Intervention de Étienne Blanc

Réunion du 9 octobre 2012 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉtienne Blanc, Rapporteur spécial :

La loi organique relative aux lois de finances fixe au 10 octobre la date limite pour l'envoi des réponses aux questionnaires budgétaires. Or, ce matin, à l'heure où je vous présente le résultat de mes travaux, je n'en ai reçu que le dixième ! Même s'il reste encore quelques heures avant l'expiration du délai, je doute de pouvoir obtenir les réponses restantes, ce qui me met dans une situation délicate. En effet, sur des aspects entiers de la politique voulue par Mme la garde des sceaux, comme l'exécution des peines, l'augmentation continue des frais de justice, la surpopulation pénale ou la santé en prison, je ne serai pas en mesure de vous donner des informations précises. Une telle situation pénalise le Parlement au moment où il doit se prononcer sur ces crédits.

Je propose, monsieur le président, que notre commission adresse un courrier à Mme la garde des sceaux pour lui demander, d'une part, de faire parvenir toutes les réponses avant le dépôt du rapport définitif, et, d'autre part, de veiller, l'année prochaine, à ce que l'Assemblée soit informée dans des délais raisonnables.

Sur le fond, les chiffres inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013 confirment l'évolution des crédits de la mission Justice, caractérisée depuis une dizaine d'années par une augmentation régulière. Ce budget est même l'un des très rares à voir sa progression continuer : l'augmentation est de 4,3 % – ou de 2,9 % si l'on écarte le compte d'affectation spéciale Pensions. Avec des crédits s'élevant au total à 7,7 milliards d'euros, ce projet de budget permettra, si l'inflation reste limitée à 1,7 %, de réelles avancées.

Cette hausse s'inscrit dans une tendance longue, la part du budget de la Justice dans le budget global ayant régulièrement augmenté depuis dix ans, passant de 1,7 % en 2002 à 2,7 % en 2013.

Non seulement les effectifs de la mission doivent augmenter de 500 emplois en 2013, mais une évolution similaire est prévue en 2014 et 2015. Le ministère de la justice comptera donc 1 500 agents supplémentaires d'ici à trois ans.

Sur les six programmes de la mission, trois ont plus particulièrement retenu mon attention.

Le premier est le programme Justice judiciaire, dont dépendent les conditions dans lesquelles sont rendues les décisions de justice, et surtout les délais dans lesquels elles sont rendues, une source de préoccupation pour nos concitoyens. Les crédits de paiement progresseront de 107 millions d'euros, soit 3,6 %, jusqu'à dépasser pour la première fois le seuil symbolique des trois milliards d'euros – 3,068 milliards d'euros exactement.

Les emplois inscrits dans ce programme atteindront 31 455 équivalents temps plein travaillés, en augmentation nette de 278 emplois. L'augmentation budgétaire permettra la création de 104 postes de magistrats, 76 emplois de personnels d'encadrement, 242 postes de greffiers et de personnels de l'insertion et de l'éducation et 36 postes de personnels administratifs et techniques de catégorie B. En revanche, 180 emplois de personnels administratifs et techniques de catégorie C seront supprimés – nous espérons obtenir rapidement du ministère des précisions sur les emplois et les services concernés.

Si la mission Justice est favorisée, le programme Administration pénitentiaire apparaît comme particulièrement privilégié, avec un budget en hausse de 6 %, des crédits qui frôlent les 3,2 milliards d'euros et un plafond d'emplois augmenté de 211 postes.

Un établissement nouveau sera livré à Rodez en 2013, tandis que le programme de construction lancé par le précédent gouvernement se poursuit, marqué par des opérations emblématiques à Valence, Beauvais, Lutterbach, Orléans, Riom mais aussi à Ducos, en Martinique. Des rénovations lourdes seront entreprises à Fleury-Mérogis, à La Santé, aux Baumettes, ainsi qu'à Aix-en-Provence, à Nantes et à Nouméa – où la prison est insalubre et surpeuplée. Pour autant, la situation reste tendue : le nombre des personnes incarcérées en France a cru de 2 500 entre 2011 et 2012 et dépasse désormais les 67 000.

Après les déclarations de Mme la garde des sceaux sur le sujet, nous aurions aimé obtenir des précisions sur la mise en oeuvre de peines de substitution, qui est une façon de lutter contre la surpopulation carcérale. Quels moyens seront consacrés à l'application de la loi pénitentiaire de 1999, en vertu de laquelle toute personne définitivement condamnée à un emprisonnement d'une durée maximale de deux ans doit se voir proposer un aménagement de peine ?

Enfin, la Protection judiciaire de la jeunesse est un autre sujet éminemment sensible. Les crédits qui lui sont consacrés s'élèvent à 791 millions d'euros, en augmentation de 18,6 millions d'euros par rapport à 2012, soit une hausse de 2,4%. Le Gouvernement a souhaité faire du secteur une de ses priorités, puisque 111 postes seront créés en 2013, principalement dans les métiers du greffe, de l'insertion et de l'éducation. Quatre nouveaux centres éducatifs fermés – dont le principe fait désormais l'unanimité – seront inaugurés en 2013 à Angoulême, Épinay-sur-Seine, Cambrai et Marseille, pour faire suite aux trois ouvertures prévues à la fin de l'année 2012.

Même nantie d'un budget apparemment favorable, nous sommes tous conscients que la mission Justice devra faire face dans les années qui viennent à un certain nombre de défis. Cinq d'entre eux me paraissent particulièrement importants.

Le premier est celui de l'exécution des peines, puisque le nombre de peines définitivement prononcées mais non encore exécutées atteindrait 85 000. Sur ce sujet non plus, nous n'avons pas reçu de réponse à notre questionnaire budgétaire, mais, en tout état de cause, le défi à relever est de taille. La réactivité – c'est-à-dire la proximité entre la commission des faits et la décision, et surtout entre la décision définitive et l'exécution – est en effet une marque de l'efficacité de nos institutions judiciaires.

Le deuxième défi est celui de la surpopulation carcérale. Un programme de 8 000 places avait été annoncé par le précédent gouvernement, mais, selon les auditions que j'ai menées, on se dirigerait plutôt vers la construction de 6 500 places. Pourquoi cette différence ? Quels projets sont abandonnés, quels établissements seront créés ? Sur ce point également, j'attends des réponses.

Il ne s'agit pas seulement de construire des places de détention. Qu'en est-il des peines de substitution ? Les magistrats spécialisés dans l'application des peines sont en effet autorisés à transformer, adapter ou aménager une sanction définitive d'emprisonnement, afin d'éviter, ou du moins de limiter, l'incarcération dans un établissement. Le condamné peut par exemple être placé sous surveillance électronique ou bénéficier d'un régime de semi-liberté assorti d'un contrôle strict. Mais ces solutions alternatives exigent des moyens spécifiques.

Le troisième défi est celui de la hausse continue des frais de justice, c'est-à-dire des expertises, traductions et autres moyens techniques mis à la disposition des magistrats pour les aider à rendre des décisions solides. Cette augmentation – notamment des frais de traduction et d'expertise génétique – a été telle qu'il a fallu, l'an dernier, ponctionner 15 millions d'euros sur le budget de fonctionnement. En 2013, les crédits consacrés aux frais de justice seront augmentés de 62 millions d'euros – soit une hausse de 15 % – en prévision d'un accroissement du nombre des actes. Et pendant ce temps, les experts se plaignent d'être payés avec beaucoup de retard, au point que certains médecins, notamment des psychiatres, seraient désormais réticents à travailler pour les tribunaux.

À la cour d'appel de Lyon, dont j'ai rencontré le premier président et le procureur général, les frais de justice ont bondi en quatre ans de 17 à 23 millions d'euros, tandis que le budget de fonctionnement du ressort de la Cour est resté stationnaire, avec des crédits de 9 millions d'euros.

De nouveaux moyens techniques vont être mis à la disposition des magistrats. Quelle sera leur incidence sur le montant du budget ? Nous attendons la réponse du ministère.

La quatrième difficulté à laquelle est confrontée la justice concerne la prise en charge de la santé en prison, notamment des problèmes d'ordre psychiques. On sait que les prisons tendent à se substituer aux établissements psychiatriques et que de nombreux détenus souffrent de troubles psychiques sérieux. Les moyens affectés à l'institution judiciaire seront-ils suffisants pour éviter une condamnation de notre pays pour manquement à ses engagements internationaux ?

Enfin, le cinquième défi à relever est celui de la célérité de la justice car celle-ci, que ce soit sur le plan civil, pénal ou administratif, est encore beaucoup trop lente. Cela suppose de recruter des magistrats, mais aussi des greffiers. Cela implique aussi d'améliorer le fonctionnement des systèmes d'informations du ministère, souvent défaillants. Cassiopée, par exemple, est critiqué pour ses lourdeurs ; il semblerait que toutes les situations juridiques n'aient pas été prévues dans le logiciel. En outre, sa connexion avec les fichiers de police et de gendarmerie n'est toujours pas réalisée, alors qu'elle serait source de gains importants de productivité.

Sur ces cinq thèmes prioritaires, j'espère pouvoir obtenir des réponses avant l'achèvement du rapport définitif. Dans l'attente, et même si je prends acte de l'effort consenti sur le plan financier et humain, j'émets des réserves sur les crédits consacrés à la mission Justice.

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