Intervention de Philippe Vitel

Réunion du 18 septembre 2013 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vitel, rapporteur :

Je tiens à remercier à mon tour mon collègue François André, avec lequel nous avons mené nos travaux dans un constant souci d'objectivité ; il n'y a en effet pas de place pour les visions partisanes dans ces sujets. Au regard des défis financiers majeurs de la prochaine LPM, nous avons souhaité explorer, de façon constructive, quelques pistes pour tenter d'éviter la poursuite des écarts récurrents entre les LPM et leur exécution. Nous avons retenu pour ce faire les six thèmes spécifiques précités et je voudrais maintenant vous exposer synthétiquement l'essentiel de nos réflexions et propositions.

Sujet de débats récurrents sur la possibilité de réaliser d'importantes économies budgétaires, le thème de l'optimisation des moyens consacrés à la mise en oeuvre de la dissuasion nucléaire a retenu en premier lieu notre attention. Avec un budget d'un peu plus de 3,4 milliards d'euros consacré en 2012 à la dissuasion, celui-ci représente environ 10 % du budget total de la défense de la France (31,5 milliards d'euros), et les dépenses liées à la dissuasion nucléaires ne représentent en 2012 qu'environ 1,2 % des dépenses du budget de l'État. La part de ce budget de la dissuasion est d'ailleurs assez stable depuis la fin des essais nucléaires en 1996. L'amiral Édouard Guillaud, chef d'état-major des armées nous avait indiqué, en juillet 2012, que ce chiffre d'un peu plus de 3,4 milliards d'euros consacré à la dissuasion nucléaire, véritable « assurance-vie de la Nation », « couvre tout, y compris les hommes de la Force océanique stratégique, les Rafale des Forces aériennes stratégiques, les missiles ASMP-A et M51 » en nous disant « c'est presque bon marché ! ».

Les débats sur l'existence même de la dissuasion nucléaire française ou sur le maintien d'une double composante sont désormais tranchés. Le Président de la République François Hollande a en effet annoncé, le 26 juin 2012, que la dissuasion nucléaire ne serait pas remise en cause car « renoncer à la dissuasion nucléaire pour des raisons d'économie budgétaire n'est pas aujourd'hui la position de la France ». Par ailleurs, le Livre blanc de 2013 maintient clairement les deux composantes des forces nucléaires en indiquant que « [leurs] performances, l'adaptabilité et les caractéristiques complémentaires permettent le maintien d'un outil qui, dans un contexte stratégique évolutif, demeure crédible à long terme, tout en restant à un niveau de stricte suffisance ». Si nous partageons pleinement ces choix de conserver le nucléaire militaire et de maintenir une double composante des forces nucléaires, il ne nous est pas paru illégitime, au regard de la situation économique et des difficultés budgétaires actuelles, de s'interroger sur une possible rationalisation de l'emploi du format respectif des deux composantes nucléaires.

Nous nous sommes donc posé un certain nombre de questions. Faut-il poursuivre la réduction du format de la composante aérienne ? Si la précédente LPM avait organisé la réduction du format des forces aériennes stratégiques de trois à deux escadrons, nous avons considéré qu'une nouvelle réduction de ce format, de deux à un seul escadron, fragiliserait la composante aéroportée dans son ensemble, sans pour autant permettre d'économies significatives. Est-il par ailleurs vraiment nécessaire d'organiser une permanence d'un SNLE à la mer ? Nous avons estimé qu'il était nécessaire de conserver la posture constante de la France de maintien en permanence à la mer d'au moins un SNLE, ne serait-ce que parce que d'un point de vue purement budgétaire, l'abandon de la permanence à la mer nécessiterait un réexamen complet du système de protection de la base de l'Île Longue et l'augmentation du besoin en forces conventionnelles pour la protection et l'accompagnement des SNLE lors de leur appareillage, ce qui aurait un coût élevé.

Nous avons également considérés tous les deux que les dépenses liées à la dissuasion représentaient un investissement productif, tant pour la défense nationale que pour l'économie du pays. Nous appelons de nos voeux le maintien d'une vision partagée, non partisane et consensuelle sur la dissuasion nucléaire, ce qui n'empêche pas que de nouvelles pistes d'économies peuvent néanmoins être exploitées. Nous saluons par exemple la démarche franco-britannique consistant, dans le cadre d'un programme intitulé « TEUTATES », à mutualiser les coûts des installations en analyses radiographiques et hydrodynamiques. Il s'agit des programmes EPURE à Valduc et du centre de développement technologique à Aldermaston. Ce projet, qui progresse, présente le double avantage de permettre des économies substantielles aux deux États (450 millions d'euros chacun sur la durée du programme) et d'affirmer l'attachement des deux pays à leur force de dissuasion.

S'agissant des dépenses de personnels, qui ont conduit la Cour des comptes, dans son rapport de juillet 2012, à considérer que « la poursuite de la croissance du titre 2 (dépense de personnel) du budget malgré la réduction d'effectifs est préoccupante dans un contexte de ressources limitées pour le budget de la défense », nous proposons d'améliorer les mesures déjà prises (les contingentements par grades et, pour les non-officiers, par échelle de solde, ainsi que la réduction sensible de l'avancement en 2013) pour pallier le phénomène de déformation des pyramides, tout en se gardant d'une réduction excessive du taux d'encadrement supérieur qui pourrait s'avérer contreproductive. Nous préconisons également un meilleur pilotage des effectifs et de la masse salariale en insistant sur le fait que l'enjeu d'une meilleure maîtrise de la masse salariale est déterminant en vue de s'assurer d'une bonne exécution de la prochaine LPM. Nous approuvons à cet égard pleinement les orientations fixées dans le paragraphe 6.3 du rapport annexé au projet de loi relatif à la programmation militaire 2014-2019. Nous ne développons pas dans notre rapport le point crucial de la résolution des dysfonctionnements du système Louvois, la mission d'information sur la mise en oeuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la Défense de Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Damien Meslot l'ayant déjà excellemment fait.

Une autre de nos interrogations était de savoir si la gestion des bases de défense (BdD) était optimale. Ces bases de défense, créées dans une optique de recherches d'économies, sont aujourd'hui opérationnelles. Le récent rapport du Sénat consacré à la mise en place de la réforme des BdD met en évidence certaines réussites exemplaires, comme celle de la BdD de Toulon, qui est une « base navale de grande dimension, dans laquelle les bénéfices de la densification des soutiens sont les plus manifestes ». Cependant, nous avons constaté que l'identification des économies directement liées à l'embasement restait délicate et que des difficultés budgétaires affectaient les crédits du soutien par les BdD. Nous estimons ainsi qu'il existe encore des gisements d'économies envisageables pour améliorer la gestion financière des BdD. Cela pourrait passer, selon nous, par le renforcement du champ de compétence et l'augmentation du périmètre budgétaire des commandants de bases de défense ; par la poursuite et l'accélération de la mise en oeuvre des dispositifs d'intéressement aux économies réalisées par les BdD ; par la suppression de l'échelon intermédiaire des états-majors de soutien défense (EMSD) ; par une réflexion sur la diminution du nombre de BdD en métropole, en cohérence avec le format des armées retenu par la prochaine LPM ; et par le déploiement de nouveaux systèmes d'information communs, concernant notamment les applications budgétaires et comptables. Nous préconisons également d'adopter une démarche pragmatique en matière d'externalisation des fonctions de soutien assurées à ce jour par les BdD, en incitant le ministère de la Défense à étudier chaque projet d'externalisation au cas par cas et à le comparer à une démarche de projet d'amélioration de l'existant en régie, dite régie rationalisée et optimisée.

Nous avons également souhaité nous interroger sur le fait de savoir si les règles d'attribution des marchés de maintien en condition opérationnelle pouvaient être améliorées ? Dans l'optique de l'adoption de la prochaine LPM, le MCO revêt en effet une importance toute particulière dans la mesure où, d'après le rapport public annuel de février 2013 de la Cour des comptes, les achats de maintenance du ministère de la Défense recèlent « un fort potentiel d'économies », « une économie de 10 % par comparaison avec les coûts actuels, représentant de l'ordre de 300 millions d'euros, [apparaissant] comme un objectif que le ministère pourrait se fixer et que l'organisation actuelle du ministère ne permet pas d'atteindre ». Sur ce point, nous pensons pareillement que des marges de manoeuvres existent encore pour rendre plus efficaces les dépenses de l'État en matière de marchés de MCO, même si l'estimation de la Cour des comptes (de l'ordre de 300 millions d'euros) est peut-être un peu trop optimiste. Un effort est d'autant plus nécessaire qu'il s'inscrit dans un contexte d'une croissance continue des besoins financiers en MCO, due à la fois à l'arrivée de nouveaux matériels modernes, à forte dimension technologique et à coût d'entretien unitaire élevé, et au maintien en service de certains parcs de matériels vieillissants, dont les coûts d'entretien augmentent avec l'âge.

Nous estimons par exemple dans nos recommandations que le renforcement de la fonction achat serait de nature à améliorer la performance économique et nous saluons la volonté affichée du ministère de la Défense de professionnaliser ses acheteurs, qui s'est déjà traduite par l'affectation de personnels expérimentés de la DGA dans les structures de soutien. Nous préconisons également d'impliquer plus en amont les services de soutien dans la question de la maintenance et considérons que la création de responsables du soutien en service auprès des unités de management de la DGA permet une prise en compte du volet soutien très en amont dans les programmes et constitue un axe de progrès évident. Il nous apparaît également évident qu'il convient de mieux faire face aux situations non concurrentielles par divers leviers : en améliorant les prérogatives d'enquêtes sur les coûts de revient des fournisseurs en situation de monopole ; en conservant des compétences industrielles étatiques afin de ne pas dépendre complètement du secteur privé et en allotissant davantage les marchés pour faciliter l'accès des PME les plus compétitives à la commande publique lorsque les opérations de maintenance sont accessibles à leurs compétences, ce qui accroîtrait la concurrence.

De manière générale, la future loi de programmation militaire devra veiller à l'adéquation des ressources disponibles aux besoins en MCO des matériels militaires. Il est en effet primordial de préserver la disponibilité des forces et de poursuivre la hausse des ressources accordées à l'EPM.

Sur le thème des ressources extrabudgétaires, issues pour l'essentiel de recettes exceptionnelles de cessions immobilières et de cessions de bandes de fréquences et sur lesquelles l'équilibre de la loi de programmation 2009-2014 reposait en grande partie, nous déplorons que le dispositif de cession à l'euro symbolique aux collectivités locales prévu par l'article 67 de la loi de finances pour 2009 ainsi que les dispositions de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement – deux dispositifs, légitimes mais entrant en contradiction avec la logique des recettes exceptionnelles –, ont eu, du fait de la non-compensation des parts de recettes afférentes pour le ministère de la Défense, un effet significativement négatif sur le niveau total des recettes issues de cessions d'emprises immobilières. Nous constatons qu'il est prévu dans le projet de loi de la nouvelle LPM un montant de 6,1 milliards d'euros de ressources exceptionnelles, montant très supérieur à celui prévu (3,7 milliards d'euros) pour la précédente.

Dans ces conditions, il convient de tirer certaines leçons de la période 2009-2014. D'abord, les ressources immobilières sont incertaines lorsqu'elles reposent sur des lots particulièrement atypiques. Il pourrait sembler périlleux de reconduire les espérances de recettes liées à la cession de l'îlot Saint Germain par exemple. Ensuite, la nature des ressources compte peu, au contraire de la fiabilité de leur calendrier de perception. Enfin, les règles comptables organisant l'engagement de ces ressources doivent impérativement être simplifiées afin de permettre au ministère de la Défense d'organiser le plus librement possible sa politique d'acquisition.

Dernier de nos approfondissements thématiques, nous nous sommes demandé s'il était possible d'améliorer la prise en compte budgétaire des OPEX compte tenu de leur caractère imprévisible. Auparavant, aucune provision spécifique n'était inscrite en loi de finances : le bouclage du financement des OPEX en fin d'exercice budgétaire était souvent sportif… L'évolution du montant de la provision au titre des surcoûts des opérations extérieures, désormais inscrite en loi de finances initiale, a été conforme à celle prévue par la loi de programmation militaire pour 2009-2014 qui définissait les montants des dotations prévues pour les OPEX pour les années 2009 à 2011, avec une augmentation de 60 millions d'euros tous les ans. La trajectoire de la LPM a donc été respectée sur ce point en 2011 et 2012. Cependant, on ne peut que constater que le montant de cette provision est systématiquement insuffisant depuis 2009 pour couvrir les surcoûts OPEX. On peut donc s'interroger sur le fait de savoir si le montant de ces provisions correspond bien à l'objectif défini par la LPM d'un « niveau de budgétisation suffisant », même si le caractère aléatoire du surcoût des OPEX ne peut être nié. À cet égard, la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-238-DC souligne la forte fluctuation de dépenses liées à des opérations dont la prévisibilité est faible et admet que le législateur n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation, au regard du principe de sincérité budgétaire. Il n'en reste pas moins que les surcoûts liés aux opérations extérieures sont restés en moyenne de 961,5 millions d'euros par an sur la période 2009-2012. Le décalage récurrent par rapport aux prévisions ne devrait-il pas conduire dans ces conditions à une réévaluation de la dotation initiale ? Cette interrogation est d'autant plus légitime que l'article 5.3 du rapport annexé au projet de LPM pour les années 2014 à 2019 retient un montant de seulement 450 millions d'euros pour la dotation prévisionnelle. Il nous semble imprudent de réduire cette provision en deçà de son niveau actuel de 630 millions d'euros, dans la mesure où, compte tenu des risques géostratégiques actuels et au vu d'une exécution qui n'est jamais descendue en deçà de 528 millions d'euros sur les dix dernières années, une telle réduction risque d'entraîner un appel important à la solidarité interministérielle, alors que les crédits de hors titre 2 des ministères subissent d'ores et déjà une contrainte très élevée. L'idéal serait peut-être, pour les années à venir, de prévoir des clauses de réexamen des besoins en cours d'exercice, en associant pleinement le Parlement à leur évolution. En tout état de cause, nous préconisons de maintenir la dotation OPEX prévue en loi de finances au niveau actuel de 630 millions d'euros.

Aux termes de nos travaux, fruits d'une réflexion qui transcende les clivages partisans puisqu'ils ont été conduits par deux rapporteurs de sensibilités politiques différentes, nous avons pu non seulement dresser un bilan financier synthétique de la LPM 2009-2014 et une analyse de l'exécution des crédits des exercices 2011 et 2012 mais également esquisser des pistes pour éviter à l'avenir un trop grand écart entre les prévisions et les réalisations de la future LPM, que nous souhaitons tous les deux sincère et soutenable.

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