Intervention de Jean-Marc Germain

Réunion du 17 septembre 2013 à 21h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Germain, président-rapporteur de la mission d'informatio :

Je tiens à souligner, à mon tour, le caractère innovant de notre démarche. Cette nouvelle forme d'évaluation mériterait, je crois, d'être renouvelée, car il est très instructif d'évaluer la mise en place d'un dispositif car cela permet, en effet, le cas échéant, de proposer des modifications et de « corriger le tir ». La mission a mené ses travaux durant l'été, a entendu l'ensemble des acteurs du dispositif – les acteurs administratifs, les opérateurs du service public de l'emploi, les grands comptes, les représentants des grands secteurs d'activité qui accueillent des emplois d'avenir, les principaux opérateurs de la formation –, et a effectué cinq déplacements sur l'ensemble du territoire métropolitain dans des territoires ruraux et urbains : dans la Somme, dans les Côtes-d'Armor, en Haute-Garonne, dans le Rhône, et enfin, dans les Hauts-de-Seine.

De ses travaux, la mission a tiré plusieurs enseignements et recommandations, que le rapport qui vous est aujourd'hui soumis s'attache à détailler.

Un constat, tout d'abord : le dispositif des emplois d'avenir est aujourd'hui entré, après un retard à l'allumage, dans un rythme de croisière soutenu, et ce grâce à une forte mobilisation de l'ensemble des acteurs.

S'il a fallu de l'ordre de six mois pour que le dispositif « décolle », cela s'explique par le nombre important de textes, conventions et accords qu'il a fallu adopter pour permettre sa mise en oeuvre concrète. Une comparaison effectuée avec la mise en place rapide du dispositif des emplois-jeunes montre cependant que les emplois d'avenir ont connu un rythme de montée en charge comparable, grâce notamment à la « pression amicale » du ministre du travail qui a su mobiliser ses services.

Qualitativement, la cible est atteinte puisque 87 % des jeunes sont de niveau inférieur au baccalauréat. Quantitativement, la barre des 100 000 emplois d'avenir en 2013 est haute, mais franchissable, à condition de généraliser sans délai les bonnes pratiques des territoires les plus en avance, tout en conservant la priorité en faveur des jeunes les plus éloignés du marché du travail. En effet, 51 719 emplois d'avenir ont été conclus au début du mois de septembre 2013, soit 55 % de l'objectif annuel. En tenant compte des emplois d'avenir professeur, ce sont 55 000 emplois d'avenir qui ont été conclus début septembre 2013. Si l'on poursuit ce rythme, l'objectif pourra être atteint.

En effet, si la montée en charge se poursuit sur le rythme de la meilleure semaine, 104 000 emplois d'avenir auront été prescrits en fin d'année ; si elle se poursuit sur le rythme du meilleur mois – le mois de juillet – 96 000 contrats auront été prescrits et si le rythme est celui de la moyenne des trois derniers mois, on dénombrera 90 000 contrats au total à la fin de l'année.

Deuxième constat de la mission : le dispositif a reçu un écho largement positif sur le terrain en raison de ses spécificités ; la durée du contrat – puisque près de 60 % sont aujourd'hui des contrats à durée indéterminée (CDI) ou des contrats à durée déterminée (CDD) de trois ans –, un temps plein, qui concerne aujourd'hui 91 % des bénéficiaires d'un emploi d'avenir, et une formation qualifiante. Les jeunes rencontrés par la mission avaient véritablement le sentiment d'être considérés comme des salariés comme les autres et d'avoir de réelles opportunités de formation et d'insertion professionnelle. À titre d'exemple, un jeune rencontré à Gennevilliers, qui n'avait pas obtenu son baccalauréat professionnel en comptabilité, a été recruté par une association pour s'occuper de la gestion de stocks et de comptabilité. Il compte obtenir son baccalauréat professionnel par validation des acquis de l'expérience. La qualité des formations proposées aux jeunes en 2014 est donc primordiale pour la réussite du dispositif.

Troisième constat : la mission a constaté un déploiement très inégal du dispositif sur le territoire, la région la plus avancée – Midi-Pyrénées – ayant déjà atteint 80 % de son objectif alors que d'autres régions n'ont atteint que 40 % de leur objectif.

Ces différences marquées ont des origines multiples. Une tendance se dégage toutefois : le déploiement du dispositif a été plus rapide en zone rurale qu'en zone urbaine. Ainsi, les dix départements qui ont les meilleurs résultats sont des départements ruraux : il s'agit de la Creuse, du Lot-et-Garonne, de la Nièvre, du Tarn, du Gers, du Lot, de l'Aveyron, des Côtes-d'Armor, de la Haute-Loire et du Cantal. La mobilisation des associations et des collectivités territoriales – principaux employeurs concernés – par les services de l'État se fait indéniablement plus rapidement en zone rurale qu'urbaine.

Les missions locales ont pu tisser, dans les territoires ruraux, des relations de proximité avec les entreprises. C'est le cas, par exemple, de la mission locale de Saint-Brieuc, dont les conseillers ont chacun en charge un secteur géographique et connaissent l'ensemble des employeurs de ce secteur. La mission a beaucoup discuté du choix des missions locales comme uniques prescripteurs des emplois d'avenir. Si ce choix est indéniablement le bon, on ne peut que constater que le réseau doit impérativement être restructuré pour gagner en efficacité, et cela est particulièrement le cas en Île-de-France. Il faut en tout cas faire avancer le service public de l'emploi, notamment dans les zones urbaines sensibles (ZUS).

Le deuxième élément d'explication de ces différences très fortes, sans doute un peu tautologique, est que les zones urbaines sensibles sont précisément celles qui comptent le plus de chômeurs et, notamment, de jeunes chômeurs, 29 % de ceux-ci étant en Île-de-France. Un débat a eu lieu sur la Seine-Saint-Denis où l'objectif de 2 800 emplois d'avenir est le double de celui des Hauts-de-Seine, pourtant département de taille équivalente, où il n'est que de 1 400. La barre à atteindre est deux fois plus élevée alors même que le nombre d'offres d'emplois y est plus faible, le résultat est donc logiquement inférieur à l'objectif.

La proportion de jeunes issus des ZUS, de 15,7 %, n'est pas dramatique, mais elle est inférieure à l'objectif poursuivi, fixé à 20 %. Le rapport fait donc un certain nombre de propositions pour progresser vers cet objectif en considérant en particulier le retard des grandes régions urbaines sur l'objectif national : la première est d'utiliser les grands comptes pour affirmer une action positive, et donc fixer des objectifs pour la SNCF, la RATP, La Poste, l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) ou les hôpitaux, en province, pour avancer sur les recrutements en ZUS.

La deuxième proposition se fonde sur la constatation de pratiques très inégales au regard du diplôme. Une dérogation avait été votée, destinée aux bacheliers résidant en ZUS pour leur permettre d'accéder aux emplois d'avenir ; or, le recours à cette possibilité est très inégal, certaines régions étant très en avance. Il est donc préconisé d'homogénéiser les pratiques vers le haut, la seule règle devant s'appliquer étant l'adaptation du diplôme à l'emploi proposé. C'est en effet un paradoxe, dans le secteur de l'économie sociale et solidaire par exemple, que des emplois qui nécessiteraient un niveau baccalauréat ne trouvent pas preneurs parce que les textes sont appliqués de façon trop restrictive. Il serait ainsi possible de répondre aux besoins des bacheliers des zones urbaines sensibles comme de ces associations, généralement au service des personnes.

La troisième proposition part de la constatation du taux plus faible d'embauches dans le secteur privé en ZUS et suggère une majoration de l'aide financière. L'effort ne sera pas important, cinq régions sur les vingt-deux de la France métropolitaine pratiquent déjà un abondement financier qui se révèle très efficace pour infléchir les comportements. En Île-de-France, l'aide à la formation est conditionnée à l'embauche en CDI. Les résultats sont intéressants, car au-delà des quelques centaines d'euros supplémentaires annuels, les employeurs rencontrés se posent la question même du recrutement en CDI. Pour une association, l'avenir est en effet relativement simple : soit elle a pérennisé sa solvabilité et donc son activité, soit elle ne l'a pas fait et licencie. Le CDI est donc mieux adapté, pour le jeune comme pour l'association, en procurant davantage de stabilité.

Dernier point, nous avons beaucoup débattu sur ce que j'ai appelé les « effets de trottoir » dans le rapport. L'expression a du sens quand il s'agit de vrai trottoir : chacun d'entre nous a connu le cas de celui qui, habitant de l'autre côté de la rue, trouve injuste de n'être pas éligible à un dispositif. Nous recevons tous, dans nos permanences, des gens qui entrent manifestement dans l'esprit du dispositif prévu par le législateur et qui en sont néanmoins exclus, nous conduisant à contacter le préfet pour tenter d'y remédier. Le débat a donc été soutenu entre nous, mais il me semble qu'avec ce type de mesures pour l'emploi, sans renoncer au public qui correspond en priorité à l'objectif, les sans diplômes et donc les non-bacheliers, il convient, en faisant confiance aux acteurs locaux, de prévoir une enveloppe, d'un maximum de 5 % – 5 000 contrats sur 100 000 ou 5 personnes sur les 100 contrats prévus pour une mission locale –, qui permettra de régler les cas n'entrant pas dans les cases administratives initialement prévues, tout en étant conformes à l'objectif poursuivi par le législateur. C'est, par exemple, le cas qui nous a été exposé d'une personne diplômée de l'enseignement supérieur, devenue handicapée, ayant perdu son emploi initial pour cette raison, mais exclue du dispositif des emplois d'avenir à raison de son niveau de qualification. Le préfet devrait pouvoir lui autoriser l'accès au dispositif des emplois d'avenir. Un contingentement, avec une enveloppe prévue à cet effet, devrait permettre d'éviter cette injustice en apportant des solutions à des situations ponctuelles, sans risque de dérives vers des publics qui n'en auraient pas besoin.

C'est dans cet état d'esprit que s'inscrivent l'ensemble de nos propositions, il ne s'agit pas de gouverner à la place du Gouvernement, mais de relever les « points de vigilance », selon l'expression même du ministre de l'emploi et de proposer un certain nombre de solutions permettant d'améliorer le dispositif.

Pour résumer, afin d'atteindre l'objectif quantitatif, il convient d'utiliser les souplesses offertes par la loi en se fondant sur les bonnes pratiques constatées, en particulier pour les jeunes diplômés résidant en ZUS lorsque les emplois sont adaptés à leur profil.

La mission a également eu un débat approfondi sur la répartition des emplois d'avenir entre les secteurs public et privé. Le dispositif s'est largement ouvert au privé puisque le nombre d'emplois d'avenir de ce secteur est passé des 5 % initiaux à 15 ou 20 % ces derniers mois, voire, pour certaines régions, à 30 %. Il a parfois été suggéré aux préfets d'orienter ces créations d'emplois sur certains secteurs, comme le tourisme, mais il ne semble pas que ce soit très pertinent. Il est préférable d'accepter une palette large de secteurs, mais il convient d'être vigilant sur les effets d'aubaine. Sans citer de cas précis, nous avons rencontré des employeurs qui nous ont dit qu'ils allaient de toute façon embaucher mais que la mission locale leur avait signalé ce dispositif, auquel ils s'étaient naturellement ralliés, afin de bénéficier de l'aide afférente. Or, ce n'est évidemment pas l'objectif que le législateur avait défini. Nous nous sommes interrogés sur l'introduction de nouveaux critères d'attribution, ce qui ne me semble pas adapté. En conclusion sur ce point, le niveau atteint dans le secteur privé devient satisfaisant, mais il faut élargir les domaines concernés et éviter les effets d'aubaine.

Le rapport met l'accent sur les zones urbaines sensibles, avec des propositions à court et long terme, des réflexions sur le service public de l'emploi, et insiste sur la priorité de la formation, quand la montée en charge et les objectifs du dispositif seront réalisés, afin d'en préparer la sortie.

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