Intervention de Bruno Sido

Réunion du 10 septembre 2013 à 18h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bruno Sido, en remplacement de Jean-Yves le Déaut, député, premier vice-président, empêché :

Notre conclusion principale est qu'il faut laisser du temps au temps. Elle s'impose pour nous au vu des mécanismes en jeu du côté de l'offre, c'est à dire ceux de l'innovation et du déploiement technologique, mais aussi au vu des évolutions du côté de la demande, celles notamment qui permettront, peut-être, ces économies d'énergie très substantielles annoncées par les scénarios de l'Ademe, de Negawatt, de Greenpeace.

Notre temps de référence, c'est celui de la fin du siècle, horizon de la « trajectoire raisonnée » que j'ai eu l'honneur de proposer au nom de l'OPECST, avec mon co-rapporteur, Christian Bataille, dans le cadre du rapport de décembre 2011 sur « L'avenir de la filière nucléaire ». Le retrait de l'énergie nucléaire s'effectuerait progressivement par remplacement de 3 gigawatts en fin de vie par 2 gigawatts de génération nouvelle. Vers 2100, demeurerait un « socle énergétique » équivalent à environ 30 % à 40 % de la capacité de production électrique totale actuelle, mais en réacteurs de quatrième génération, c'est à dire s'alimentant avec les résidus de l'énergie nucléaire d'aujourd'hui, à savoir les stocks d'uranium appauvris, et probablement, certains déchets de très haute activité (l'américium). Ce socle énergétique permettrait de faire fonctionner pour plusieurs siècles un parc de production très majoritairement à base d'énergies renouvelables, adossé à des dispositifs de stockage d'énergie.

La progressivité de cette trajectoire raisonnée vise spécialement à laisser le temps de la mise au point des dispositifs de stockage d'énergie, évoqués par Jean-Yves Le Déaut, qui sont la condition indispensable à un déploiement à très grande échelle des énergies « variables » : vent et soleil, de loin les plus abondantes des sources renouvelables.

Ce calendrier, assoupli par rapport aux échéances envisagées dans le cadre du débat national, devrait notamment permettre à l'économie de mieux supporter les efforts financiers qu'impliquera la mise à niveau progressive du parc des bâtiments anciens, véritable clef de la réalisation d'économies d'énergie d'ampleur macroéconomique. Il s'agit là d'une démarche moins précipitée mais d'autant plus solide qu'elle permettra sans doute de constater plus sûrement les effets de ces économies d'énergie massives, notamment sur le solde commercial, et à partir de là, d'autoriser une décroissance plus rapide du recours à l'énergie nucléaire.

On ne peut pas prendre des décisions qui engageraient l'avenir de notre pays sur des paris. Avant d'avancer dans le démantèlement de nos forces de production énergétique d'aujourd'hui, il faut vérifier que les promesses en matière d'économies d'énergie se réalisent, et que les ressources alternatives en énergies renouvelables opèrent la substitution attendue, à qualité de service équivalente, et sans plus aucune subvention. À cet égard, l'hypothèse d'une réduction du parc nucléaire, dès 2025, à 50 % de la capacité de production électrique totale, paraît plus que problématique, sauf à espérer d'imminentes ruptures technologiques majeures. Il faut avoir conscience que cela équivaudrait d'ici douze ans à l'équivalent de l'effacement total, pour l'ensemble de l'économie, d'une à deux journées de consommation électrique par semaine.

L'OPECST s'est trouvé engagé dans l'analyse des questions énergétiques dès son deuxième rapport en 1987, à propos de l'accident de Tchernobyl. Il a manifesté depuis vingt-six ans, à travers une trentaine de rapports concernant l'énergie, sur les 155 qu'il a produits, une grande constance dans l'approche de ces questions. Cette approche combine, d'un côté, un soutien à l'exploitation des atouts industriels du pays, en incitant constamment au renforcement des dispositifs de sûreté et de sécurité, et, de l'autre, un vrai souci de l'ouverture aux technologies nouvelles, et notamment à celles qui permettent l'exploitation des énergies renouvelables.

Cette position de l'Office n'est pas toujours comprise, car elle n'est pas simpliste, ni partisane ; pourtant elle présente une cohérence forte autour du soutien au processus d'innovation, qui veut que les activités industrielles mûres produisent, directement ou indirectement, les revenus qui servent à financer le développement des activités industrielles émergentes, jusqu'au moment où celles-ci deviennent assez fortes et compétitives pour empiéter sur le marché de celles-là.

Le pétrole, le gaz, et l'atome contribuent, par des prélèvements fiscaux, à la maturation des technologies destinées à les remplacer à terme, partiellement sinon totalement. Parallèlement, ces prélèvements financent les activités de recherche, de conception, de développement, de production d'équipements, nécessaires à l'exploitation des énergies renouvelables.

Peut-on accélérer ce processus ? On peut du moins veiller à ne pas l'entraver, et à ne pas le laisser dériver vers des impasses. Tel est le principal enjeu, selon nous, de la transition énergétique. Un volontarisme trop affirmé risquerait d'avoir des effets contre-productifs : il faut de l'énergie ancienne pour produire de l'énergie nouvelle.

Comme il en a la vocation dans le cadre de ses travaux, l'OPECST continuera à suivre, par-delà la fin du débat national, le devenir de la transition énergétique, soit à propos d'aspects spécifiques, comme ceux sur lesquels il va rendre des rapports dans les prochains mois (hydrocarbures de gisements non conventionnels, hydrogène et stockage d'énergie, voiture écologique, verrous réglementaires dans l'efficacité énergétique des bâtiments), soit en organisant régulièrement des auditions publiques permettant un suivi plus général.

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