Intervention de Bruno Sido

Réunion du 10 septembre 2013 à 18h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bruno Sido, en remplacement de Jean-Yves le Déaut, député, premier vice-président, empêché :

Le concept de transition énergétique fait référence implicitement aux précédentes phases de grand bouleversement technologique qui ont modelé la société d'aujourd'hui : la diffusion de la machine à vapeur, puis de l'électricité aux XIXe et XXe siècles ; l'accès au confort de vie généralisé avec l'automobile et les appareils ménagers au milieu du XXe siècle; la nouvelle révolution de l'électronique et des technologies de l'information à la fin du XXe siècle.

Il existe cependant une différence fondamentale entre ces précédentes transitions et la transition énergétique d'aujourd'hui. Les premières ont résulté de vagues technologiques, nées d'initiatives d'entrepreneurs, qui se sont progressivement imposées aux mécanismes de consommation et d'investissement, puis à l'ordre social, tandis que l'actuelle transition énergétique traduit, à l'inverse, l'expression d'une demande sociale qui essaye de s'imposer à l'appareil productif. L'incontestable légitimité de cette demande sociale, née notamment de la prise de conscience des conséquences dommageables du changement climatique, ne change rien à ce constat d'inversion conceptuelle, qui montre qu'il sera très difficile de réussir la transition énergétique si les évolutions de l'offre, et donc les processus d'innovation, ne sont pas pris en compte dans leur dynamique propre.

On ne réussira pas la transition énergétique dans les conditions techniques actuelles. En effet, cette transition implique notamment d'abaisser les coûts et d'améliorer encore la performance des outils pour accroître l'efficacité énergétique et orienter vers plus de sobriété énergétique. En outre, elle appelle à accroître les efforts au profit des technologies de rupture tout à fait cruciales comme le stockage d'énergie.

L'OPECST a perçu d'emblée cette dimension déterminante de l'innovation dans la réussite de la transition énergétique, et en a fait le thème de sa contribution principale au débat national, en organisant l'audition publique du 6 juin. Cette audition s'est notamment attachée à faire le point sur la mobilisation des petites entreprises innovantes.

À l'inverse, cette dimension n'a pas été prise en compte à hauteur de son importance dans le cadre des travaux du débat national, et la synthèse adoptée le 18 juillet ne lui fait pas la place centrale qui devrait lui revenir.

Les travaux de l'OPECST, notamment le rapport de janvier 2012 que j'ai rendu avec Claude Birraux sur « L'innovation à l'épreuve des peurs et des risques », permettent de dégager les principaux points de blocage de l'innovation, et les leviers d'action possibles pour son développement.

Pour les phases amont de l'innovation, on peut se féliciter de l'existence d'un dispositif de soutien public assez consistant pour les sujets concernant la transition énergétique : pour la recherche scientifique de concepts, l'Agence nationale de la recherche alloue sur projet environ 50 millions d'euros par an ; pour la validation technique des concepts, c'est-à-dire la valorisation, les moyens propres de l'ADEME apportent un soutien de l'ordre de 350 millions d'euros par an ; à cela s'ajoute la capacité d'investissement procurée par le dispositif des Investissements d'avenir, atteignant le milliard d'euros, et répartie principalement entre la mise en place des démonstrateurs (Futurol, BioTfuel, Gaya, pour les biocarburants de deuxième génération) et la création des Instituts d'énergies décarbonées (par exemple, France Energies marines consacré aux énergies de la mer).

En revanche, les deux phases plus avancées de l'innovation, celles des procédures réglementaires et de l'industrialisation à l'échelle 1 en vue la commercialisation, posent problème.

En effet, tout projet d'innovation doit passer par des étapes obligatoires de procédures réglementaires, puisque tout nouveau produit doit être, peu ou prou, confronté aux normes fondamentales de santé et de sécurité, et toute installation nouvelle implique, d'une manière ou d'une autre, des formes de consultation préalable des riverains. À ce stade, les délais sont inévitables, et le projet innovant se trouve de ce fait en situation périlleuse si son assise financière est trop étroite ; car il lui faut continuer à payer les salaires, les services, les impôts et les cotisations sociales, alors que l'autorisation de vendre ou d'exploiter n'est pas encore accordée.

À cet égard, il faut observer que l'air du temps est plutôt au renforcement des procédures, du fait de la montée évidente de la sensibilité sociale aux risques. Pour favoriser la transition énergétique, il importe donc de se pencher sur ces procédures, pour en conserver l'efficacité, tout en s'efforçant d'en réduire les excès préjudiciables à l'innovation. L'OPECST s'est emparé de cette question des freins réglementaires à l'innovation, pour le cas des technologies de l'efficacité énergétique des bâtiments ; le sénateur Marcel Deneux et moi sommes chargés de cette étude. Pour ce qui concerne les procédures de consultation publique, dont la durée est presque systématiquement rallongée par des recours, une suggestion serait de constituer un corps de magistrats spécialisés, comme je l'ai proposé en 2002 en ma qualité de rapporteur de la commission d'enquête dite» AZF » sur la sûreté des installations industrielles (propositions 89 et 90) ; cette idée a été reprise dans un rapport de l'OPECST de 2011 de Claude Birraux et Christian Bataille, qui se sont intéressés au modèle suédois du « tribunal de l'environnement », dont les juges sont pour partie des spécialistes de haut niveau des questions d'environnement ; la professionnalisation des magistrats devrait, à tout le moins, permettre d'accélérer les jugements ; or tout gain sur les délais favorisera l'éclosion plus rapide des solutions innovantes de la transition énergétique.

L'autre phase critique de l'innovation concerne le financement du passage à l'industrialisation. C'est couramment à ce stade que le besoin de financement change d'échelle : de la dizaine ou de la centaine de milliers d'euros, on passe alors aux millions, voire aux dizaines de millions d'euros. Nombre de petites entreprises innovantes échouent dans le franchissement de cette étape, et sont rachetées par des groupes internationaux ; dans le meilleur des cas, ce sont des groupes d'origine française. C'est l'étape de la traversée de « la vallée de la mort ». La banque publique d'investissement s'efforcera d'intervenir à ce moment critique de la vie des entreprises, à travers un « prêt pour l'innovation » qu'il sera possible de gager pour partie par des recettes futures de marché ; c'est du moins ce que nous avons appris au cours de l'audition publique du 6 juin.

L'annonce, le 9 juillet 2013, par le Premier ministre, de l'affectation pour moitié à la transition énergétique de l'enveloppe des 12 milliards d'euros pour dix ans constituant la deuxième phase des « Investissements d'avenir », confirme la volonté de l'Etat de mobiliser des moyens en rapport avec les besoins de la bonne fin des processus d'innovation.

Une idée complémentaire, émise par le Comité Richelieu, serait de favoriser le parrainage des petites entreprises innovantes par des grands comptes, qui s'engageraient à devenir leurs premiers clients. C'est une idée qui a également été évoquée, en soutien aux technologies militaires, au cours de l'Université d'été de la défense, dont je reviens. Il est clair que toutes les solutions s'appuyant d'abord sur le marché plutôt que sur des fonds publics garantiront mieux la pérennité et la diffusion des solutions innovantes de la transition énergétique, et c'est ce qui fait l'importance du dispositif du crédit d'impôt recherche.

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