Intervention de Maud Olivier

Réunion du 17 septembre 2013 à 16h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaud Olivier :

Je vous présente aujourd'hui la conclusion d'un travail qui s'est déroulé sur une année et pour lequel j'ai souhaité dès le début qu'il s'inscrive dans le prolongement de celui accompli par Danielle Bousquet et Guy Geoffroy en 2010 et 2011, afin d'en être en quelque sorte la concrétisation, avec le dépôt et l'examen d'une proposition de loi globale comportant de nombreuses mesures répondant aux différents aspects du phénomène prostitutionnel.

Je vous donne quelques statistiques qui fixent le cadre dans lequel se situe notre débat. Si dans les années 1990, 20 % seulement des personnes prostituées étaient étrangères, cette proportion est aujourd'hui de 90 %, Le phénomène prostitutionnel est donc en très grande partie la conséquence de l'activité de réseaux de traite des êtres humains bien organisée, qui font venir les personnes prostituées sur notre territoire comme dans d'autres pays européens pour les exploiter.

Il faut s'ôter de la tête les merveilleux articles de presse et interviews présentant la prostituée de 23 ans riche et heureuse, car cette situation si elle existe concerne 0,02% des personnes prostituées.

Nous mettons en évidence, dans le rapport, les constats très défavorables qui sont dressés dans les pays qui ont règlementé l'exercice de la prostitution : l'exemple de l'Allemagne y figure, qui compte aujourd'hui 3 500 maisons closes. On y constate que la gestion de ces établissements est devenue un « business » comme un autre, que l'excès de l'offre génère une concurrence entre les établissements et une surenchère de « sensations inédites » auprès du client et, en fin de compte, des conditions de travail et des conditions sanitaires dégradées pour les personnes prostituées. En outre, la prostitution de mineurs y a explosé.

La loi française actuelle protège les mineurs en prévoyant que le recours à la prostitution sur un mineur ou une personne vulnérable est sanctionné de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, ce qui représente un message très clair, Nous devons aller au-delà en énonçant aussi clairement que tout achat d'acte sexuel même sur une personne majeure est un acte répréhensible à pénaliser.

Notre rapport d'information comporte quatre axes : mieux lutter contre les réseaux de traite et de proxénétisme, accompagner globalement les personnes prostituées, notamment en les aidant à sortir de la prostitution, renforcer l'éducation à la sexualité et la prévention, et, enfin, responsabiliser les clients et pénaliser l'achat d'actes sexuels. Il est suivi de quarante recommandations pour des actions dans ces différents domaines.

Le premier axe est le renforcement de la lutte contre la traite et le proxénétisme. L'exploitation sexuelle, sur le territoire français, des personnes victimes des réseaux de traite, s'exerce de plus en plus à la faveur d'Internet. L'action des services de police et de gendarmerie contre le proxénétisme peut évidemment se prolonger sur Internet, avec l'identification des sites offrant des services sexuels et de leur lieu d'hébergement et la poursuite de leurs responsables. Cependant les services se heurtent vite à des difficultés lorsque les sites sont hébergés à l'étranger, dans des pays où le proxénétisme n'est pas interdit.

Or nous devons faire respecter notre droit, et pour cela nous doter des outils appropriés pour intervenir à l'encontre de ces sites, c'est-à-dire en pratique obtenir des fournisseurs d'accès Internet le blocage de l'accès du public aux sites qui portent à la connaissance du public des activités prostitutionnelles organisées par un proxénète ou rendues possible par un réseau de traite. De telles dispositions existent déjà pour les sites illégaux de jeux en ligne et pour les sites diffusant des images pédopornographiques.

Il conviendrait ensuite de renforcer l'action diplomatique de notre pays en matière de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, en obtenant des pays d'origine des victimes et des auteurs de traite la signature d'accords d'entraide bilatérale et l'application de ces accords quand ils existent. Au plan de l'Union européenne, la coopération en matière de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains devrait être prévue dans le cadre de tous les accords de partenariat conclus avec des pays tiers.

J'aborderai ensuite l'axe de notre travail relatif à la politique préventive, car notre ambition est de changer les représentations tant chez les adultes que chez les jeunes, et, à terme, changer les comportements.

Nous estimons nécessaire de mener une campagne nationale d'information et de sensibilisation sur la violence inhérente à la prostitution et au proxénétisme, et leur lien avec la traite des êtres humains. C'est pourquoi nous proposons qu'un délai de six mois soit laissé entre la promulgation de la loi pénalisant le recours à la prostitution et l'entrée en vigueur, pour des actions de pédagogie. C'est ainsi que des temps d'information sur les chaînes et radios publiques pourraient être prévus après la promulgation de la loi pour informer les citoyens sur les réalités de la prostitution et déconstruire les idées reçues.

L'autre forme de prévention à instaurer est celle à destination des jeunes. Notre connaissance de l'ampleur de la prostitution impliquant des mineurs est très faible : il y a donc lieu de conduire une enquête sur ce phénomène comme sur l'efficacité des dispositifs de prise en charge de ces mineurs.

Je veux citer une enquête conduite à ma demande en avril 2013 par le Conseil général de l'Essonne, visant à mesurer l'ampleur du phénomène prostitutionnel dans les deux universités de ce département. Un questionnaire a été envoyé aux étudiants inscrits dans les universités d'Évry et de Paris XI (Orsay). Le nombre de réponses exploitables (843) correspondait à 2,5 % de l'effectif des deux universités. Il est ressorti de cette enquête que 2,7 % des répondants déclarent avoir déjà eu un rapport sexuel contre argent, biens ou services. La quasi-totalité des personnes déclarant avoir recours à des pratiques prostitutionnelles rencontrent des difficultés financières, le plus souvent chroniques.

L'éducation à la sexualité obligatoirement dispensée dans les établissements scolaires, qui fait d'ailleurs l'objet d'une mise en oeuvre inégale, doit inclure au niveau du lycée un volet de mise en garde et d'explication sur la prostitution et les conduites qui peuvent y être apparentées, et de même sur la notion de proxénétisme. Ainsi qu'en ont témoigné les inspecteurs de l'Inspection générale des affaires sociales, entendus par la Délégation, le comportement de certains jeunes, conduisant leurs amies à avoir des relations sexuelles tarifées en échange d'argent ou de cadeaux, s'apparente à un début de proxénétisme, même si ces faits ne sont qu'occasionnels. Il y a donc lieu d'être très vigilant sur les représentations qu'ont les jeunes de la prostitution. La prévention des relations sexuelles tarifées est donc une dimension indispensable de l'éducation apportée en milieu scolaire.

J'attire votre attention sur le fait que sur 40 recommandations, 25 touchent à l'accompagnement global que nous voulons mettre en place pour aider les personnes prostituées à se réinsérer dans une vie normale.

Lors de nos déplacements en région, nous avons constaté, comme l'IGAS l'a fait aussi d'ailleurs, un défaut de coordination entre les services de l'État pour les actions de lutte contre le proxénétisme et la traite et l'aide aux personnes prostituées. C'est pourquoi nous préconisons la mise en place d'une sous-commission chargée de la lutte contre la prostitution au niveau départemental, au sein du comité de prévention de la délinquance ou de la commission de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette sous-commission suivrait la mise en place de parcours de sortie pour les personnes prostituées désireuses de sortir de la prostitution.

Pour ces personnes, nous proposons un parcours social de sortie de la prostitution, dans le cadre d'un contrat entre la personne prostituée, l'association habilitée à l'accueillir dans ce parcours et le représentant du préfet. La sous-commission que je viens de mentionner aurait un rôle important dans l'ouverture des différentes aides qui seraient attribuées à la personne bénéficiaire.

Dans le cadre de cet accompagnement global que nous proposons, seraient prévus, selon les besoins, l'attribution d'un titre de séjour, l'attribution de l'allocation temporaire d'attente, l'accès à la formation, l'accès à un hébergement d'urgence ou au logement social en tant que public prioritaire. Pour que cet accompagnement soit mis en oeuvre suffisamment longtemps, il faut stabiliser les crédits alloués aux associations afin de leur permettre de bâtir ces parcours de sortie et renforcer leur présence et leur intervention. Cette intervention en direction des personnes prostituées devra se faire de plus en plus à la suite d'une entrée en contact via Internet, où les sites d'annonces se sont multipliés comme point de contact entre la personne prostituée et le client.

J'en viens à la responsabilisation des clients, qui nous paraît être la suite logique des législations que nous avons déjà adoptées au cours des dernières années, comme celle relative au harcèlement sexuel par exemple.

La prostitution contrevient au principe d'égalité entre les sexes, car les clients sont à 99 % des hommes. Elle heurte les principes fondamentaux de notre société, comme la non patrimonialité du corps humain qui fait obstacle à ce que le corps humain soit considéré comme une source de profit. En outre, les agressions sexuelles, physiques et psychologiques qui accompagnent souvent la prostitution, et la répétition fréquente d'actes sexuels non désirés, portent atteinte à l'intégrité du corps des personnes prostituées.

Notre dispositif admet donc la pénalisation, dans le sens d'une pédagogie : ce n'est pas respecter les droits de l'être humain que d'acheter un acte sexuel.

L'achat d'acte sexuel serait puni d'une contravention de 5ème classe. Cette condamnation pourra être accompagnée d'une peine complémentaire consistant en un stage de sensibilisation aux conditions d'exercice de la prostitution, sur le modèle des stages de sensibilisation à la sécurité routière ou aux dangers de l'usage des produits stupéfiants. S'il y a récidive, la contravention deviendrait un délit puni au maximum de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.

J'insiste sur le fait que notre objectif n'est pas de mettre les gens en prison, mais de faire avancer la prise de conscience qu'acheter un acte sexuel n'est pas respectueux des droits humain et de la dignité de la personne humaine. Les clients ne mesurent pas à quel point la vie des personnes prostituées est difficile et côtoie bien souvent la violence, et il est souhaitable qu'ils commencent à en prendre conscience.

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