Intervention de Bruno Sido

Réunion du 10 septembre 2013 à 18h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bruno Sido, en remplacement de Jean-Yves le Déaut, député, premier vice-président, empêché :

Jean-Yves Le Déaut, avec sa connaissance approfondie des questions de l'innovation, vient d'évoquer les conditions de l'adaptation de l'offre pour la réussite de la transition énergétique. Pour ma part, je voudrais revenir sur les conditions de l'adaptation de la demande ; celle-ci concerne les comportements d'appropriation par les agents économiques des nouvelles modalités de consommation de l'énergie, qui doivent faire une place croissante, d'une part, aux économies d'énergie, d'autre part, à l'utilisation des énergies renouvelables.

À cet égard, on peut observer que les grandes catégories d'agents économiques que sont les administrations publiques, les entreprises, les ménages, ont des comportements très différents.

En gros, les administrations ne peuvent qu'obtempérer aux instructions de leur tutelle, pour autant que celle-ci leur en octroie les moyens financiers ; les entreprises se laissent entraîner, et même deviennent pour certaines pro-actives, parce qu'elles y voient le moyen d'adapter leur communication et leur image à l'air du temps ; de toute façon, elles ont un intérêt direct à investir dans les économies d'énergie.

La réaction des ménages soulève plus de problèmes.

Il n'y a plus de doute quant à la prise de conscience par la population du changement climatique, mais les actes ne la traduisant suivent que pour autant qu'ils soient gratuits et occasionnels. Suivre les consignes de tri des déchets, prendre son vélo ou aller à pied quand il fait beau, c'est déjà un progrès. De là à modifier ses arbitrages d'investissement et de consommation en privilégiant, à chaque fois, la dimension du développement durable sur le coût, il y a un fossé.

On peut observer que même les ménages les plus aisés, c'est à dire ceux qui auraient la possibilité matérielle de jouer ce rôle d'avant-garde dans la réorientation des arbitrages individuels, réagissent encore essentiellement selon les schémas traditionnels. Typiquement, les clients des grosses cylindrées continuent à valoriser l'image de puissance et de prestige associée à leur investissement, et les quelques avancées écologiques du véhicule ne comptent pour eux que par surcroît ; il ne faudra pas espérer de leur part une utilisation de leur pouvoir d'achat pour faciliter, sans subvention, le déploiement des nouvelles motorisations plus écologiques.

Dans la mesure où les effets d'entraînement et les mécanismes d'imitation des classes supérieures vont peu jouer, les classes moyennes ne vont donc déplacer leurs consommations et leurs investissements à l'appui de la transition énergétique que pour autant qu'elles y seront incitées financièrement ou contraintes. Ainsi, ce n'est pas du tout par hasard qu'une partie du débat national sur la transition énergétique a porté, d'un côté, sur les avantages relatifs du renforcement des subventions, et, de l'autre, sur la formulation d'obligations.

De fait, du point de vue des flux économiques, les deux dispositifs apparaissent assez équivalents. En effet, il faut tenir compte de ce que toutes les formes d'aides sont financées par des prélèvements, qui portent de surcroît pour l'essentiel sur les classes moyennes. D'un côté, avec les obligations, qui pourraient concerner, par exemple, la rénovation des bâtiments anciens, on force les ménages à affecter une part de leur revenu à une dépense qui n'est peut-être pas dans leurs premières priorités ; de l'autre, avec les aides, on leur confisque par l'impôt la même somme, pour la leur restituer s'ils font l'investissement. Si la somme est mobilisée a priori sous forme de dette publique, l'impôt est prélevé plus tard, pour rembourser, mais cela ne change rien à l'affaire : c'est une sorte de jeu de bonneteau, dont le résultat est une allocation forcée de ressources.

Pourquoi pas après tout si c'est pour lutter contre le changement climatique, et donc pour le bien de tous ! Le problème, c'est que cette allocation forcée se fait au détriment d'autres secteurs de l'économie. Et cela ne signifie pas seulement des pertes de marché pour les énergies fossiles; tous les secteurs sont concernés par une ponction sur le pouvoir d'achat, car le budget des ménages pour les loisirs, ou pour l'habillement, s'en trouve aussi réduit. Les créations d'emploi dans le secteur qui bénéficie de la ponction se font en contrepartie des destructions d'emplois dans d'autres secteurs.

Le bilan peut être globalement positif si les effets de diffusion ont le temps de jouer. Mais il faut craindre qu'une ponction trop violente, c'est-à-dire très forte sur un temps trop court, n'ait des effets contreproductifs.

À cet égard, notre rapport présente quelques estimations d'ordre de grandeur et les rapproche des chiffres produits par le groupe 4 du débat national, qui s'est attaché à analyser les conditions du financement de la transition énergétique : la mobilisation financière envisagée représente des centaines de milliards d'euros sur trois ou quatre décennies. Ce sont des montants considérables.

Ces montants sont tout à fait en ligne avec les chiffres allemands : 1 000 milliards d'euros jusqu'à 2040, selon le ministre fédéral de l'environnement, M. Peter Altmaier. Sauf que l'économie allemande s'enrichit tous les ans de ses excédents commerciaux (188 milliards d'euros en 2012), là où la France doit, en plus, faire face au financement de son déficit extérieur (67 milliards d'euros en 2012).

Il nous paraîtrait donc raisonnable, d'un côté, de maintenir une forte priorité pour les aides aux ménages les moins favorisés, et, de l'autre, d'étaler l'effort demandé aux ménages des classes moyennes en assouplissant le calendrier, de manière à ce que celui-ci empiète sur la seconde partie du siècle. L'effort d'ajustement de la demande s'en trouverait ainsi plus en phase avec le rythme d'évolution de l'offre, permettant à notre économie de mieux absorber le choc de la transition. Je reviendrai sur ce point en conclusion.

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