Le projet de loi vise donc d'abord à réguler l'économie outremer de manière structurelle. Cette régulation revêt deux aspects.
Premièrement, il convient d'agir sur l'environnement concurrentiel qui conduit à la formation des prix. Ainsi, l'article 1er permettra à l'État de réglementer les marchés de gros par décret en Conseil d'État. Il conviendra donc de regarder si des dysfonctionnements affectent l'accès aux marchés, la loyauté des transactions, les marges des opérateurs et la gestion des facilités essentielles tout en tenant compte de la protection des consommateurs. Votre commission a souhaité préciser que la réglementation ne pourrait intervenir qu'après avis public de l'autorité de la concurrence, ce qui permettra aux avis de l'autorité de servir de guide et de grille de lecture pour l'ensemble des acteurs économiques.
De même, l'article 2 vise à interdire les exclusivités d'importation injustifiées au regard de l'intérêt des consommateurs. À ce titre, la commission des affaires économiques a souhaité compléter cette disposition afin de permettre à l'autorité de la concurrence de transmettre toute information aux juridictions judiciaires qui lui en feraient la demande tout en garantissant la confidentialité des documents relevant de la procédure de clémence. Cet ajout permettra de protéger les personnes contribuant à la détection des ententes secrètes.
Deuxièmement, il faut agir sur le fonctionnement actuel des marchés. Pour ce faire, le projet de loi permet de mieux encadrer les opérations de concentration. Ainsi, l'article 4 abaisse le seuil de notification des opérations de concentration à l'autorité de la concurrence de 7,5 à 5 millions d'euros. Par ailleurs, l'article 5 dote l'autorité de la concurrence d'un nouveau pouvoir d'injonction structurelle. Il s'agit de l'un des dispositifs majeurs de ce projet de loi. L'autorité de la concurrence pourra ainsi remettre en cause les situations acquises afin de protéger les intérêts des consommateurs.
Bien évidemment, l'objet n'est pas de systématiser les sanctions ni d'obliger les entreprises du secteur de détail à céder des actifs. Le mécanisme est fondé sur la négociation entre l'autorité de la concurrence et les opérateurs concernés, qui auront ainsi toute latitude pour proposer des solutions permettant de faire baisser les prix.
Ce projet de loi met donc en oeuvre une véritable transition économique outre-mer. Or, au-delà de cette vaste ambition, il s'agit d'accompagner ce processus par des mesures d'urgence répondant aux interrogations de nos concitoyens ultramarins.
Pour cette raison, la commission a souscrit à l'instauration par le Sénat d'un bouclier qualité-prix. Le nouvel article 6 bis crée donc, plutôt qu'un encadrement permanent des prix, le principe d'une négociation annuelle obligatoire entre l'État et les organisations professionnelles de commerce de détail afin de définir un prix global d'une liste de produits. Ce bouclier permettra ainsi de répondre aux angoisses de nos concitoyens dans l'attente des effets des réformes structurelles engagées par ce projet de loi sans perdre de vue pour autant la nécessité d'une adhésion des acteurs économiques au processus. Nous avons ainsi tenté de tirer les enseignements des erreurs passées mais également de nos succès, comme le montre la négociation entre le préfet et les organisations professionnelles après un avis de l'observatoire des prix et des revenus.
Créés par le législateur en 2000, ces OPR ne sont devenus effectifs qu'en 2007. Malgré leur manque de moyens, financiers et humains, les OPR ont su trouver leur place dans les territoires. Les premières études témoignent de leur utilité. J'ai proposé à la commission des affaires économiques de consacrer leur existence et leur mission. J'espère que cette évolution juridique sera bientôt complétée par un renforcement financier et humain. Monsieur le ministre, je compte sur votre engagement !
La qualité de ce projet de loi se mesure également à sa capacité à s'appuyer sur des organes existants. Votre commission n'a pas souhaité en rester là. En effet, la cherté de la vie outre-mer ne concerne pas uniquement les prix des produits de première nécessité ou certains produits de consommation courante, alimentaires pour la plupart, visés par le bouclier qualité-prix. Votre commission a ainsi invité le Gouvernement à analyser la structuration des prix des liaisons aériennes et à modifier le code monétaire et financier afin d'assurer davantage de transparence en matière de tarifs bancaires.
Mais ce projet de loi ne porte pas uniquement sur la régulation économique. Il vise également à étendre et adapter le droit applicable aux collectivités territoriales d'outre-mer. L'article 8 supprime ainsi l'obligation faite aux collectivités ultramarines de cofinancer les projets dont elles ont la maîtrise d'ouvrage. Alors que la situation financière de ces collectivités est fortement dégradée, cette évolution permettra aux territoires ultramarins de créer ou de moderniser des équipements publics dans de nombreux domaines tels que l'accès à l'eau potable, le traitement des déchets ou l'électrification des zones rurales. Cet article permettra à des Français des outre-mer d'avoir accès aux équipements publics essentiels qui existent depuis des décennies dans l'hexagone.
Par ailleurs, plusieurs articles habilitent le Gouvernement à procéder par ordonnances afin d'étendre le droit applicable outre-mer, notamment à Mayotte. Si l'objectif de sécuriser l'environnement juridique de nos territoires est compréhensible, notamment dans le cadre du processus de départementalisation et d'accès au statut de région ultrapériphérique de Mayotte, il est en revanche regrettable que les outre-mer soient si souvent perçus par les gouvernements comme des territoires où l'on peut agir par ordonnance, sans mériter un débat de la représentation nationale. Ce projet de loi procède à la ratification d'une trentaine d'ordonnances. La commission s'est prononcée en faveur de ces articles et je compte sur la vigilance de son président pour ne pas voir ces situations se reproduire. Enfin, le projet de loi procède à l'homologation de nombreuses peines prévues par la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. La commission des affaires économiques a adopté trois articles permettant de conforter le droit applicable en Nouvelle-Calédonie.
Chers collègues, ce texte est fondateur pour les outre-mer. Il est fondateur car il s'agit de la première étape d'une réflexion plus globale pour nos territoires. Elle s'articulera autour de plusieurs grands rendez-vous : la conférence économique et sociale des outre-mer délocalisée sur les territoires dans les prochaines semaines, la préservation dans le projet de loi de finances des dispositifs applicables à l'outre-mer, la refonte de l'octroi de mer en vue de l'échéance de 2014, la grande loi agricole ainsi que la loi attendue relative à la transition énergétique.
Au-delà, une analyse approfondie des modalités permettant de favoriser l'intégration économique régionale de nos territoires est incontournable. Celle-ci ne peut se faire sans le renforcement des filières de production locale, qui permettront de garantir à nos territoires une croissance de long terme et un recul du chômage, véritable tragédie humaine.
Pour conclure, je veux dire que je pense en ce moment à la jeunesse de nos territoires qui manifeste son désespoir au quotidien. Ces jeunes vivent dans l'espérance de devenir rapidement des citoyens pour lesquels l'avenir aura à nouveau du sens. Notre responsabilité par cette loi, et par toutes celles qui suivront, est de donner aux outre-mer ce cadre juridique adapté à leurs difficultés structurelles afin de les compenser, et de tendre vers un développement dynamique et harmonieux.
Les oppositions seront, sont déjà peut-être, grandes face à notre volonté de modifier en profondeur les situations acquises depuis trop longtemps. Nous ferons face de manière courageuse et responsable, car l'espérance est grande et légitime. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)