Intervention de Michel Sapin

Réunion du 11 septembre 2013 à 16h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Monsieur le président, vous venez de rappeler que le nombre de PSE atteignait environ le millier par an ; il reste stable depuis plusieurs années, à l'exception de la grave crise économique de 2009. Dans au moins 30 % des cas, ces plans concernent des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaires, qui sont des situations très spécifiques.

Les licenciements économiques ne sont à l'origine que de 3 à 7 % des inscriptions à Pôle emploi, soit entre 150 000 et 300 000 personnes par an : les statistiques du chômage augmentent donc bien plus en raison de l'effet des fins de CDD ou des missions d'intérim qu'en conséquence des PSE. Cependant, ces chiffres bruts ne rendent pas compte de l'importance de tels événements : ces plans constituent, en effet, la partie visible des mutations qui affectent en profondeur notre économie et donc l'emploi, ce qui justifie une action des pouvoirs publics. Les intérimaires et les salariés en CDD sont les premiers touchés par les difficultés des entreprises et l'on sait à quel point - excessif - ces contrats précaires se sont répandus dans notre pays ; mais il ne faut pas perdre de vue que chaque destruction d'emploi intervenant dans le cadre d'un PSE se répercute sur la chaîne des sous-traitants, des prestataires, des très petites entreprises, des artisans et des commerçants.

Les PSE traduisent également une perte de potentiel industriel qu'il est ensuite difficile de reconstituer, contrairement à ce qui se passe pour certaines activités de services. Ils marquent l'échec de l'anticipation et l'absence d'adaptation négociée pour éviter de faire de l'emploi la variable d'ajustement, au prix d'un gâchis des compétences dans de nombreux territoires.

L'État a déjà agi sur ce sujet et devra continuer de le faire dans les prochaines années. Les commissaires au redressement productif (CRP) ont comblé un vide en améliorant la coordination des instances aptes à aider les entreprises avant qu'elles n'en arrivent à envisager des licenciements ; ils constituent pour les PME un référent apprécié et sont à même de mobiliser les différents outils de l'État et des collectivités territoriales. Ils ont ainsi contribué à sauver des milliers d'emplois.

Nous avons également souhaité donner un nouvel élan à la politique en faveur des filières : la création du conseil national de l'industrie (CNI) contribue au renforcement du tissu productif et à la montée en gamme des entreprises, gages d'emplois durables. J'ai veillé à ce que, dans ce domaine, toute notre politique d'emploi et de formation – contrats d'études prospectives et actions de développement de l'emploi et des compétences – soit étroitement coordonnée avec celle qu'anime le ministère du redressement productif ; ce point est crucial, car il n'y aura pas de filières industrielles performantes si les salariés ne possèdent pas les compétences requises pour les développer et pour occuper les nouveaux emplois. La charte automobile pour les années 2012-2015, que j'ai signée en décembre dernier, constitue un bon exemple d'une démarche tripartite de formation définie en fonction des enjeux industriels de la filière.

L'anticipation et la prévention des licenciements doivent occuper une place centrale dans la stratégie des entreprises ; il faut reconnaître que la France a des progrès importants à réaliser à ces égards. La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi apportera des changements majeurs dans la culture de l'adaptation des entreprises ; elle ouvre des espaces de négociation et de dialogue permettant de mieux anticiper les évolutions de l'activité et des compétences et d'améliorer les dispositifs de maintien de l'emploi pour que cette variable ne soit pas celle qui soit immédiatement utilisée en cas de difficulté économique. Il faut tourner le dos à la préférence française pour le licenciement !

Tout cela nécessite de partager en amont, de confronter les points de vue, de faire davantage participer les salariés qui sont souvent les meilleurs experts de leur métier. D'où les choix faits avec cette grande réforme : présence des salariés dans les conseils d'administration des grandes entreprises, consultation du comité d'entreprise sur la stratégie, création d'une base de données économiques et sociales unique, et articulation de la GPEC à la stratégie et au plan de formation.

À ces instruments d'anticipation il convient d'ajouter ceux que nous avons donnés aux entreprises pour s'adapter aux difficultés et éviter les pertes d'emplois et de compétences : mobilité interne, mobilité volontaire sécurisée, compte personnel de formation, accord de maintien de l'emploi et simplification du recours à l'activité partielle pour rendre celle-ci plus accessible aux PME.

Le territoire est à la fois le creuset dans lequel se forgent les avantages compétitifs et l'espace de vie des salariés ; le Gouvernement cherche à articuler efficacement les actions de développement économique avec celles en faveur de l'emploi et de la formation. Tel est le sens des mesures d'appui à la gestion territoriale des emplois et des compétences, des conseils destinés aux très petites entreprises, de la promotion de campagnes menées par plusieurs entreprises et des plateformes de mutation économique mises en place dans le cadre du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi. L'une de ces plateformes concerne le programme de lignes à grande vitesse (LGV), immense chantier qui emploie beaucoup de salariés mais qui aura une fin ; nous élaborons donc dès maintenant les actions de reconversion nécessaires pour que les travailleurs ne se retrouvent pas sans solution ce moment venu. C'est en effet tout le sens d'une politique moderne d'anticipation de l'emploi : donner aux acteurs le pouvoir de négocier des alternatives aux destructions d'emplois et sécuriser l'activité – grâce à des dispositifs comme celui des filières – et les transitions entre emplois. Si l'on ne peut arrêter le mouvement de l'économie, on peut en effet le devancer pour l'organiser et faire en sorte que de moins en moins de salariés aient à passer par la « case chômage » entre deux emplois. Il convient également de protéger et de développer les compétences, matière première de l'économie moderne – ce que devrait permettre la future réforme de la formation professionnelle.

Notre défi est de réussir l'articulation de l'ensemble des dimensions de cette politique – filières, entreprises et territoires –, non pour corseter l'action des uns et des autres, mais pour accroître la compétitivité et ainsi maintenir et développer l'emploi.

Nous connaissions depuis longtemps les lacunes dont souffrait la gestion des restructurations : faible anticipation, délais de procédure légaux rarement respectés et de ce fait sources d'incertitude pour les entreprises et les salariés, essor de la judiciarisation où l'affrontement entre avocats remplace le dialogue social, respect formel d'une procédure plutôt que recherche de solutions alternatives et prévalence croissante de la « logique du chèque » sur la recherche de mesures permettant aux salariés licenciés de retrouver un emploi. C'est à tous ces défauts que la loi de sécurisation de l'emploi s'attaque afin de transformer profondément l'encadrement des licenciements économiques.

Cette loi renforce le dialogue social dans le cadre d'une procédure qui donne de la visibilité aux parties prenantes, permet de maîtriser les délais – fixés à deux, trois ou quatre mois selon le nombre de licenciements envisagés – et encadre les conditions de recours à l'expertise. Le projet de licenciement économique pourra désormais s'inscrire dans le cadre d'un accord collectif, majoritaire et négocié au sein de l'entreprise. L'élévation de la qualité du PSE doit aboutir à un meilleur accompagnement des salariés dans leur retour à l'emploi, en contrepartie de délais mieux maîtrisés et d'une plus grande sécurité juridique pour l'entreprise. À défaut d'un accord collectif majoritaire, l'État homologuera le PSE et sera donc le garant de sa qualité.

Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) apprécieront les PSE en fonction des moyens du groupe auquel appartient l'entreprise, des mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciements et des efforts de formation et d'adaptation déjà engagés. La loi accroît donc l'incitation à former les salariés, car ceux-ci seront alors plus aptes à retrouver un emploi. La DIRECCTE engagera l'entreprise à prendre en compte la situation du salarié ainsi que les possibilités de redéploiement dans le bassin d'emploi. L'appréciation se fera au cas par cas et ne se limitera donc pas à la simple vérification du déploiement de dispositifs types.

J'ai surtout demandé à mes services de veiller à ce qu'il n'y ait pas de disproportion entre les mesures indemnitaires et les mesures d'aide active à la recherche d'emploi. Cette question – dite du « chèque » – est complexe : notre volonté n'est pas de réduire les indemnités extralégales, mais nous savons qu'un chèque ne remplace pas la formation nécessaire à une reconversion. La loi a d'ailleurs allongé le congé de reclassement, porté à douze mois, et nous avons, pour les entreprises en procédure collective, ouvert la voie à une prise en charge de dispositifs actifs de reclassement par l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS).

La loi de sécurisation de l'emploi n'est entrée en vigueur que le 1er juillet dernier, ce qui n'offre que peu de recul pour juger de ses effets mais le fait que le nombre de procédures engagées – 79 – soit comparable à celui qui était enregistré précédemment démontre que les entreprises n'ont pas retardé le lancement de licenciements collectifs pour bénéficier de l'application de ce texte. Près de la moitié de ces cas – 45 % – concernent des procédures collectives de redressement ou de liquidation judiciaires, qui ne permettent pas d'évaluer les spécificités du nouveau dispositif légal. Les DIRECCTE ont déjà rendu 35 décisions, presque exclusivement pour des entreprises en procédure collective car les délais y sont plus courts que dans les situations de droit commun. Elles ont refusé cinq fois l'homologation lors de la première demande, ce qui a permis d'améliorer le contenu du PSE ou de le rendre conforme au droit.

Point fondamental à nos yeux, la négociation entre les partenaires sociaux sort nettement renforcée de ces deux premiers mois d'application. Ainsi, pour les procédures non collectives, une discussion a été engagée dans 75 % des cas – il est vrai que j'ai donné instruction aux DIRECCTE de favoriser le dialogue.

Le contrôle effectué par celles-ci ne sera bien sûr pas le même selon que les plans sociaux seront issus d'un accord majoritaire ou non. Ces négociations prennent des formes différentes – dans un tiers des cas, elles se situent en amont de la procédure alors que, dans d'autres, elles se développent en parallèle à celle-ci – et portent sur des sujets variables – calendrier, moyens accordés, articulation entre les différentes consultations ou nature des mesures. Deux accords majoritaires ont déjà été conclus et plusieurs sont sur le point de l'être.

Même si une certaine prudence s'impose dans l'appréciation de ces premiers résultats, les débuts de l'application de la loi sont donc encourageants et j'espère que la culture de la négociation prospérera.

L'intervention de l'État ne se cantonne pas à la procédure : il facilite le dialogue en tant que conseiller des parties et financeur des dispositifs d'accompagnement. Plusieurs outils d'intervention aident les salariés à s'adapter pour prévenir les licenciements ou, lorsque ceux-ci ont eu lieu, pour favoriser leur retour à l'emploi. La loi de sécurisation de l'emploi a réformé l'activité partielle en augmentant l'aide apportée aux entreprises et aux salariés pour les aider à faire face à cette diminution temporaire de l'activité. Les conventions de formation et d'adaptation du FNE permettent aux salariés d'acquérir de nouvelles qualifications ou de se reconvertir afin de rester dans l'emploi. En cas de licenciement, l'État – surtout pour les entreprises non soumises au congé de reclassement – intervient par le biais du CSP, dispositif essentiel du PSE pour les PME et pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI). En lien avec les cellules d'appui, le CSP peut apporter, pour les PSE importants, un soutien similaire à celui du congé de reclassement. Ces mesures seront d'autant plus efficaces qu'elles seront articulées avec l'action menée en faveur des territoires.

Aux termes de la loi, l'administration recevra un bilan détaillé des PSE, ce qui aidera à recenser les bonnes pratiques, et donc à améliorer la qualité des reclassements, et contribuera à responsabiliser les entreprises. Il importe en effet avant tout que les salariés retrouvent rapidement un emploi et toute notre énergie doit être tendue vers cet objectif.

Le fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM) contribue à l'amélioration des dispositifs de reclassement pour les salariés des entreprises soumises à la concurrence ; il a principalement été utilisé par le secteur automobile – parfois avec difficulté comme pour Renault et PSA. La France et d'autres pays se sont mobilisés pour son maintien lorsqu'il a été question de le supprimer. La réforme de ses critères d'attribution nous oblige à développer notre capacité à présenter des dossiers suffisamment solides pour pouvoir bénéficier de ses crédits. Notre pratique, en effet, a trop souvent été contraire de celle de l'Allemagne, qui souhaitait la suppression du FEM dans un souci d'économies, mais qui en a été la première utilisatrice, alors même qu'elle n'était pas le pays le plus confronté aux restructurations.

L'obligation de revitalisation des territoires – spécificité française – crée une responsabilité à la charge des entreprises dont les PSE affectent l'équilibre d'un ou de plusieurs bassins d'emploi. Elles sont en effet tenues de contribuer à la création d'activités et au développement des emplois dans ces territoires à hauteur du nombre de postes supprimés. Ces actions doivent s'inscrire dans une stratégie de développement partagée au niveau local, d'où la signature d'une convention qui associe l'État, les collectivités territoriales, les syndicats et les chambres consulaires. Dans ce domaine également, il convient de favoriser l'anticipation car plus on agit en amont, plus la transition s'effectue rapidement ; la recherche de repreneurs participe d'ailleurs de cette démarche tout comme le nouveau calendrier de négociation des conventions. La revitalisation ne doit pas devenir une taxe supplémentaire que l'entreprise acquitterait sans se préoccuper du territoire où elle est implantée. Il y a lieu d'encourager les actions ayant un impact durable dans le bassin d'emploi : les aides au recrutement sont souvent utiles, mais elles entraînent aussi des effets d'aubaine et ne favorisent pas nécessairement l'emploi local. Mieux vaut donc parfois privilégier des mesures plus qualitatives – comme la mise à disposition de compétences, le soutien à l'insertion par l'activité économique (IAE), le transfert de savoir-faire ou l'aide aux initiatives conjointes des entreprises – dont les conséquences seront plus durables et plus fortes. Enfin, il convient d'éviter la concurrence entre petites conventions, qui conduit au saupoudrage.

Nous nous battons tous les jours pour préserver des emplois. L'État n'est pas impuissant : il dispose de marges de manoeuvre et d'instruments – participation, reconversion, recherche d'alternatives, développement des compétences, transitions sécurisées – qui lui permettent de mener une politique intelligente et efficace. Nous ne pourrons certes pas gagner tous les combats dans ce domaine, mais sans notre action – sécurisation de l'emploi, politique des filières, rénovation des procédures des PSE, mesures de relocalisation –, beaucoup d'emplois auraient été détruits au cours des derniers mois. Je ne doute pas, mesdames et messieurs les députés, que vous avancerez vous-mêmes des propositions nous permettant d'améliorer si nécessaire les dispositifs déjà en place.

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