Intervention de Jean-Philippe Nilor

Séance en hémicycle du 9 octobre 2012 à 21h30
Régulation économique outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Nilor :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, après l'immense déception engendrée par l'inefficacité des mesures prises en 2009 à la suite de la propagation des soulèvements populaires contre la « profitation », le présent texte suscite une grande espérance.

Les mesurettes d'alors n'ont entraîné aucune baisse des prix réelle et durable. Aussi le pouvoir d'achat n'a-t-il cessé de s'effondrer face à la crise doublement ressentie dans nos territoires.

C'est dire que désormais, nous n'avons pas le droit à l'erreur : nous avons en effet l'obligation de nous munir d'une boîte à outils suffisamment complète et performante pour améliorer les conditions de vie quotidienne et de survie de nos concitoyens.

Oui, trop d'erreurs ont été commises par le passé. Des erreurs d'analyse, de diagnostic, de sémantique, de logique et de politique économique ont conduit tous les gouvernements à des échecs récurrents outre-mer.

Ce projet de loi, je dois le reconnaître, entend marquer une certaine rupture avec les politiques publiques menées jusqu'ici outre-mer, lesquelles n'ont pas su, voulu ou pu poser les jalons d'un véritable développement. Pour une fois, nombre de nos compatriotes ont envie de croire que l'État n'est pas du côté des profiteurs.

Dans nos territoires, les prix des produits alimentaires sont de 30 à 50% plus élevés qu'en métropole, et les marges atteignent allègrement 40 à 50%, contre 2 à 3% dans l'hexagone, alors même que les revenus des ménages en outre-mer sont inférieurs de 38%.

À l'évidence, nos économies connaissent une concentration extrême, à la fois verticale et horizontale. Au carrefour de ces deux mouvements, on mesure aisément le chemin de croix vécu par les consommateurs, notamment les plus captifs, les plus défavorisés. Pour mettre un terme définitif aux nombreuses pwofitasyons sur les marges avant et arrière et sur les prix, et pour lutter concrètement contre la vie chère, pouvons-nous objectivement nous satisfaire d'une simple régulation économique ?

Il est vrai que la version initiale du projet de loi accordait un monopole – c'est un comble ! – aux solutions privilégiant la régulation des structures de marché. Cette première approche, exclusive et qui excluait parfois d'autres solutions, n'a pas résisté à la concertation large et intelligente menée sur le terrain par le ministère des outre-mer. En effet, la boîte à outils s'est progressivement enrichie d'un bouclier qualité-prix, visant l'encadrement des prix d'une liste limitative de produits de consommation courante, ainsi que d'un pouvoir de saisine directe des collectivités locales, et je m'en félicite.

Toutefois, il convient encore d'ouvrir le champ d'application de la loi, en tenant compte de la multiplicité des secteurs à réguler ou à encadrer, et de la complexité des interrelations entre ces secteurs : les transports, le fret, les banques, la téléphonie, les pièces détachées automobiles, le numérique, les carburants, etc.

En outre l'impératif de baisse des prix, si louable soit-il, ne doit pas pour autant causer la mort pure et simple du petit commerce de proximité, ni de la production locale. Nos productions n'ont pas vocation à hériter de miettes : elles doivent pouvoir pénétrer le monde, jusqu'ici hermétique, de la grande distribution. De même, nos pays n'ont pas vocation à être de simples déversoirs pour des marchandises importées : ce scénario découragerait toute initiative individuelle ou collective et nous maintiendrait dans une situation de dépendance qui ne ferait que s'accroître.

La défense de la production locale passe aussi par le maintien de l'octroi de mer : nous sommes nombreux à considérer que, s'il doit être amendé, il ne doit pas être remis en cause fondamentalement. La régulation doit aussi favoriser l'accélération des procédures et desserrer les freins administratifs qui pénalisent nos entreprises. Dans cette perspective, j'appuie clairement le transfert des registres du commerce aux CCI.

Pour garantir les conditions d'une concurrence effective, loyale et durable, l'instauration d'une autorité régionale de la concurrence ou, à défaut, d'une antenne régionale relève d'une impérieuse nécessité. Un ancrage dans nos bassins géographiques respectifs est indissociable du développement de nos régions. À titre d'exemple, la Martinique pourrait bénéficier de la géothermie de la Dominique, du gaz de Trinidad, du pétrole du Venezuela. De même, nos voisins pourraient bénéficier du savoir-faire de nos entreprises. Cela impose de faire exploser le verrou du pacte colbertiste de l'exclusif colonial. À ce jour, notre développement n'est ni en retard, ni structurellement handicapé : il est tout simplement bloqué.

Je sais bien qu'une seule loi, si ambitieuse soit-elle, ne peut pas embrasser toutes les problématiques, pas plus que les cinq minutes qui me sont imparties ne me permettent d'aborder tous les problèmes de fond. (Sourires) Je demeure cependant profondément convaincu qu'au-delà de cette loi, seule une politique globale et systémique des prix, des tarifs et des taux, une politique de diversification des sources d'approvisionnement et de distribution, de développement des réseaux de transports et de soutien à la production locale permettrait de marquer une rupture réelle et d'impulser, enfin, le vrai développement local, durable, solidaire et équitable que nous méritons pleinement.

Pour l'heure, je voterai la loi avec force conviction. Au terme de nos débats qui, je l'espère, permettront de poursuivre l'enrichissement du texte par l'adoption d'amendements le rendant encore plus opérationnel, plus efficace et en définitive plus applicable, je souhaite, monsieur le ministre, pouvoir le voter avec force enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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