Ce projet de loi organique n'est qu'une étape mineure dans le cheminement que notre territoire a engagé de longue date au sein de la République. Ce chemin fut parfois semé de ronces, conduisant une partie du peuple de la Nouvelle-Calédonie à s'opposer à une autre. Je pense bien sûr aux événements de 1984, au cours desquels soixante-dix à quatre-vingts Calédoniens perdirent la vie, et aux « années de cendres » que nous avons connues. Elles auront tout de même vu un instant démocratique, avec le référendum Pons, par lequel les Calédoniens étaient appelés à se prononcer pour ou contre l'indépendance, et qui se solda par un vote largement opposé à celle-ci. Six mois après survenait le drame d'Ouvéa, au cours duquel six militaires – dont quatre gendarmes – et dix-neuf indépendantistes devaient perdre la vie.
Le fait majoritaire, qui fait qu'une majeure partie de la population calédonienne est de sensibilité non indépendantiste, ne peut constituer une réponse à la problématique calédonienne. Une volonté d'indépendance s'exprime, puisque la minorité indépendantiste recueille autour de 40 % des voix à chaque scrutin électoral. Toute la démarche de l'État au cours des vingt-cinq dernières années a donc consisté à essayer de trouver le point d'équilibre entre cette majorité non indépendantiste et cette minorité indépendantiste.
Il y est parvenu en deux étapes. La première fut celle des accords de Matignon, qui a conduit à un partage du pouvoir politique, avec la création des provinces, dotées d'une compétence de droit commun. Il s'agissait de donner le pouvoir aux indépendantistes là où ils sont majoritaires, ce qui était une manière de contourner le fait majoritaire lié à un exercice démocratique classique. Mais l'enjeu était aussi de s'engager dans la voie d'un rééquilibrage géographique – faire en sorte que l'activité ne se concentre pas uniquement sur Nouméa et la province Sud, mais irrigue aussi le nord et les îles – et ethnique – assurer une meilleure représentation des populations kanakes parmi les élites politiques et économiques.
Les accords de Matignon prévoyaient l'organisation d'un référendum en 1998. Mais les partis locaux, estimant qu'il n'aboutirait qu'à dresser les Calédoniens les uns contre les autres, ont choisi de prendre un autre chemin : celui de l'accord de Nouméa. Le référendum n'a donc pas porté sur l'indépendance, mais sur ce nouvel accord d'émancipation et de décolonisation au sein de la République, qui a nécessité une révision de la Constitution.
Nous arrivons aujourd'hui à la dernière phase de cet accord. Un référendum pour ou contre l'indépendance devra avoir lieu entre 2014 et 2018. Si les Calédoniens se prononcent contre l'indépendance, un deuxième référendum sera organisé dans un délai de deux ans, puis un troisième. En cas de troisième « non », l'accord prévoit que les partenaires se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. Autant dire que, après le chemin de ronces, nous risquons de traverser une forêt vierge !
Nous avons progressé dans les quinze dernières années : nous exerçons aujourd'hui presque toutes les compétences, sauf les compétences régaliennes. La Nouvelle-Calédonie est la seule collectivité du territoire de la République à adopter des lois ; celles-ci sont soumises à l'avis préalable du Conseil d'État et au contrôle de constitutionnalité du Conseil constitutionnel. Nous avons une citoyenneté propre, en sus de la citoyenneté française et européenne. Diverses mesures ont été prises en ce qui concerne le corps électoral, la protection de l'emploi local et l'adoption de signes identitaires. L'accord de Nouméa nous a donc permis de nous gouverner nous-mêmes, mais aussi d'affirmer notre identité particulière au sein de la République.
L'accord prévoit donc un référendum. Ses modalités seront-elles mises en oeuvre, ou d'autres modalités faisant l'objet d'un accord politique local – à négocier avec l'État – pourront-elles s'y substituer ? Lors de son déplacement en Nouvelle-Calédonie, le Premier ministre a ouvert la voie à cette alternative, en indiquant que l'accord de Nouméa avait vocation à être appliqué, sauf si un accord politique local permettait de substituer à la question prévue par l'accord une autre question sur l'avenir du pays.
Dans ce contexte, ces deux textes apparaissent comme techniques et consensuels. La quasi-totalité des amendements que je défendrai ont d'ailleurs fait l'objet d'un avis unanime du congrès.
Le projet de loi organique donne notamment compétence à la Nouvelle-Calédonie pour créer des autorités administratives indépendantes. En l'espèce, il s'agit surtout de pouvoir créer une autorité de la concurrence disposant d'un véritable pouvoir d'enquête et de sanction, afin que notre petite île puisse mettre en oeuvre la loi dite « anti-trust » pour éviter qu'une concentration excessive dans certains secteurs d'activité ne conduise à handicaper le pouvoir d'achat des Calédoniens.