Intervention de Laurent Marcangeli

Réunion du 18 septembre 2013 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Marcangeli, rapporteur :

Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui au sein de votre commission dont je serai membre très brièvement puisque je suis d'ordinaire membre de la commission des affaires sociales. Je suis heureux de défendre cette proposition de loi dont le thème est particulièrement cher aux centaines de milliers d'insulaires que compte notre pays et dont je fais partie.

Le texte que j'ai déposé en mars dernier sur le bureau de l'Assemblée nationale porte sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports maritimes. Vous l'avez peut-être remarqué, il n'est que la déclinaison sectorielle de deux lois votées au cours de la précédente législature. La loi du 21 août 2007 a permis d'assurer la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, essentiellement donc dans le transport ferroviaire. Cette continuité a été étendue au secteur aérien par la loi Diard du 19 mars 2012.

L'opposition d'alors avait voté contre ces deux textes. Elle y avait vu une atteinte insupportable au droit de grève, une violation de la liberté contractuelle, une infraction directe aux droits sociaux garantis par la Constitution. Elle dénonçait l'aménagement de la continuité des services de transports, qu'elle estimait juridiquement contestable et politiquement injuste, au point d'en saisir le Conseil constitutionnel.

Je m'adresse aujourd'hui à cette ancienne opposition devenue majorité pour lui dire que les arguments d'hier ne sont plus recevables.

En effet, le Conseil constitutionnel, saisi de chacune des deux lois de 2007 et de 2012, a validé l'intégralité des dispositions adoptées par le Parlement – pas une virgule n'a été censurée, pas un mot n'a été retiré. Réglementer la continuité des services de transport est parfaitement conforme à la Constitution.

Mais si quelqu'un a complètement disqualifié les objections de l'opposition d'alors, mes chers collègues, c'est bien la majorité d'aujourd'hui.

Cette commission a examiné, au printemps dernier, deux textes relatifs au secteur des transports. Il y a eu la loi du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports, et la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable. Si la réglementation adoptée en 2007 pour le rail et en 2012 pour l'aérien était si injuste, deux belles occasions de l'abolir se sont présentées coup sur coup à la majorité et au Gouvernement. Or, le ministre délégué aux transports n'en a pas éprouvé le besoin, non plus qu'aucun de nos collègues.

C'est la meilleure preuve de la valeur de ces dispositions destinées à faciliter la vie des passagers sans obérer le droit de grève des personnels. Elles ont résisté à l'alternance et sont admises comme pertinentes, dorénavant, sur tous les bancs de l'hémicycle ainsi que dans le pays. Nous pouvons tous nous en féliciter car la France en sort renforcée.

J'en viens à la proposition d'étendre au transport maritime les dispositions en vigueur pour le ferroviaire et l'aérien. L'accord de prévention des conflits, l'information des usagers, les dessertes prioritaires en cas de mouvement social deviendraient applicables aux liaisons par bateau.

Mes chers collègues, je vous conjure de ne pas refuser au transport maritime ce que vous avez accepté pour le rail et l'aérien.

En droit, les parlementaires de gauche s'étaient opposés à la proposition de loi sur le transport aérien au motif qu'il s'agissait d'un service très majoritairement privé, sur lequel ne s'exerçaient guère d'obligations de service public justifiant un encadrement particulier du droit de grève. Je suis juriste de formation et, en toute bonne foi, c'était un argument qui pouvait s'entendre.

Mais ce n'est pas le cas ici : le présent texte ne concerne ni les croisiéristes ni les circuits internationaux. Le dispositif est limité aux îles du territoire national et européen dont la desserte justifie des obligations de service public. Cela figure dans le droit positif, à l'article L 5431-2 du code des transports et à l'article L 4424-19 du code général des collectivités territoriales. La collectivité compétente, en général le département mais pas toujours, peut « fixer des obligations de service public concernant les ports à desservir, la régularité, la continuité, la fréquence, la capacité à offrir le service et la tarification pour les services réguliers à destination des îles ou entre îles ». Cette prérogative particulière se double de financements spécifiques, engageant la solidarité de la nation, au titre du principe de continuité territoriale. Nous y sommes, je pense, tous attachés.

Voilà pour l'argument de droit. Mais je veux faire valoir aussi un argument de fait. Le territoire métropolitain s'est doté de règles, dont chacun se trouve satisfait, pour assurer que le train, le RER, l'avion se présentent à l'heure dite pour desservir des sites prioritaires. À défaut, il restait toujours des modes de déplacement alternatifs : l'automobile, le vélo, le covoiturage, l'avion en cas de grève ferroviaire, le train en cas de grève aérienne.

Mais l'habitant d'un territoire insulaire, si la liaison maritime est coupée, que peut-il faire ? Aucune voie ferrée, aucune route ne peut le mener sur le continent. S'il habite sur une île de taille suffisamment importante pour accueillir un aéroport, il pourra se déplacer par avion, moyennant un coût supérieur et, puisque nous sommes en commission du développement durable, un coût carbone faramineux. S'il réside sur une île de petite taille, que lui recommandez-vous : la brasse, le dos crawlé, le pédalo ?

Mes chers collègues, c'est précisément à la situation insulaire, celle dans laquelle la liberté d'aller et venir des citoyens est la plus précaire, que notre réglementation s'abstient de répondre aujourd'hui. Il est urgent de combler cette lacune pour remettre ces Français à égalité avec les autres, pour leur rendre la possibilité de se déplacer à leur guise.

La démarche des cosignataires du présent texte n'est pas punitive ; ils se sont bornés à transposer le droit existant. La loi n'intervient qu'en dernier ressort, en cas d'échec de la négociation d'entreprise, pour laisser un maximum d'espace à la démocratie sociale avant d'édicter des prescriptions impératives. En tant que rapporteur, je suis ouvert à tous les amendements – mais il n'y en a pas. En effet, rien ne serait pire, aucun signal ne serait plus déplorable en direction des territoires insulaires qu'un rejet franc et massif exprimé par une Assemblée dont la majorité des membres, j'en suis bien conscient, n'ont aucun problème d'ordre maritime dans leur circonscription.

Mes chers collègues, nous sommes députés de la nation. Il faut mettre un terme à une situation juridique qui affaiblit l'économie et la qualité de vie des territoires insulaires, grâce à un dispositif qui n'est rien d'autre que le droit commun.

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