquels j'ai participé pour expliquer notre démarche, quelques grandes lignes de fracture politique ou idéologique sont apparues entre soutiens et opposants au projet de loi. Et j'en commenterai plus particulièrement deux, car elles sont révélatrices des grands équilibres du texte : la question de l'économie administrée et celle de l'articulation de la loi et du contrat.
L'économie administrée tout d'abord. Défendant partout un texte où le mot concurrence apparaît presque à chaque article et répétant sans cesse que l'objectif du Gouvernement est d'éviter d'avoir à recourir à la réglementation des prix, j'ai évidemment été surpris de me voir accusé de vouloir imposer une économie administrée.
Malentendu ou amalgame, cette accusation révèle une confusion entre la régulation de l'économie et l'administration de l'économie.
Comme chacun le sait désormais, les marchés ne s'autorégulent pas naturellement. Certes, ils fonctionnent à partir de mécanismes bien connus comme la formation du prix par la rencontre de l'offre et de la demande, l'arrivée spontanée des concurrents sur les nouveaux marchés en développement ou l'allocation des capitaux vers les investissements rémunérateurs.
Mais tous ces beaux mécanismes ne produisent leurs effets que dans des marchés qui fonctionnent bien : pas de concurrence s'il n'y a pas de concurrents, pas d'entrée sur des marchés verrouillés, pas de prix efficaces si les producteurs peuvent jouir d'une rente de situation.
La théorie économique a bien décrit ces « défaillances de marché » et les juristes en ont tiré les conséquences en inventant le droit antitrust, c'est-à-dire l'intervention publique pour remettre d'aplomb des marchés où la concurrence se meurt. Et depuis plus d'un siècle, le droit de la concurrence nous montre que cette intervention publique n'est pas de l'économie administrée, mais la condition même de la survie de l'économie de marché.
Comme disent les juristes américains : La concurrence est une idée de droite, mais le droit de la concurrence est une idée de gauche. (Sourires.) La formule est, certes, un peu caricaturale, mais elle a un fond de vérité. (Murmures sur quelques bancs du groupe UMP.) La régulation de l'économie est bien au coeur du logiciel de la gauche qui préfère des marchés régulés qui fonctionnent à des marchés dérégulés qui ne fonctionnent pas. C'est une évidence.
Voilà en deux mots ce qui résume notre texte. Dans nos outre-mer, vous le savez tous, certains marchés ne fonctionnent pas bien et depuis longtemps, trop longtemps. Il est donc temps de s'atteler à cette tâche urgente : les remettre en ordre de marche et tel est le but des mesures que nous soumettons au débat et à votre agrément.
Combattre les exclusivités d'importation, ouvrir les marchés de gros, surveiller les marges des activités de fret ou de services portuaires, veiller à ce que la détention des infrastructures de stockage ne donne pas des avantages indus, tout cela n'est pas de l'économie administrée, c'est de la régulation intelligente et c'est ce que nous allons faire, parce que nos économies d'outre-mer, étroites, isolées et lointaines en ont besoin pour fonctionner mieux alors qu'abandonnées à elles-mêmes, elles n'ont jamais fonctionné correctement. Voilà pour l'économie administrée.
La loi et le contrat maintenant. C'est un air que j'entends sans cesse depuis trois mois : « surtout pas de loi, monsieur le ministre, vous obtiendrez bien plus par la négociation ». Voilà ce que me disent beaucoup d'opérateurs qui sont prêts à prendre immédiatement des engagements pour apaiser nos inquiétudes et contourner le Parlement. Eh bien, au risque de surprendre certains, je vous le dis : cet air me plaît beaucoup. Je suis ravi de ces propositions de négociation qui se multiplient et j'y répondrai très favorablement, une fois que la loi sera votée !
Oui au contrat ; oui à la négociation ; oui à la contribution des entreprises qui vont nous apporter leur connaissance des marchés. Oui à tout cela, mais une fois seulement que nous nous serons dotés des moyens de nous faire notre propre opinion, d'avoir les informations nécessaires à la transparence des prix et des coûts.
Car l'État ne doit pas négocier en position de faiblesse en étant incapable de surmonter des situations de blocage. S'il engage des négociations, il doit aussi être en capacité de leur trouver un point d'aboutissement.
Comme je l'ai répété, le Gouvernement a besoin de nouveaux outils d'intervention et c'est vous, mesdames et messieurs les députés, qui allez les lui donner.
Dès la promulgation de cette loi, un travail considérable nous attend et consistera pour commencer à prendre la forme d'un dialogue avec les opérateurs : marché par marché, territoire par territoire. Sans révéler de secret, je peux même vous dire, mesdames et messieurs les députés, que dans certains secteurs, le message est si bien passé que nous avons déjà eu des offres de service et obtenu des résultats !
Autour de ces deux axes de travail : un objectif de régulation clairement assumée et une volonté de concertation sans complaisance, vous l'avez tous compris, c'est une forme de retour de l'État que je vous annonce. Réarmer l'État pour mieux agir.
Les outre-mer qui nous regardent et qui nous écoutent ne demandent et n'attendent pas autre chose. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, du groupe GDR, sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)