J'espère, monsieur le président, que la bienveillance de vos propos marquera également nos échanges de ce matin. Il est de notre rôle de parlementaires de formuler des propositions et d'exercer un contrôle sur une télévision publique à laquelle nous sommes tous attachés et à la dotation financière de laquelle participent tous nos concitoyens, ne serait-ce que par la redevance.
En novembre 2011, le gouvernement précédent avait conclu avec France Télévisions, pour la période de 2011 à 2015, un contrat d'objectifs et de moyens dont nous avions dénoncé le caractère insincère, fondé qu'il était sur des prévisions de recettes publicitaires et publiques irréalistes.
Le présent projet d'avenant au COM transmis au Parlement le 9 août dernier est le fruit des négociations conduites depuis fin 2012 entre la société France Télévisions et l'État à la demande de la ministre de la culture, qui a souhaité refonder la trajectoire du groupe sur des hypothèses réalistes.
Ce projet d'avenant comporte trois objectifs principaux : la révision de la trajectoire de ressources, le réexamen des principaux objectifs assignés à France Télévisions et le retour à l'équilibre de ses comptes en 2015.
En préambule, je souhaite attirer l'attention sur les difficultés et les limites de l'exercice que constitue de nos jours l'élaboration d'un COM, en particulier pour une entreprise en pleine évolution. La pratique a en effet montré que les objectifs des COM sont rarement respectés, ce qui est compréhensible dans un contexte marqué par la crise économique, par une contrainte très forte sur les ressources publiques et par des mutations incessantes du paysage audiovisuel et de l'univers des médias.
Il s'ensuit que l'outil de planification stratégique et financière que constitue le COM doit, pour conserver sa pertinence, s'adapter à cette nouvelle donne. L'avenant se veut donc un cadre plus souple que les précédents, compte tenu d'un contexte difficile. Je souscris à cette démarche – et vous aussi j'espère –, à condition qu'un suivi plus précis et régulier de la gestion de l'entreprise soit assuré par les tutelles.
Ce projet d'avenant est tout d'abord un exercice de vérité sur les ressources. Vous trouverez dans mon rapport des graphiques qui montrent de manière frappante combien la trajectoire de ressources propres élaborée en 2011 était irréaliste, avec des recettes publicitaires en retrait, une trajectoire d'augmentation des ressources publiques irréaliste – remise en cause du reste quelques semaines à peine après l'adoption du COM –, le tout sans aucune exigence d'économies sur les coûts de structure du groupe et des coûts de diffusion surévalués.
Ce projet d'avenant représente donc un effort indéniable de crédibilité quant à la trajectoire de ressources et plusieurs hypothèques pesant sur le financement du groupe ont été levées.
Il s'agit d'abord du maintien au profit de France Télévisions, sur la durée du COM, du produit du relèvement de la redevance voté au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2013, soit près de 50 millions d'euros, et du maintien de la publicité en journée après 2015.
La réduction des ressources publiques proposée me paraît adaptée à l'effort de redressement des comptes publics, et ce d'autant plus qu'après avoir entraîné d'importants surcoûts, la mise en place de l'entreprise unique et la conclusion d'un accord d'entreprise doivent enfin permettre de dégager des économies.
Un gel de 31 millions d'euros a néanmoins été appliqué en 2013 aux crédits budgétaires. Le projet d'avenant ne prévoit pas l'annulation de ces crédits mais, afin de conforter la crédibilité de la trajectoire de ressources, il serait souhaitable que cette information soit confirmée.
Les prévisions de recettes propres, fortement revues à la baisse, apparaissent crédibles.
Du côté de l'entreprise, il m'a semblé que l'effort de transparence sur les objectifs de dépenses était trop limité. Je rappelle que d'importantes lacunes de gestion ont été constatées sur les deux premières années de l'exécution du COM, c'est-à-dire en 2011 et 2012. Les coûts de structure, hors coûts de diffusion, ont été supérieurs d'environ 20 millions d'euros à la prévision du COM.
Surtout, malgré deux plans de départ volontaire à la retraite qui ont concerné au total plus de 800 personnes et ont coûté 58 millions d'euros et malgré l'engagement de stabiliser les effectifs en 2011 et 2012, l'effectif, notamment non-permanent, a fortement augmenté durant ces deux années. L'accroissement des effectifs a d'ailleurs entraîné des dépenses de prise à bail de locaux supplémentaires, malgré la construction d'un nouvel immeuble. L'indicateur relatif au ratio entre les effectifs moyens non-permanents et les effectifs totaux n'a donc été respecté ni en 2011 ni en 2012.
L'entreprise s'est engagée à partir du deuxième trimestre 2012 dans un processus de réduction de l'emploi précaire qui se traduit en 2013 par le retour de l'effectif global à son niveau de 2010. Si l'on peut se féliciter de cet effort, on ne peut que regretter les dérapages constatés en 2011 et 2012, qui s'expliquent en partie par les lacunes de la gestion ; d'autant que le recours abusif à l'emploi de non-permanents se traduit par des condamnations judiciaires ou des transactions coûteuses qui ont fortement augmenté en 2011 et 2013 – mais dont nous ne connaissons pas véritablement les montants.
L'entreprise dispose de marges d'économies réelles, tout d'abord en matière de gestion des ressources humaines. Il est cependant impossible de chiffrer les économies déjà réalisées ou celles qui pourront l'être dans les prochaines années par l'entreprise commune, France Télévisions étant restée très discrète en la matière.
Si la mise en place de l'entreprise unique est un processus complexe, la réorganisation de l'entreprise a été incessante et d'une lisibilité toute relative : à une plus grande centralisation au début de 2010, fondée sur la création de directions métiers, a succédé la décentralisation engagée par la nouvelle présidence, qui a rétabli des directeurs de chaînes avant d'engager en janvier 2013 un nouveau mouvement de centralisation caractérisé par la suppression des directions des chaînes nationales.
La signature de l'accord collectif d'entreprise le 28 mai 2012, avancée majeure dont on peut se féliciter et qui est à mettre au crédit de l'entreprise, doit permettre de réaliser des économies et des synergies.
Des synergies peuvent aussi être attendues de la réorganisation des rédactions.
Un plan de départs volontaires est annoncé. Un montant de 89,3 millions d'euros est inscrit à ce titre dans le budget 2013. Les lacunes et le pilotage inexistant du plan de départs volontaires à la retraite 2009-2012 ne doivent pas se reproduire. Je souhaite donc qu'un dispositif de suivi précis de ce plan de départs soit mis en place.
Il y a aussi des marges d'économies dans les contrats d'achat de programmes, avec le développement de l'audit qui permet déjà des économies.
Enfin des marges de réduction importantes existent sur les achats hors programmes, alors qu'aucun effort supplémentaire sur les coûts de structure n'est exigé du groupe par rapport au COM initial.
Plus globalement, il me semble que l'engagement de l'entreprise sur sa trajectoire de dépenses est limité.
Sur sa partie dépenses, très faiblement renseignée, le plan d'affaires est présenté comme étant purement indicatif. Le document indique que l'engagement de France Télévisions doit porter en priorité sur le retour à l'équilibre du résultat net à l'horizon 2015. Un paragraphe entier est même consacré aux aléas et ajustements de gestion en cours de période – ce qui, encore une fois, correspond à l'objectif de faire du COM un cadre plus souple.
Alors même que l'entreprise ne s'engage que sur le rétablissement de ses comptes à l'horizon 2015, elle estime qu'un aléa pèse sur ce rétablissement. Il est cependant assez paradoxal que France Télévisions s'estime incapable de chiffrer certains postes de dépenses et d'économies, comme la fusion des rédactions ou la mise en place de l'accord collectif, tout en proposant un chiffrage très précis de cet aléa, évalué entre 40 et 50 millions d'euros, dans un document qui m'a été présenté.
Pour sa part, la tutelle estime à juste titre que « la présence d'aléas est le propre de tout exercice prospectif ; ces aléas peuvent d'ailleurs jouer négativement ou positivement ». Il serait donc souhaitable de supprimer du projet d'avenant la mention selon laquelle « l'entreprise considère qu'il existe à ce titre un aléa pesant sur le rétablissement de l'équilibre de ses comptes à l'horizon 2015 ». Cette suppression ne remet nullement en cause la nécessité incontournable d'un réexamen régulier des conditions de retour à l'équilibre. Compte tenu du cadre souple que constitue désormais le COM pour l'entreprise, l'État devrait exiger des contreparties précises en matière de gestion et assurer un suivi encore plus précis de cette dernière.
De manière générale, la gouvernance et la transparence méritent d'être améliorées.
En ce qui concerne le suivi de l'exécution des COM par le Parlement, je suggère que l'audition par notre Commission et par la Commission des finances du président de France Télévisions sur l'exécution de son COM s'accompagne ou soit précédée d'une audition des tutelles, voire de la mission de contrôle général économique et financier.
Pour ce qui est maintenant des objectifs, j'estime que les priorités sont globalement pertinentes et correspondent bien aux enjeux auxquels l'entreprise est confrontée.
En matière de lignes éditoriales des chaînes, un effort indéniable de clarification est engagé mais des améliorations seraient encore possibles.
Je me félicite – comme vous certainement – de l'annonce d'un élargissement de l'offre destinée aux enfants sur France 4, mais continue à m'interroger sur la dimension de « laboratoire » de la chaîne. Par ailleurs, si cette dernière se veut une alternative de service public aux offres de la TNT et pour faire taire les critiques relatives à sa place dans le bouquet, il serait souhaitable de fixer un objectif chiffré de réduction de la programmation de séries étrangères.
La dimension ultramarine de France Ô est renforcée, conformément aux engagements. Je prends acte de cette décision, mais continue à m'interroger sur la présence de cette chaîne dans le bouquet. L'outre-mer et la diversité ne doivent pas être reléguées au sein d'une chaîne spécifique à faible budget et à petite audience. Au contraire, ces dimensions méritent d'être pleinement intégrées aux programmes des chaînes les plus exposées, ce qui n'est pas suffisamment le cas actuellement.
Malgré la dégradation de leurs audiences, la mission de service public des Outre-Mer 1ére est consolidée, ce qui est très positif.
Sur France 3, l'offre de programmes régionaux est maintenue à un niveau élevé. Au-delà, le projet d'avenant annonce le lancement d'une réflexion, en effet nécessaire, sur l'avenir de l'offre de service public régional.
Je souhaite également, et vous aussi j'espère, un effort de clarification des lignes de France 2 et France 3. Les priorités stratégiques retenues pour France 2 – « être résolument de son époque », « faire preuve d'audace » – et pour France 3 – « privilégier une approche positive et bienveillante » – apparaissent aussi floues que troublantes.
Je salue par ailleurs les progrès considérables enregistrés depuis deux ans grâce au numérique et me félicite vivement du projet de mise en place d'une plate-forme à destination des enfants. Il convient néanmoins de souligner que ces progrès ne s'accompagnent pas des recettes attendues. À cet égard, je m'étonne de constater que FranceTVinfo s'est engagée à ne pas faire de publicité pour ne pas fragiliser la presse écrite : cette décision me semble plutôt relever du législateur.
La politique d'investissement dans la création est maintenue à un niveau élevé en dépit des contraintes. Cet effort doit s'accompagner d'un « nouvel équilibre » des relations entre diffuseurs et producteurs. Je souhaiterais également que le groupe s'engage dans le COM, comme il l'a fait auprès des producteurs, à exclure la « réalité scriptée » de ses engagements de financement de la création audiovisuelle.
En matière d'objectifs de programmation, je propose un objectif plus ambitieux de diffusion de programmes culturels en première partie de soirée et l'ajout d'un objectif d'évolution de l'audience de ces programmes auprès des jeunes et des catégories socioprofessionnelles dites CSP–.
Je suggère également que les engagements en matière d'exposition de la musique soient plus précis.
Je me réjouis que soit réaffirmée, dans un contexte contraint, la priorité relative en faveur de l'information, mission essentielle du service public au niveau tant national que régional, dans un contexte d'affaiblissement de l'offre privée.
Le sport aussi est directement concerné par les efforts budgétaires demandés à France Télévisions, car le projet d'avenant envisage de réduire les dépenses afférentes de 21 millions d'euros entre 2013 et 2015. La diversité de l'offre de sport et la préservation d'une exposition gratuite des grands événements sportifs fédérateurs restent néanmoins des priorités pour France Télévisions. Comme le CSA, je souhaite que soient mis en place des indicateurs destinés à mesurer la couverture accordée au sport féminin et à la pratique handisport.
Enfin, l'ajout d'objectifs en matière de représentation des femmes et de la diversité me donne l'occasion de faire un état des lieux sans appel. Alors que le groupe TF1 a déjà obtenu le label diversité, « l'homme blanc en bonne santé » reste largement surreprésenté à l'antenne comme aux postes de responsabilité de France Télévisions.
Pour ce qui est de la diversité à l'antenne, je me contenterai de citer le rapport 2012 du Comité permanent de la diversité de France Télévisions, présidé par une personnalité qui fait consensus, M. Hervé Bourges : « Comme les années précédentes, le traitement de la diversité est apparu inégal entre les différentes chaînes, avec un fort déséquilibre entre d'un côté France 4, France 5 et France Ô, et de l'autre celles qui font le plus d'audience, France 2 et France 3 ». Ce constat rejoint les interrogations que nous avons certainement tous partagées sur le caractère de « chaîne-alibi » de France Ô.
Le Comité attire notamment l'attention sur la faible présence des femmes parmi les experts en 2012 : « Les femmes forment 51,6 % de la société française, pourtant dans les journaux télévisés de France 2 et de France 3, elles ne représentent que 16,5 % des experts – contre 23 % sur TF1. Pire encore, dans C dans l'air, l'émission de débat emblématique du groupe, le taux d'expertes n'est que de 7 % ». Cette situation n'est pas digne du service public. Je regrette qu'on ait besoin d'établir un « répertoire d'experts issus de la diversité », mais je souhaite que la mise en place de ce répertoire améliore réellement une situation sur laquelle le Comité de la diversité attire l'attention de la direction depuis 2010 !
Quant à la diversité dans l'entreprise, les postes de responsabilité restent occupés en grande majorité par des hommes quinquagénaires. Comme l'indique encore le rapport du Comité, « en 2012, les femmes représentaient 43 % des effectifs de France Télévisions. Mais le chiffre masque mal d'autres réalités préoccupantes concernant la place des femmes dans la hiérarchie, leur rôle dans la fabrication de l'information et dans la prise de décision et leur image dans les fictions. 35,4 % des journalistes sont des femmes, alors même qu'elles constituent plus de 60 % des diplômés des écoles de journalisme. Plus le niveau hiérarchique est élevé, moins les femmes sont présentes. Seuls 26 % des chefs de rédaction sont des femmes et les comités de direction élargis sont constitués aux trois quarts d'hommes. Quant au Comité exécutif du groupe, il ne compte que deux femmes parmi ses membres... ».
Sous réserve des suggestions formulées dans ce rapport, portant notamment sur un effort de suivi plus précis de la gestion du groupe, mon avis sur ce projet d'avenant est favorable. J'espère que vous le suivrez, car nous aimons tous la télévision publique et avons envie qu'elle cultive sa singularité par rapport aux chaînes privées. Les Françaises et les Français méritent mieux.