Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, après le flot tumultueux de la rue, nous sommes amenés à débattre sereinement sur le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer. Qu'il me soit permis d'adresser un salut commun aux syndicats et aux autres partenaires parties prenantes au litige. Sans eux, nous ne serions pas là aujourd'hui, quoi que l'on pense, quoi que l'on dise.
Au-delà du ressenti propre à chacun de nous, au-delà des ressentiments, au-delà des tentatives de récupération et de surenchère toujours en cours, il faut retenir que l'année 2009 restera dans les annales de la mobilisation populaire.
En effet, des milliers de manifestants ont déferlé dans les capitales de Guyane, de Guadeloupe, de Martinique et de La Réunion. Tous, ils dénonçaient à tue-tête le coût trop cher de la vie. Tous, ils demandaient avec insistance une étude complète sur la formation des prix, détaillée au niveau de chaque maillon de la chaîne. Tous, ils réclamaient un renforcement, une vigilance et une fermeté accrue de l'Autorité de la concurrence.
Il faut donc avoir l'honnêteté de reconnaître que ce sont les syndicats, tous rassemblés pour la circonstance, qui ont déclenché le mouvement d'ensemble.
L'Autorité de la concurrence a été très rapidement saisie officiellement, dès le 18 février 2009, par le Secrétaire d'État à l'outre-mer en personne.
Ses conclusions sont les suivantes : il existe bel et bien « une concurrence insuffisante dans les marchés de détail et de gros. » Elle a ajouté que le secteur de la grande distribution, à dominante alimentaire dans les DOM, est trop peu concurrentiel. Elle termine en expliquant que la segmentation de l'approvisionnement entre différents opérateurs et intermédiaires empêche la réalisation d'économies d'échelle tout en accroissant le cumul des marges à chaque stade de la chaîne d'approvisionnement. Imaginez-vous ? Ce constat est à la limite un verdict de culpabilité sans appel.
L'Autorité de la concurrence a ainsi dressé la feuille de route à suivre.
Le présent projet de loi prend directement sa source et sa légitimité dans ce bloc d'événements, en tentant hardiment de mettre un terme aux abus les plus criants. Quoi de plus conséquent, de plus naturel et de plus logique ?
Le vrai dilemme réside actuellement dans la dextérité qu'il faudra déployer pour pagayer entre liberté d'entreprendre et liberté des prix, tout en cherchant à casser les ententes et pratiques illicites et anticoncurrentielles, et à empêcher leur retour en force. Disons-le franchement : c'est une gageure louable, j'en conviens volontiers.
C'était là le premier volet de mon intervention.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré que l'ensemble de vos propositions constituait une boîte à outils. J'ai décelé que dans cette boîte, il y avait un sécateur, un sécateur de l'octroi de mer. J'anticipe déjà, me direz-vous ! Je préfère vous alerter. Car dans ce cas d'espèce, anticiper c'est prévenir.
Dans la panoplie des facteurs de vie chère, il est retenu le fret, les marges, et l'octroi de mer principalement. Mais que disent les études réalisées ?
Voici les réponses : « Aux surcoûts s'ajoute une taxe spécifique, l'octroi de mer, perçue par les collectivités locales sur les importations, et qui accroît mécaniquement les prix de vente aux consommateurs. »
« Cependant, ces spécificités ne suffisent pas à expliquer l'importance des écarts de prix constatés entre la métropole et les DOM. »
Un exemple est donné : « Sur un échantillon d'environ 75 produits importés de métropole dans les quatre DOM, les écarts de prix dépassent 55 % pour plus de 50 % des produits échantillonnés, un pourcentage trop élevé pour trouver exclusivement sa source dans les frais de transport et l'octroi de mer. » C'est concluant, je l'espère !
Et encore : « Un taux d'octroi de mer anormalement bas sur un produit encourage le recours à l'importation. L'existence d'un octroi de mer significatif peut conditionner les décisions ou non d'investir dans une activité de production venant en substitution de l'importation. L'octroi de mer peut être l'un des paramètres pris en compte dans la décision d'investir. » C'est concluant, je l'espère !
Chacun plaide pour sa chapelle, trop souvent au détriment de l'intérêt général.
L'outil économique qu'est l'octroi de mer est menacé dans son existence même, à la fois par la Commission européenne et par toute une série de francs-tireurs d'élite, alors qu'aucun produit de remplacement n'a encore été sérieusement envisagé.
Dans de telles conditions, démantibuler l'octroi de mer, c'est pratiquement enterrer le développement endogène.
Dans le même temps, il nous est recommandé de nous émanciper en développant des liens commerciaux avec la Caraïbe. Très bien ! Mais constatons que les pays de la zone conserveront leur protection avec leur negative list, tandis que nous sommes en train de perdre la nôtre.
Monsieur le ministre, intention n'est pas forcément action réussie. Je voterai pour l'intention affirmée dans ce texte, en essayant encore de l'amender. Toutefois, permettez que j'émette une crainte : je crains que les mesures adoptées aient une durée de vie éphémère.
En tout cas, ces sujets ébranlent toute la trame existentielle de la Martinique. À l'évidence, la nécessité d'un réel pouvoir martiniquais s'impose comme une urgence indispensable. Pour gagner en efficacité, il est urgent de mettre en place la collectivité unique. Prévue en 2012, reportée in extremis en 2014, nous apprenons avec étonnement qu'il est envisagé de repousser cette mise en place en 2016. À quoi servent tous ces renvois successifs ? La volonté populaire est bafouée, violentée.
En conclusion, monsieur le ministre, je me place toujours dans le registre de l'escalade des coûts. En politique, tout report d'une décision validée par le peuple a un prix, d'autant plus élevé lorsque s'y mêlent la discorde et l'inefficacité au moment où toutes les forces doivent oeuvrer pour affronter les aléas d'aujourd'hui et les défis de demain. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et RRDP.)