Intervention de François André

Réunion du 18 septembre 2013 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois André, rapporteur :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, mes chers collègues,

La présentation de ce rapport d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits de la Défense pour les exercices 2011 et 2012 constitue une grande première pour moi, puisque j'assure pour la première fois les fonctions de rapporteur, et je souhaitais, en préambule, remercier mon collègue Philippe Vitel pour la bienveillance qu'il a manifesté envers moi tout au long de nos travaux, qui se sont toujours déroulés en bonne intelligence. Je tiens également à remercier nos collègues les plus actifs dans les travaux de notre mission, comme MM. Bridey et Lamblin.

Ce rapport s'inscrit dans la continuité du contrôle régulier que notre commission exerce depuis une dizaine d'années sur l'exécution et le bon emploi des crédits du budget de la Défense. Il intervient toutefois cette année dans un contexte particulier, suite à la publication, le 29 avril, d'un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et à la présentation, lors du Conseil des ministres du 2 août 2013, du projet de loi relatif à la programmation militaire destiné à mettre en oeuvre les orientations de la politique de défense française pour les années 2014 à 2019, que nous examinerons bientôt.

Ces circonstances nous ont paru justifier un programme plus dense et ambitieux que lors des précédentes missions d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits de la Défense, tant il nous a semblé que le vote de la prochaine LPM ne pourrait s'effectuer dans les meilleures conditions qu'une fois analysées les conditions d'exécution de la loi de programmation en cours. Outre une traditionnelle réunion au ministère de la Défense - regroupant, autour du conseiller spécial du ministre de la Défense, près de 45 personnes, dont le conseiller budgétaire du ministre, le directeur des affaires financières, le directeur des ressources humaines et les responsables de tous les services intéressés -, nous avons également organisé une table ronde réunissant le chef d'état-major des armées, le délégué général pour l'armement ainsi que le secrétaire général pour l'administration et procédé à l'audition de plus de 27 personnes, dont les trois chefs d'état-major des armées.

Notre rapport ne se borne donc pas au contrôle de l'exécution des crédits de la Défense 2011 et 2012, auquel nous nous livrons néanmoins de façon détaillée, mais dresse également un bilan financier synthétique de la dernière LPM, qui nous a permis d'analyser les raisons de l'écart grandissant, à partir de 2011, entre les réalisations et les prévisions de la LPM et de mettre en lumière plusieurs points d'attention. C'est ce premier aspect de nos travaux que je vais, dans un premier temps, vous présenter à grands traits.

Nous avons également souhaité ne pas limiter nos travaux à un bilan purement rétrospectif, mais réfléchir également à des pistes de progrès pour les années à venir, en explorant six thèmes plus spécifiques, qui dépassent l'examen de la seule exécution des crédits et visent à tendre vers une prochaine LPM sincère et soutenable. Ces thématiques, qui seront développées dans un instant par mon collègue Philippe Vitel, concernent le niveau optimal du coût de la mise en oeuvre de la dissuasion ; les dépenses de personnel en hausse en dépit de la poursuite de la baisse des effectifs ; le bilan de la gestion financière des bases de défense ; l'optimisation des règles d'attribution des marchés de maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels des armées ; le recours à des recettes exceptionnelles extrabudgétaires et, enfin, les modalités de financement du surcoût des opérations extérieures (OPEX). Il est à noter d'ailleurs que trois de ces thèmes (dépenses de personnel, organisation des soutiens en bases de défense, MCO), arrêtés dès le début des travaux de notre mission d'information, en automne 2012, ont été jugés « prioritaires » dans le rapport annexé au projet de LPM pour les années 2014 à 2019.

S'agissant du bilan de la LPM 2009-2014, nous rappelons que les lois de programmation militaire sont une nécessité, dans la mesure où le financement de la défense implique de la visibilité et de la continuité, mais que des écarts significatifs entre celles-ci et leur exécution se sont régulièrement produits dans le passé, quelles que soient les majorités politiques. Cela doit, je le crois, nous inciter à éviter toute polémique en la matière.

Relevant plus d'un engagement politique que d'une obligation juridique, tributaires des dispositions adoptées en lois de finances initiales ou rectificatives et des mesures de régulation budgétaire prises en cours d'années, les lois de programmation militaire sont régulièrement en partie inexécutées, à de rares exceptions près, comme l'illustre un graphique très intéressant fourni par la direction du Budget que nous publions dans notre rapport.

De façon générale, nous avons constaté que si la loi de programmation militaire 2009-2014 a été globalement respectée les deux premières années de son exécution, en 2009 et 2010, l'écart s'est sensiblement creusé à partir de 2011, puis prolongé et accentué en 2012. Lors de son audition devant notre commission en date du 23 avril 2012, le chef d'état-major des armées, l'amiral Édouard Guillaud avait déjà indiqué « sur la période 2009-2011, l'exécution a été globalement conforme à la LPM » mais que « l'année 2012 constitue véritablement une rupture liée au décrochage des crédits affectés au ministère ». Ce constat est corroboré par le rapport public thématique de juillet 2012 de la Cour des comptes relatif au bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire.

Selon les chiffres les plus récents qui nous ont été communiqués par la direction du Budget, l'écart total, à la fin de l'année 2012, entre l'exécution et la programmation était de 2,9 milliards d'euros (-2,3 %), soit 125,8 milliards dépensés sur 128,7 prévus.

Trois objectifs majeurs fixés par la LPM 2009-2014 ont certes été atteints avec succès - l'avance dans la manoeuvre de déflation des effectifs, un bon départ de la réorganisation des armées, avec notamment la mise en place des bases de défense, et un effort soutenu sur les équipements majeurs et la fonction « Connaissance et anticipation ».

Toutefois, d'importantes contraintes ont affecté l'exécution de la LPM, qui n'ont pas été sans conséquences sur les armées.

De fortes contraintes budgétaires ont tout d'abord conduit à des corrections de trajectoire.Les deux premières années d'exécution de la LPM ont été globalement conformes aux prévisions, puisque l'écart cumulé à la fin de l'année 2010 entre la LPM et son exécution n'était que de 600 millions d'euros (64,2 milliards d'euros exécutés contre 64,8 prévus), soit un taux d'exécution de 99 %. Les ressources extrabudgétaires, constituées de recettes exceptionnelles issues de cessions de bandes de fréquences, de cessions d'emprises immobilières et de cessions de matériels n'ont certes pas été encaissées selon le calendrier prévu, mais elles ont été compensées par celles issues du plan de relance de l'économie. Ce plan de relance consistait pour l'État à consacrer 26 milliards d'euros à des investissements publics, dont près de 2,4 milliards d'euros pour la défense nationale, ces derniers crédits devant notamment permettre d'anticiper des acquisitions d'équipements qui n'étaient jusque-là programmés qu'après 2014. Le délégué général pour l'armement, M. Laurent Collet-Billon, a souligné lors de son audition que ce plan de relance avait constitué un « effet d'aubaine » pour le début d'exécution de la LPM, en permettant, en 2009, un niveau total record d'engagement de 19 milliards d'euros et la commande, dès avril 2009, du troisième bâtiment de projection et de commandement (BPC), le « Dixmude » qui a permis de sauver les chantiers de Saint-Nazaire, lesquels n'avaient plus de charge à l'époque, et a qui démontré toute son utilité lors de l'opération Serval au Mali.

Pourtant, dès l'été 2010, dans un contexte de crise économique et financière s'amplifiant et de volonté de maîtrise des comptes publics, l'élaboration de la programmation budgétaire triennale (PBT) 2011-2013 a marqué une première inflexion par rapport à la trajectoire définie par la LPM, avec une baisse sensible des ressources allouées. À la fin de l'année 2011, l'écart entre l'exécution et la programmation s'élevait ainsi à 1,3 milliard d'euros (soit 1,9 milliard en cumulé depuis 2009) puis à un milliard d'euros à la fin de l'année 2012 (soit 2,9 milliards d'euros en cumulé depuis 2009). La loi de programmation avait en effet été construite sur la base d'hypothèses budgétaires de 2009 qui prévoyaient un retour à l'équilibre des finances publiques dès 2012, devant permettre une croissance de 1 % par an du volume du budget de la Défense à partir de 2012. Compte tenu de la crise des finances publiques, cette hypothèse n'a évidemment pas pu se concrétiser et la programmation budgétaire triennale 2013 2015 a ainsi rectifié la trajectoire initiale en imposant une évolution en « zéro valeur » du budget de la Défense. Comme l'a souligné le délégué général pour l'armement, M. Laurent Collet-Billon, lors de son audition en date du 18 avril 2013, « ce zéro valeur budgétaire revient en pratique à une attrition des ressources puisque l'inflation est alors subie de plein fouet ». De plus, pour faire face à l'aggravation des déficits publics, le Gouvernement a dû procéder, en gestion, à d'importantes annulations de crédits, formalisées dans les différentes lois de finances rectificatives. Ce sont ainsi pas moins de 200 millions d'euros qui ont été retirés au programme 146 « Équipement des forces » en 2011, et 500 millions en 2012.

Par ailleurs, plusieurs des hypothèses de la loi de programmation militaire ne se sont pas réalisées

En premier lieu, la masse salariale n'a pas baissé comme attendu. Les objectifs de suppression d'emplois prévus par la loi de programmation militaire ont bien été atteints (avec, par exemple, plus de 29 000 emplois supprimés à la fin de l'exercice 2011) et la déflation des effectifs s'est même avérée en avance sur les prévisions de la loi de programmation militaire 2009-2014. Pourtant, les effets attendus de la réforme ne se sont pas vérifiés en matière de masse salariale, puisque celle-ci a continué de croître, avec une augmentation de plus de un milliard d'euros entre 2008 et 2011, selon les chiffres de la Cour des comptes. Plusieurs explications ont été avancées pour tenter d'expliquer ce découplage entre la diminution des effectifs et l'augmentation de la masse salariale. Le ministère de la Défense a par exemple indiqué que les dépenses de rémunération dites « dépenses socles » ont diminué entre 2008 et 2012 très faiblement, de 30 millions d'euros (soit une réduction de - 0,3 %), sous l'effet de la réduction d'emploi et de l'absence de revalorisation du point de la fonction publique à compter de 2010, mais que les « dépenses hors socle » ont augmenté de 199 millions d'euros (soit une hausse de + 38,5 %), traduisant notamment les coûts de transition liés à la mise en oeuvre des réformes (dispositifs d'accompagnement des restructurations, indemnisations au titre du chômage et des dommages liés à l'amiante par exemple).

D'autres raisons ont été avancées pour expliquer pourquoi, en dépit d'une réduction ses effectifs, les dépenses de titre 2 du ministère - hors compte d'affectation spéciale « Pensions » et hors OPEX -, ont augmenté durant la même période de 169 millions d'euros (soit une hausse de 1,47 % de 2008 à 2012). Ainsi, par décision gouvernementale, 50 % des économies obtenues par les déflations étaient destinées à financer des mesures générales et catégorielles au profit du personnel restant en activité. De plus, certaines mesures générales ou catégorielles, non programmées et budgétées initialement, ont dû être appliquées en cours de gestion. Ainsi, des mesures de préservation du pouvoir d'achat – revalorisation du point fonction publique et des bordereaux des salaires ouvriers, revalorisation de bas salaires, indemnité de garantie individuelle du pouvoir d'achat – ont contribué en début de LPM à absorber une part des économies. Après avoir augmenté entre 2008 et 2009, le coût de ces mesures générales a régressé à partir de 2010 en raison du gel de la revalorisation du point fonction publique et du bordereau des salaires ouvriers. En revanche, en 2012, les revalorisations successives des plus bas salaires ont porté sur environ 80 000 agents du ministère (essentiellement des militaires), pour un coût d'environ 50 millions d'euros.

Par ailleurs, le glissement vieillesse technicité (GVT) des militaires a parfois été appliqué de façon déconnectée avec la réalité de la composition des effectifs, sans tenir compte que la population de référence avait vieilli depuis 2008 du fait de la réforme des retraites. La différence entre le GVT constaté a posteriori et sa dotation en construction budgétaire est restée élevée chaque année depuis 2009, ce qui a fortement contribué à la rigidité de la dépense. En tout, l'impact cumulé de ces écarts annuels entre le GVT solde retenu en construction et le GVT solde constaté atteint près de 730 millions d'euros sur la période 2009-2012.

En outre, le ministère a également dû faire face à des besoins nouveaux, comme la réintégration du commandement militaire intégré de l'OTAN, la création d'une base aux Émirats arabes unis ou encore des créations de postes pour la cyberdéfense. De surcroît, toute manoeuvre de déflation induit nécessairement des coûts immédiats, dont l'amortissement prend plusieurs années, qu'il s'agisse par exemple des « pécules » ou de l'aide à la mobilité du conjoint. De même, dans les économies attendues du fait de la déflation des effectifs, les dépenses de chômage, qui correspondent aux remboursements aux URSSAF des indemnités de chômage pour les personnels contractuels ayant quitté le ministère de la Défense sans retrouver d'emploi, auraient également été insuffisamment prises en compte. La Cour des comptes indique par ailleurs dans son rapport de juillet 2012 qu'« il est tout à fait possible que les économies soient moins importantes qu'envisagé au départ en raison d'un renforcement du poids des officiers et des cadres civils de catégorie A dans la structure des emplois du ministère ». Enfin, l'année 2012, qui voit une légère augmentation des dépenses de socle, à l'opposé de la tendance observée entre 2008 et 2011, doit être considérée comme atypique, notamment en raison de l'impact important des dysfonctionnements du système LOUVOIS en raison des indus de solde.

Cela a nécessité d'importantes ressources complémentaires pour les dépenses de personnel – plus de 1,5 milliard d'euros en lois de finances entre 2009 et 2012 –, au détriment des dépenses d'équipement, tant pour les programmes d'armement que pour l'entretien programmé du matériel (EPM).

En second lieu, les hypothèses d'exportation de l'avion de combat Rafale retenues dans la construction de la LPM ne se sont pas vérifiées. L'exportation de cet avion de combat devait alimenter le plan de charge des industriels à hauteur d'un appareil en 2010 et de quatre appareils en 2011. L'État s'étant engagé auprès des industriels pour la production de 11 Rafale par an, l'absence d'exportation l'a contraint à accélérer le rythme de ses propres commandes. Cela a entraîné un surcoût de l'ordre de 350 millions d'euros sur la période de 2009 à 2011.

De ce fait, si le contrat opérationnel pour les grandes fonctions stratégiques a été globalement tenu, la fonction stratégique intervention a été lourdement affectée par les contraintes pesant sur la disponibilité technique des matériels et ses conséquences sur l'entraînement des forces. Comme le souligne le rapport annexé de la LPM 2014-2019, « l'activité opérationnelle a connu une évolution à la baisse dans la période récente, s'inscrivant désormais sous les normes reconnues ». Notre rapport détaille, pour chaque armée, les incidences de l'écart de trajectoire de la LPM sur leur contrat opérationnel et les insuffisances auxquelles celles-ci ont dû faire face.

Il analyse également de façon approfondie l'exécution des crédits de défense pour 2011 et 2012, ce qui met en lumière plusieurs points d'attention : une absence de contrôle de la masse salariale, le poids des opérations extérieures qui dépasse de façon chronique le montant de la provision prévue en loi de finances initiale et des recettes exceptionnelles incertaines dans leur montant et dans leur calendrier de réalisation par exemple.

Si la LPM 2009-2014 avait été construite en cohérence avec le triennal budgétaire 2009-2011, les arbitrages rendus en 2010 dans le cadre du triennal budgétaire 2011-2013, comme la trajectoire prévue en 2012 pour la mission Défense dans le cadre du triennal budgétaire 2013-2015, montrent ainsi que la trajectoire de la LPM 2009-2014 n'est plus soutenable, avec une prévision d'écart cumulé de 12,82 milliards d'euros en 2015 selon la Cour des comptes.

Dès lors, l'adoption d'une nouvelle loi de programmation militaire, qui permettra de concilier la programmation du ministère de la Défense avec la trajectoire budgétaire des finances publiques, apparaît plus que jamais justifiée.

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