Intervention de Frédéric Gagey

Réunion du 18 septembre 2013 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Frédéric Gagey, président-directeur général d'Air France :

Air France est une entreprise à la fois très riche en capital et très riche en emploi, ce qui est particulier dans le monde des sociétés. La flotte des aéronefs coûte des milliards d'euros et il faut de très nombreux employés pour assurer une bonne relation commerciale avec les clients. Par ailleurs, et c'est un héritage historique, les compagnies aériennes portent haut les couleurs d'un pays : la queue des appareils d'Air France est frappée de l'emblème tricolore. Cet attachement persiste même si l'identification a été mise à mal par la mondialisation et par l'ouverture du secteur à la concurrence. C'est un premier paradoxe que je tenais à rappeler.

En outre, et c'est un second paradoxe, le secteur relativement jeune de l'aéronautique n'a jamais gagné d'argent depuis les balbutiements de l'aviation à la fin du XIXe siècle. C'est étonnant, car le transport aérien est fondamental pour ouvrir le monde aux citoyens et aux marchandises ; c'est surprenant car c'est une économie dynamique, dont l'élasticité par rapport au PIB est de l'ordre de 2. Mais en dépit d'une croissance fort appréciable, la position de ce secteur dans la chaîne de valeur ne lui permet pas de créer de la richesse. C'est un point à ne pas négliger au moment d'examiner la situation financière des compagnies.

J'en viens maintenant, plus précisément, à Air France et à ses performances d'ordre financier. Les premières années suivant la fusion avec KLM ont été heureuses et rentables. L'année 2008, avec le déclenchement de la crise économique et financière, a marqué la dégradation forte des résultats : depuis cette date, Air France a enregistré chaque année une perte opérationnelle. C'est déplaisant pour l'actionnaire et pour le directeur des affaires financières, comme dans toute entreprise, mais dans le secteur aérien, cela signifie surtout l'impossibilité de remplacer le capital qui s'est déprécié au cours de l'exercice. Or les avions vieillissent ; ils nécessitent un entretien constant et des investissements permanents. Une situation financière dans le rouge, c'est la voie de l'attrition. C'est pourquoi nous déployons tous les efforts de gestion possible, parmi lesquels le plan Transform 2015, pour retrouver ce que j'appelle « une trajectoire économique stable ».

Air France a perdu 400 millions d'euros en 2012, alors que l'année 2011 avait déjà signifié un résultat négatif de 500 à 600 millions d'euros. C'est une situation de fragilité extrême qui risque de voir dériver la compagnie vers une réduction de ses capacités à voler. Alexandre de Juniac, alors à la tête d'Air France, a défini une stratégie de redressement entre 2012 et 2015 pour revenir sur un chemin permettant de financer la croissance tout en réduisant la dette. Cela suppose un objectif de marge de 4 à 5 %. Je signale, au passage, que cette période difficile pour le groupe a été plutôt mieux traversée par KLM.

Transform 2015 représentait une économie de 1,5 milliard d'euros, soit un gain d'efficacité opérationnelle de l'ordre de 20 %. Nous avons engagé des négociations en ce sens avec toutes les catégories de personnel, négociations qui ont requis plus ou moins de temps : ce fut relativement rapide avec les pilotes et les personnels au sol, plus long mais tout aussi fructueux avec les personnels de cabine. Je tiens à signaler que, quels que soient les impacts, les salariés ont joué le jeu : nous avons avancé sur les dossiers de la modération salariale, sur la question du glissement vieillesse-technicité hérité de l'ancien statut d'entreprise publique, et sur les aménagements de temps de travail avec une hausse significative des jours travaillés dans l'année.

Ces discussions et les plans de rationalisation ont permis une amélioration immédiate, constatée mois après mois, de 10 % dès la fin de l'année 2012. Sur le premier semestre 2013, le résultat d'exploitation est supérieur de 100 millions d'euros à celui du premier semestre 2012 : ce n'est pas rien dans le secteur aéronautique. Un redressement comparable s'est opéré sur les deux mois d'été entre 2012 et 2013. Nous ressentons donc les effets des efforts accomplis, et pas uniquement dans le domaine financier. De nombreux projets ont visé une amélioration des produits et une montée en gamme : nouveaux sièges, nouvelles relations commerciales avec les clients. Je vois dans les équipes au sol, à chaque visite que j'effectue sur le terrain, des personnels convaincus dotés d'une motivation sans faille.

Malgré ce redressement, la projection des résultats obtenus sur le reste de l'année 2013 ne permet pas encore de parvenir à l'équilibre du résultat d'exploitation. Nous avons donc décidé, comme c'était d'ailleurs convenu dès 2012, d'ouvrir des discussions pour poursuivre et finaliser Transform 2015. J'ai communiqué ce matin ma stratégie au comité d'entreprise.

En premier lieu, nous devons poursuivre notre démarche de développement des vols long-courrier pour utiliser tout le potentiel de l'aéroport Charles-de-Gaulle, qui peut être optimisé. Cela passe par une meilleure communication, un service amélioré et une prise en compte renforcée des attentes du marché. Roissy est le point nodal de notre réseau, et nos vols moyen-courriers doivent y conduire pour acheminer ensuite la clientèle vers les vols long-courriers.

En deuxième lieu, et la presse s'en est largement fait l'écho, l'activité cargo suscite le désarroi des managers face aux évolutions du marché, dont les volumes sont en chute libre dans toute l'Europe. C'est la conséquence directe de la progression du transport maritime. C'est aussi lié à l'évolution technologique qui veut que les marchandises de valeurs soient de moins en moins des pondéreux. C'est enfin un effet de la concurrence de compagnies chinoises très agressives qui ont compris que la production de biens se trouvait désormais en Asie alors que les transporteurs restent majoritairement occidentaux. Devant ces difficultés, j'ai pris la décision de réduire la flotte des 747 dévolus intégralement à l'activité cargo, et de privilégier deux appareils plus efficaces et moins consommateurs de kérosène – deux 777 – pour venir en appoint de notre activité principale de transport de marchandises, que nous réalisons dans les soutes des aéronefs de nos lignes de passagers. Cette activité cargo en soute restera cruciale pour Air France. Par ailleurs et puisque nous parlions des 747, je signale que nous retirons aussi du service les appareils de ce type que comptait la flotte passagers.

En troisième lieu, les vols moyen-courriers seront maintenus tant sur Orly que sur le marché domestique, où nous détenons des parts de marché importantes. Mais il faut reconnaître que cette activité manque de dynamisme ; nous subissons la concurrence du train qui nous conduit depuis des décennies à diminuer nos capacités opérationnelles entre Paris et la province. La construction de la ligne à grande vitesse reliant Paris et Bordeaux ne nous facilitera pas la tâche à l'avenir. Nous ne pouvons plus envisager une forte croissance dans les années qui viennent ; il faudra donc continuer les ajustements. Notre réponse stratégique passe par le développement entre Orly et les grandes villes européennes des lignes de notre filiale Transavia. Nous sommes persuadés que si on laisse les concurrents d'Air France s'installer à Orly, ils menaceront le coeur de notre activité. Nous devons donc occuper l'espace et nous assurer que les liaisons avec Roissy soient convenablement organisées. Nous y poursuivrons notre croissance sur le segment long-courrier, grâce à l'organisation des connexions « qui vont bien », afin que nos voyageurs en provenance des grandes villes de province y trouvent des correspondances pour le reste du monde.

L'activité maintenance s'est bien développée dans les années passées, Air France ayant lourdement investi dans des équipements, à Toulouse mais aussi en région parisienne, à Rosny et à Villeneuve-le-Roi. Nous souhaitons confirmer notre présence sur ce marché de haute technologie avec entre autres les pièces de moteur, et développer notre chiffre d'affaires ainsi que l'emploi. Il s'agit d'un secteur profitable, que nous élargirons.

Tous ces éléments porteurs d'espoir pour les salariés d'Air France – le développement de Roissy, l'ouverture de nouvelles destinations, comme Panama ou Kuala Lumpur, suivies d'autres en 2014, et la persistance de notre empreinte sur le marché domestique – doivent se faire en poursuivant la rationalisation des coûts déjà engagée. C'est la raison pour laquelle nous avons, en respectant parfaitement les engagements qui avaient été pris dès 2012, proposé ce matin aux salariés d'Air France un plan de départs volontaires de 2 800 personnes. Le détail des postes sera examiné avec les syndicats lors du comité central d'entreprise du 4 octobre prochain. Il faut voir dans l'évolution des effectifs d'Air France un double effet : la réduction de nos capacités sur le marché intérieur, je l'ai souligné, et le développement de nouveaux outils opérationnels – que le secteur aérien intègre parfois avec retard – que sont l'enregistrement par Internet ou la dépose bagage automatique.

Cette dernière évolution explique que la création de valeur ajoutée se déplace des activités de service vers celles qui ont trait à la réparation et la création d'outils informatiques – comme nos bornes en libre-service dans les aéroports – et que des déplacements d'effectifs ont lieu d'une industrie vers l'autre.

Notre stratégie reste bien de croître et de développer les liaisons entre la France et le reste du monde.

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