La méthode du barycentre constitue une amélioration par rapport à la remise en concurrence telle qu'elle avait été envisagée au départ. Mais, comme elle ne constitue qu'une déclinaison de cette dernière, elle ne permet pas d'en supprimer tous les défauts.
Premier inconvénient, il s'agit d'un processus administratif complexe et qui s'étale sur plusieurs décennies.
Dans le programme actuel de mise en concurrence, hormis le processus classique de remise en concurrence – réalisation du cahier des charges, examen des offres, remise de l'ouvrage au concurrent entrant –, seule est nécessaire une négociation avec le concessionnaire sortant sur les indemnités d'éviction.
La mise en oeuvre de la solution du barycentre nécessiterait au contraire de passer par un long chemin juridique, chacune des étapes suivantes étant porteuse de risques : d'abord, une saisine préalable de la Commission européenne au titre du contrôle des aides d'État ; ensuite, des modifications législatives – insérées dans le projet de loi sur la transition énergétique ? – avec leur texte d'application. Ces dispositions auraient pour objet d'autoriser l'État à imposer le regroupement en un contrat unique de l'ensemble des contrats de concession formant une chaîne hydraulique. Enfin, la modification par avenant de chacun des contrats concernés. La charge de travail que cela représente et le manque de moyens humains du ministère de l'écologie ont ainsi conduit l'État à se faire assister pour mener le processus, dès 2010, de cabinets de conseil privés aux honoraires élevés.
Solution astucieuse, la méthode du barycentre n'en demeure pas moins une alternative coûteuse en moyens humains et dont l'issue n'est pas garantie à 100 %.
Deuxième inconvénient, une telle solution revient à perdre la main sur le parc hydroélectrique français pour 40 ans. Une fois les concessions attribuées, l'État ne pourra reprendre la main sur les concessions que par le versement d'une très lourde indemnité d'éviction. Lorsque l'on connaît l'importance des ouvrages hydrauliques pour la sécurité du système électrique, une telle situation a de quoi inquiéter…
Troisième inconvénient, la seule garantie apportée aux collectivités est le cahier des charges des concessions. Nous avions déjà relevé une telle difficulté : le cahier des charges des concessions permettra de mieux encadrer l'action du concessionnaire sur les cours d'eau, mais seulement sur le court terme. Comment prévoir les besoins et les usages pour les 40 prochaines années ? L'objectif de modernisation des relations entre les usagers locaux de l'eau n'est pas atteint.
Quatrième inconvénient, le problème du transfert des salariés est laissé de côté. Il s'agit d'un rappel des conclusions de notre présentation d'étape : seuls les salariés d'EDF ou de la SHEM qui sont affectés exclusivement ou essentiellement à la concession cédée seront transférés automatiquement au nouveau concessionnaire. En l'absence de définition précise de la notion de salarié « essentiellement » affecté à une concession, il faudra se référer au critère jurisprudentiel du pourcentage, dont les implications sont difficiles à prévoir.
Cinquième inconvénient, le gain financier pour l'État et les collectivités territoriales est à relativiser. Ainsi que le relève elle-même la Cour des comptes, les recettes de redevance espérées ne deviendront réellement significatives que dans plusieurs années. La perte due au retard de redevance perçu était de 3 M€, elle sera de 50 M€ en 2013, et n'atteindra même pas 100 M€ en 2020.
En outre, les calculs de la Cour des comptes mettent de côté un élément majeur : la participation de l'État dans le capital d'EDF à hauteur de 84 % ! Il paraît difficile de soutenir sérieusement que les délais glissants, dont bénéficie EDF, constituent une perte sèche pour le budget de l'État. Est-il besoin de rappeler que, pour l'exercice 2012, EDF a versé à ce même budget 1,950 Md€ de dividendes ?
Enfin, nous sommes au regret de décevoir nos collègues que cela pourrait intéresser : en raison de la longueur de la procédure de mise en concurrence, le 1er euro ne sera pas versé aux collectivités territoriales avant 2017. Et nous ne parlons que des collectivités faisant partie du « premier paquet » de mise en concurrence. Pour les autres, la perspective d'une redevance est encore plus éloignée…
Sixième inconvénient, l'impact sur le prix de l'électricité, lui, sera réel. Selon les termes de la Cour des comptes, « la mise en concurrence constitue un moyen adapté pour ne pas abandonner aux concessionnaires la rente hydroélectrique ». Cette affirmation repose sur une analyse que nous estimons partielle de la réalité économique du marché de l'électricité. En effet, comment peut-on considérer que la rente hydroélectrique soit abandonnée au concessionnaire sortant dès lors que celui-ci est obligé, dans les tarifs réglementés de vente, de fournir l'électricité au coût de production ? Il nous semble plutôt que le bénéficiaire de la rente hydroélectrique est le consommateur, et c'est très bien, directement concerné par la question du pouvoir d'achat…
Mais ce ne sera bientôt plus tout à fait le cas. Plus le portefeuille hydroélectricité d'EDF diminuera, plus ses coûts de production augmenteront. Selon le rapport de la CRE sur les coûts d'EDF, une diminution de 1 % de la production hydraulique augmente le coût de production d'EDF de 0,1 %. Or, ce sont sur ces coûts que les tarifs réglementés sont calculés par la CRE… Ajoutons que la redevance constitue en réalité une nouvelle taxe sur l'électricité. Cela revient à perdre l'avantage comparatif de l'électricité hydraulique. Même l'électricité hydraulique produite par EDF, dont le coût de production sera pris en compte pour les tarifs réglementés, sera de l'ordre de 25 % plus chère.
En résumé, la remise en concurrence des concessions conduit à perdre l'avantage compétitif dont dispose la France grâce à l'électricité hydraulique : les concessionnaires devront payer une taxe, la redevance, qui augmentera le coût du mégawattheure hydraulique. Pour rentabiliser leur investissement, ils valoriseront leur production sur le marché au prix du marché de gros, et non au coût de production. Contrairement à ce qui est prévu pour l'ARENH, aucune clause de destination n'est prévue, c'est-à-dire que si un concessionnaire veut signer un contrat de long terme avec un industriel étranger, on ne pourra pas l'en empêcher !
Dernier inconvénient, l'euro-compatibilité d'une telle solution ne fait en réalité que repousser d'autres échéances bien plus douloureuses. Nous tenons ici à rappeler à quel point fut insistante la pression d'opérateurs étrangers qui souhaitent pénétrer le marché français sans être menacés sur leur propre marché. Lorsque nous les avons interrogés, ils ont été bien en peine de répondre à nos questions sur la réciprocité. Aucun autre État membre n'est amené à mettre en concurrence un parc hydraulique conséquent dans les mêmes conditions que la France. Les ouvrages sont soit sous la propriété des opérateurs – régime d'autorisation –, soit sous un régime mixte combinant autorisation et concession, soit sous un régime de concession mais avec des dates d'échéance très éloignées (Espagne et Italie). Ajoutons que certains candidats à la reprise des concessions françaises sont suisses et norvégien, donc extra-communautaires. En Norvège, tout candidat à l'attribution d'une concession doit être au minimum à 70 % public, ce qui oblige un exploitant étranger, s'il souhaite pénétrer ce marché à intégrer un consortium avec une entreprise publique ou une collectivité locale norvégienne. En Suisse, les directives sectorielles sur l'énergie ne sont même pas applicables.
La solution de la remise en concurrence a été présentée comme la seule à même de satisfaire la Commission européenne. Mais cette dernière, une fois la remise en concurrence « digérée », demandera de toute façon des garanties supplémentaires. Ne nous leurrons pas : la remise en concurrence n'est pas un élément d'un accord intangible. Donner des gages ne sert à rien car, comme elle l'a indiqué aux rapporteurs de la mission lorsqu'ils se sont rendus à Bruxelles, la Commission a déjà ciblé sa prochaine victime : les tarifs réglementés de vente aux particuliers.
En résumé, il nous semble que le choix de la méthode des barycentres reposerait sur une analyse stratégique erronée : sacrifier la compétitivité du prix de l'énergie sur l'autel de la réduction des déficits publics.
Si la remise en concurrence apportait des recettes budgétaires immédiates, nous pourrions comprendre les raisons d'un tel choix. Mais ça n'est pas le cas : l'impact sur le déficit public ne se fera pas sentir avant 2017, lorsque la trajectoire des finances publiques aura été stabilisée. Dans le même temps, l'effet de la remise en concurrence impactera progressivement le prix de l'électricité, se cumulant avec d'autres effets qui rendront leur facture insupportable aux ménages et aux entreprises…
Mais pour que l'analyse avantages-inconvénients ait un sens, encore faut-il qu'il existe des alternatives, c'est ce que nous nous sommes attachés à démontrer.
Par manque d'anticipation, la France s'est placée dans une situation difficile et s'est restreint le champ des possibles. La transformation d'EDF en société anonyme constitue un tournant historique. Ainsi que nous le signalions dans notre présentation d'étape, la transformation d'EDF en société anonyme, par la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, a changé la donne du tout ou tout. Perdant son statut d'établissement public, EDF ne pouvait plus désormais être considérée comme un opérateur particulier du système électrique français.
La conséquence directe de cette évolution a été de faire rentrer les concessions hydroélectriques dans le droit commun des délégations de service public. Le droit actuel prévoit que le régime de la concurrence entre opérateurs s'impose désormais sans réserve dans le renouvellement des concessions hydroélectriques.
Sans revenir sur le bien-fondé de la transformation en société anonyme, qui est un tout autre débat, le prolongement des contrats de concession avant le vote de la loi de 2004 aurait « soldé » le problème de l'hydraulique pour une durée de 40 ans.
La future directive « concessions » constitue également une occasion manquée. La Commission européenne a déposé, en décembre 2011, un projet de directive tendant à harmoniser les règles européennes en matière de concessions.
Le périmètre du texte a fait l'objet de discussions très nombreuses discussions. Sous l'influence d'un lobbying de l'Allemagne, soucieuse de préserver son modèle particulier, et d'une mobilisation populaire sans précédent – une pétition a recueilli 1,5 million de signatures –, c'est l'ensemble du secteur de l'eau qui a finalement été sorti du champ de la directive. Il a ainsi été considéré que, compte tenu des spécificités d'une telle activité, les règles générales du droit de la concurrence ne pouvaient pas s'appliquer.
La nouvelle directive « concessions » aurait pu constituer une occasion en or pour sécuriser le régime juridique applicable aux concessions hydrauliques françaises. Au lieu de cela, le sujet n'a été que très peu évoqué. Comment soutenir une ouverture de notre parc de barrages aux énergéticiens européens lorsque l'on sait que les opérateurs français de l'eau n'auront pas accès au marché allemand ? Une telle situation ne manque pas d'interroger sur notre capacité à défendre l'intérêt de notre économie dans le cadre européen.
Difficile, la recherche d'alternatives n'est cependant pas impossible. Il faut bien souligner à ce stade à quel point vos rapporteurs ont dû sans cesse batailler contre la tendance à se retrancher derrière le confort des arguments juridiques posés comme l'ultime et unique vérité pour s'épargner l'effort de l'élaboration de solutions alternatives ayant un sens politique.
Nous allons désormais tenter de vous démontrer qu'il n'existe pas de fatalité juridique : trois solutions alternatives sont tout à fait possibles. Vous présentant leur principe, leurs avantages et inconvénients respectifs, vous serez ainsi en mesure d'apprécier par vous-même la pertinence des choix effectués.
Le deuxième scénario est celui que nous appelons « concession unique ». Il consiste à justifier auprès de la Commission européenne de l'existence d'un SIEG.
La notion de service d'intérêt économique général (SIEG) permet de déroger au droit commun de la concurrence. Le deuxième alinéa de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose que :
« Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. »
Cet article prévoit de façon claire la possibilité de désigner une entreprise investie d'une mission d'intérêt général par un acte de la puissance publique dès lors qu'il est démontré, d'une part, le caractère économique du service en question, ce qui ne soulève pas de difficultés dans le cas présent et, d'autre part, que l'attribution d'un droit exclusif est nécessaire pour remplir les missions d'intérêt général confiées à l'opérateur bénéficiaire.
La remise en concurrence des concessions fait échec à l'accomplissement de la mission particulière impartie au concessionnaire historique pour trois raisons.
La première est qu'elle porte atteinte à la bonne gestion hydroélectrique des cours d'eau ; il est inévitable que la mise en concurrence conduise, dans certains cas, à confier la gestion d'une même vallée à plusieurs opérateurs.
La seconde est qu'elle menace la sécurité d'approvisionnement en électricité, dont les ouvrages hydroélectriques sont un élément essentiel. Avec la remise en concurrence, un opérateur peut « tenir le système en otage ». En l'état actuel des caractéristiques techniques des réseaux, les capacités d'importation sont limitées à environ 9000 MW, ce qui fait de l'hydroélectricité une composante majeure du service public de l'électricité. La directive n° 200354 du 26 juin 2003 prévoit à cet égard que les États peuvent imposer aux entreprises du secteur, dans l'intérêt économique général, des « obligations de service public » qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement.
La troisième est qu'elle remet en cause la garantie des prix offerte au consommateur. Avec la remise en concurrence, chaque concessionnaire peut disposer comme il l'entend de l'électricité produite.
Nous pensons donc qu'il y aurait un espace pour la qualification de la production hydroélectrique en SIEG, à la condition que l'hydroélectricité produite soit gérée selon des modalités économiques spécifiques. L'opérateur public chargé de l'exploitation des concessions mettrait cette électricité à disposition des consommateurs, selon deux directions : par la vente de 75 % de l'électricité produite au consommateur via les tarifs réglementés de vente ; par l'intégration à l'ARENH des 25 % restants, L'ARENH ne signifierait plus alors « Accès régulé à l'électricité nucléaire historique », mais « Accès régulé à l'électricité nucléaire et Hydraulique ». Précisons que ce ratio de 75 % 25% correspond au ratio d'électricité nucléaire intégré à l'ARENH, selon les dispositions de la loi NOME, et que ce montage peut être bien évidemment modifié.
L'élargissement de l'ARENH à l'électricité d'origine hydraulique (25 %) est une garantie incontestable donnée à la Commission européenne. Cette solution favorise même davantage la concurrence qu'une simple remise en concurrence de l'ensemble des concessions. Car ici, le résultat est certain : un quart de la production va à la concurrence.
Les avantages de cette solution sont nombreux.
Premier avantage : elle serait très facile à mettre en oeuvre et nécessiterait très peu d'adaptations par rapport à la situation actuelle. Le processus de mise en concurrence, très long et coûteux, serait abandonné. Quant à l'ARENH, il s'agit d'un dispositif qui existe déjà et qui a été validé par la Commission européenne. La question du renouvellement des concessions serait donc réglée « en douceur », en s'inscrivant pleinement dans le cadre juridique du système électrique français ;
Deuxième avantage : elle réduirait considérablement la problématique sociale de la mise en concurrence des barrages, les salariés ayant désormais des perspectives claires sur leur avenir.
Troisième avantage : le principe d'un parc hydraulique intégré serait réaffirmé, ce qui sécuriserait le processus de transition énergétique.
Quatrième avantage : il pourrait être défini un cadre national unique définissant les relations entre le concessionnaire et les collectivités territoriales.
Cinquième avantage : l'intégration de 25 % de l'hydroélectricité à l'ARENH constituerait un signal fort pour les électro-intensifs. Ils auraient directement accès à une électricité de pointe au coût de production.
Dernier avantage : le consommateur particulier continuerait de bénéficier de la rente hydraulique à travers les tarifs réglementés de vente.
Mais cette solution nécessite une négociation avec la Commission européenne pour pouvoir être mise en oeuvre.
La qualification de l'hydroélectricité en service d'intérêt économique général peut être juridiquement contestée car elle repose sur des éléments d'appréciation. La mise en oeuvre d'une telle solution nécessite donc l'approbation de la Commission européenne. Cette dernière a toujours admis l'existence de droits exclusifs aux profits des entreprises de transport et de distribution d'énergie, mais s'est refusée à faire entrer dans le champ des SIEG les activités de production.
Il faudrait donc parvenir à lui démontrer que les contraintes posées au concessionnaire unique en termes de mise à disposition de l'électricité hydraulique sont suffisantes. Les chances d'y parvenir semblent réduites, au vu de la position ferme de la Commission européenne en faveur de la mise en concurrence. En réalité, un tel scénario aurait mérité d'être poussé dans le cadre de la discussion du projet de directive sur les concessions.
Troisième scénario : l'exploitation des concessions hydrauliques par un établissement public.
La transformation de EDF en société anonyme nous a privés d'une solution simple, le renouvellement automatique des concessions. Mais la Cour de justice européenne a reconnu de façon constante la possibilité de déroger au principe de mise en concurrence lorsque l'exploitation du service public s'effectue en quasi-régie. Les juristes parlent d'une exploitation « in-house ». Une telle dérogation à l'obligation de mise en concurrence, permise par la loi Sapin, est cependant soumise à deux conditions. D'une part, la collectivité publique concédante doit exercer sur l'établissement chargé de l'exploitation un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services. D'autre part, le concessionnaire doit exercer l'essentiel de son activité pour elle.
Le principe de ce 3ème scénario alternatif à la mise en concurrence est de proposer un schéma qui respecte les critères jurisprudentiels de l'exploitation « in-house ». L'activité hydraulique d'EDF serait filialisée, puis rachetée par l'État et transformée en établissement public.
Un établissement public dont l'activité exclusive est l'exploitation des concessions hydroélectriques et qui n'entre pas en concurrence avec d'autres producteurs remplit l'ensemble des critères pour être déchargé de l'obligation de publicité et de remise en concurrence. Cette solution est donc parfaitement compatible avec le droit communautaire.
Les avantages de cette solution sont assez similaires à ceux de la solution précédente. Comme dans le deuxième scénario, il est possible de faire profiter de la rente hydraulique les consommateurs et les électro-intensifs.
Alors que dans le système de mise en concurrence, le concessionnaire qui remporte l'appel d'offre, moyennant le paiement d'une redevance, peut bénéficier de l'électricité produite à sa guise, l'établissement mettrait cette électricité à disposition des consommateurs, selon deux directions : par la vente à EDF de 75 % de son électricité, à la condition qu'elle serve à alimenter les clients au tarif réglementé de vente ; par l'intégration à l'ARENH des 25 % restants.
L'hydroélectricité continuerait donc de tirer à la baisse les tarifs des ménages. Dans le même temps, en laissant aux électro-intensifs l'accès à l'ARENH, ces derniers pourraient bénéficier d'une électricité en période de pointe au coût de production. Du point de vue de la maîtrise des prix de l'électricité, ce 2ème scénario s'avère donc particulièrement convaincant.
Deuxième avantage : ce scénario permet d'associer directement les collectivités territoriales à la gestion de l'opérateur unique des concessions.
La création d'un opérateur dédié à l'exploitation des concessions serait l'occasion de renouveler la gouvernance des cours d'eau. Le modèle de la CNR pourrait être transposé à l'identique. Il pourrait être envisagé la présence des élus locaux au conseil d'administration national et aux conseils locaux ainsi que le financement de missions d'intérêt général, dont le contenu ferait l'objet d'un travail de concertation.
Que l'opérateur soit spécialisé, et non une simple branche d'activité d'EDF, favoriserait également la prise en compte de la problématique environnementale.
Troisième avantage : se donner un contrôle total de l'outil de production hydroélectrique dans la perspective de la transition énergétique.
L'exploitation en quasi-régie sous la forme d'un établissement public constituerait une garantie particulièrement forte de maintien du contrôle public des ouvrages hydrauliques. A terme, il n'y aurait pas non plus de concurrence entre opérateurs situés sur une même chaîne, l'ensemble des ouvrages étant destinés à intégrer le portefeuille de l'établissement public.
Dans un contexte de libéralisation croissante, la sanctuarisation du contrôle public sur les actifs stratégiques que sont les barrages constitue une garantie forte.
Quatrième avantage : régler dès aujourd'hui l'avenir de l'ensemble du parc hydroélectrique. L'établissement public serait doté du portefeuille de contrats de concession auparavant propriété d'EDF. Chacun de ces contrats pourrait être renouvelé à échéance, du fait de l'exonération de l'obligation de mise en concurrence. Dans le schéma proposé, nous avons donc la garantie que le parc hydraulique sera exploité par le même acteur, et ce sans limite de durée.
Cinquième avantage : donner aux salariés de l'hydroélectricité une perspective claire sur leur avenir. Selon l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par cession, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. Toutefois, avant que la cession n'intervienne, il est possible de signer un protocole d'accord qui prévoie un droit de reprise. Lors du changement de contrôle de la filiale hydroélectricité, les salariés auraient le choix de rester salariés d'EDF ou bien de changer d'employeur au moment du transfert des ouvrages.
De ce point de vue, la situation peut sembler proche du schéma d'une mise en concurrence classique. Cependant, la différence d'approche serait bien différente car ils auraient la possibilité d'intégrer un opérateur national, spécialisé dans l'hydroélectricité, exploitant l'ensemble du parc, et non un énergéticien étranger, ayant la concession d'une poignée d'ouvrages en France et disposant de la plupart de ses fonctions support hors des frontières.
Dernier avantage : animer la concurrence du marché de l'électricité, selon les voeux de la Commission européenne, par l'intégration de 25 % de l'électricité produite à l'ARENH. Il est probable que cette solution satisfasse davantage les desseins de la Commission européenne que la remise en concurrence des concessions, dont l'issue est aléatoire. Après tout, rien n'exclut que les concessionnaires sortants remportent tous les appels d'offre !
Les inconvénients de cette solution sont au nombre de deux. Le premier est le coût du rachat par la puissance publique. Cette solution imposerait le rachat de l'activité hydraulique d'EDF par l'État. L'actif des concessions hydroélectriques est valorisé à 7,2 milliards d'euros dans le bilan d'EDF, dont l'État possède 84 % du capital. Le coût net d'un tel rachat s'élève donc à 1,150 milliard d'euros.
Le second est la perte de l'activité hydroélectrique pour EDF. Il est clair qu'une telle solution demanderait de gros efforts d'adaptation de la part de l'entreprise EDF, qui a déjà été fortement déstabilisée par les règles issues des directives européennes en matière d'énergie.
Cette évolution n'en est pas moins réalisable : c'est le processus qui a donné lieu à la CNR telle que nous la connaissons aujourd'hui, c'est-à-dire un exploitant d'électricité indépendant, disposant de sa propre salle de marché.
Dernier scénario : passer du régime de la concession à celui de l'autorisation pour évoluer vers la création d'une société bâtie sur le modèle de la CNR.
Si le régime de la concession est soumis à des obligations de remise en concurrence, rien n'est prévu pour des ouvrages qui seraient la propriété de l'exploitant. C'est grâce à ce régime que la plupart des grands pays européens de l'hydraulique arrivent à échapper à l'obligation de remise en concurrence.
En France, seules les installations d'une puissance inférieure à 4,5 MW sont soumises au régime d'autorisation. Le principe de ce troisième scénario serait de l'étendre à l'ensemble des installations hydroélectriques.
Une fois de plus, nous nous sommes inspirés de mécanismes qui avaient déjà été utilisés auparavant, en l'espèce à deux reprises : lors du transfert à EDF de la propriété du réseau de transport d'électricité (article 4 de la loi n° 97-1026 du 10 novembre 1997 portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier) ; lors du transfert à GDF du réseau de transport de gaz (article 81 de la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de Finances rectificative pour 2001).
Trois étapes seraient nécessaires. D'abord, la résiliation de l'ensemble des contrats de concession et le paiement d'indemnités d'éviction au concessionnaire sortant. Le calcul des indemnités serait réalisé par un magistrat de la Cour des comptes (tel que c'était prévu lors du transfert à GDF du réseau de transport de gaz). Ensuite, le transfert des actifs hydrauliques à une « compagnie nationale hydraulique », dont les statuts prévoient qu'elle doit rester majoritairement publique. Enfin, la prise de participation du concessionnaire sortant dans la société créée, sur le modèle de la CNR – dont GDF détient actuellement 49,9 % du capital.
Les avantages de cette solution, sont proches de ceux de la solution précédente. Le premier est de faire profiter de la rente hydraulique aux consommateurs et aux électro-intensifs, selon le même schéma que dans le scénario précédent.
Le deuxième avantage est de régler dès aujourd'hui l'avenir de l'ensemble du parc hydroélectrique. Le passage à un régime d'autorisation nous libèrerait de la question du calendrier d'échéance des contrats de concession. Désormais, l'exploitation des ouvrages serait confiée à la compagnie nationale hydraulique sans limite de durée.
Le troisième avantage est d'associer directement les collectivités territoriales à la gestion de l'opérateur unique des concessions. Il pourrait être envisagé le même type de participation des collectivités territoriales que dans la solution précédente : une présence au conseil d'administration de la compagnie nationale et un financement de missions d'intérêt général, dont le contenu serait défini en concertation avec les collectivités.
Le quatrième avantage est de se donner un contrôle total de l'outil de production hydroélectrique dans la perspective de la transition énergétique. Si la formule d'une compagnie nationale donne moins de garanties que celle d'un établissement public, elle présente tout de même l'avantage de maintenir le principe d'un exploitant national du parc hydraulique.
Le cinquième avantage est de donner aux salariés de l'hydroélectricité une perspective claire sur leur avenir. Ce schéma offrirait une configuration favorable aux salariés. Conformément au droit du travail, les contrats de travail seraient transférés au nouvel employeur, tandis que la présence au capital d'EDF faciliterait les passerelles entre les deux entités, leur garantissant ainsi des possibilités d'évolution de carrière intéressantes.
Dernier avantage, cela animerait la concurrence du marché de l'électricité, selon les voeux de la Commission européenne. Comme dans la solution précédente, le fait d'alimenter l'ARENH avec l'électricité hydraulique offre des possibilités supplémentaires aux fournisseurs alternatifs de concurrencer l'opérateur historique.
Cette solution présenterait un seul inconvénient : la sortie du régime de la concession. La sortie du régime de la concession signifie que l'État perd la propriété des actifs hydrauliques. Le risque est qu'en cas de privatisation de l'établissement, ces actifs soient cédés à un opérateur privé. Si un tel risque ne doit pas être sous-estimé, rappelons tout de même que le réseau de transport d'électricité qui constitue un enjeu de sécurité et d'indépendance nationale encore plus important, est lui aussi sous le régime d'autorisation. De plus, il est possible d'envisager des dispositions législatives imposant que le capital de la compagnie nationale créée soit à majorité publique. L'introduction de plusieurs acteurs au capital de la société (CDC, collectivités, EDF) et l'attribution à l'État d'une action spécifique – golden share –pourraient également constituer des garanties.
Mes chers collègues, nous avons terminé la présentation des solutions alternatives que nous avons élaborées, en espérant que cette présentation ne vous ait pas paru trop complexe. Il nous semblait essentiel, dans un contexte de fort développement des énergies renouvelables, de garder la maîtrise de notre outil de production hydraulique, seul moyen de stockage dont nous disposons aujourd'hui. Enfin, est-il besoin de rappeler le précédent de la libéralisation des concessions autoroutières, récemment mis en exergue par la Cour des comptes ? Nous ne sommes pas obligés de répéter nos erreurs…