Je vais vous présenter rapidement DCNS. C'est une entreprise de droit privé dont 64 % du capital appartient à l'État, 35 % à Thales et 1 % à son personnel. Elle a effectué une transformation spectaculaire ces dix dernières années puisqu'elle est passée d'un service de l'État à une entreprise performante, dynamique, leader sur son marché.
DCNS est surtout une entreprise de très haute technologie, comme il y en a peu dans le monde – seules deux ou trois sont capables de construire des engins aussi complexes que les sous-marins nucléaires lanceurs d'engin (SNLE) que nous réalisons. Notre effectif est très qualifié puisqu'il est composé à 40 % d'ingénieurs, 30 % de techniciens supérieurs et à 30 % d'ouvriers qualifiés.
Nous avons une vision, fondée sur la conviction que la mer est l'avenir de l'humanité et peut constituer pour la France, qui dispose de nombreux atouts, un important vecteur de son développement. Nous nous sommes dotés d'un projet d'entreprise de croissance et de développement car nous ne pouvons dépendre que des commandes la marine nationale. Ce projet s'appuie sur trois piliers : le développement de notre gamme de services et de produits, le développement à l'international, l'exploration de domaines nouveaux, comme celui des énergies marines renouvelables, les centrales nucléaires sous-marines et l'exploitation des richesses des fonds marins.
Notre objectif est de doubler notre chiffre d'affaires d'ici la fin de la décennie. Celui-ci sera de plus de trois milliards d'euros cette année avec un carnet de commandes de 15 milliards d'euros – nous travaillons sur des programmes à très long terme. Il était réalisé à 80 % avec la marine nationale, notre objectif étant de l'équilibrer pour ramener cette part marine nationale à un tiers, un autre tiers au naval de défense à l'international et un dernier tiers aux métiers nouveaux que je viens d'évoquer.
Nous employons 13 800 personnes auxquelles il faut ajouter 3 000 intérimaires et sous-traitants sur nos sites et 10 000 au titre de nos fournisseurs. Nous embauchons près de 1 000 personnes par an et 98 % de notre effectif est localisé en France. Dans un contexte morose, DNCS crée donc chaque année, compte tenu de 700 départs à la retraite, 300 emplois industriels en France. Nous réalisons 40 % de notre chiffre d'affaires à l'exportation mais avec des retombées principalement en France.
Si le projet de LPM aurait pu être catastrophique pour l'industrie de défense et DCNS, je tiens à remercier les commissions chargées de la Défense de l'Assemblée nationale et du Sénat qui ont permis, aux côtés du Ministre, que les enjeux stratégiques, industriels et sociaux soient pris en compte. Je salue particulièrement l'action de Mme la Présidente, de Mme Gosselin-Fleury et de M. Rouillard, qui ont mis tout leur dynamisme au service de l'emploi sur nos sites.
La LPM préserve donc l'essentiel mais il faudra veiller à sa bonne exécution car il n'y a plus aucune marge de manoeuvre.
L'activité de DCNS est aujourd'hui répartie à parts égales entre le maintien en condition opérationnelle (MCO) naval, le programme de sous-marins et les systèmes navals de surface. Le MCO étant peu touché par la LPM, je me concentrerai sur ces deux derniers points, au travers de nos deux grands programmes, les sous-marins de classe Barracuda et les frégates multi-missions (FREMM).
La LPM a maintenu le programme de construction des six sous-marins Barracuda, ce qui est une excellente nouvelle, mais en a étalé la livraison, l'achèvement du programme devant être repoussé de deux ans, de 2027 à 2029. La livraison du premier exemplaire serait décalée de six mois, celle du deuxième de 12 mois, celle du troisième de 18 mois et les trois derniers exemplaires de deux ans. Nous sommes en train de finaliser cet accord avec le Gouvernement.
Cet étalement aurait un impact sur la charge annuelle équivalent à terme à 500 emplois pour DCNS et sous-traitants sur l'ensemble des sites. Il ne s'agit naturellement pas de l'impact final sur les effectifs, qui dépendra aussi des contrats à l'exportation et du développement de notre activité en matière d'énergies marines renouvelables. À ce propos, je tiens à vous faire remarquer que notre technologie est mature et que nous pourrions devenir leaders mondiaux et créer jusqu'à un millier d'emplois à Cherbourg. !
L'étalement de la production de sous-marins nécessite aussi que nous fassions le nécessaire pour préserver nos compétences, qui sont rares, afin de garantir notre capacité à faire des sous-marins, et donc notre indépendance. L'exemple britannique est à cet égard instructif. C'est pour cela que nous espérons qu'un programme de remplacement de nos SNLE prenne rapidement la suite du programme Barracuda. Nos activités dans le domaine du nucléaire civil, avec le concept de centrales nucléaires sous-marines, nous permettront de contribuer au maintien de nos compétences.
Le deuxième programme majeur nous intéressant est naturellement celui des FREMM. L'État nous a passé une commande ferme de 11 frégates, avec une cadence de livraison d'une frégate tous les dix mois ; nous avons livré la première, l'Aquitaine, la deuxième est à l'essai et la troisième est mise à l'eau aujourd'hui même.
La LPM n'est pas très explicite : elle prévoit que six frégates auront été livrées avant 2019 et que deux, dotées de capacités de défenses anti-aériennes, le seront par la suite tandis que la décision sur les trois dernières est reportée au-delà de la LPM.
Notre première préoccupation est le rythme de production de nos frégates, qui passera, pour une livraison de frégate avant 2019, de 10 à 14 mois. Le surcoût de cet étalement serait à peu près équivalent au coût d'une frégate. À titre d'information, le coût du programme a déjà augmenté d'une frégate lorsqu'on est passé de 17 à 11 frégates et d'une deuxième frégate lorsque l'on est passé d'une frégate tous les 7 mois à une frégate tous les 10 mois. Les étalements successifs du programme FREMM ont donc déjà coûté l'équivalent de trois frégates au budget de l'État. Il faut bien avoir à l'esprit que ce n'est pas l'augmentation du coût des programmes qui conduit à étaler les commandes mais l'étalement ou la réduction du nombre qui conduit mécaniquement à augmenter le prix de chaque unité.
Cette nouvelle cadence à 14 mois se traduit par un impact à terme sur la charge de l'ordre de 500 ETP, répartis entre 100 ETP pour DCNS, 50 dans l'intérim et 350 dans la sous-traitance. Naturellement l'objectif de notre groupe est de tout faire pour préserver ces emplois en obtenant des commandes à l'exportation. Cela étant, nous saurons gérer ce nouveau délai de 14 mois.
Mais si cette cadence de livraisons devait passer à 18 mois, comme nous l'avons déjà entendu, l'impact serait catastrophique, il atteindrait 1 000 emplois dans la filière et conduirait à supprimer des emplois. Pour ce qui est du second enjeu, c'est-à-dire le sort des trois dernières frégates, je rappelle que le contrat initial est un contrat ferme de 11 frégates et que nous avons déjà passé les commandes de 11 radars, sonars, etc. auprès de nos fournisseurs et sous-traitants. L'annulation de cette commande aurait des conséquences sociales et industrielles dramatiques : on estime que le coût serait de l'ordre de 900 millions d'euros, soit presque le coût de deux frégates.
Afin de répondre aux contraintes budgétaires du ministère de la Défense tout en garantissant cette commande, une des solutions pourrait être de mettre en place une société de leasing, sous le contrôle de l'État. Elle permettrait de disposer d'un outil à l'export pour répondre à la demande de nombreux clients. L'Allemagne travaille dès à présent à une formule de ce type pour un projet de contrat avec la Pologne. Cet outil serait un bon levier pour trouver de nouveaux clients à l'international pour nos frégates, conserver notre rythme de production et éviter à l'État de verser les 300 millions d'euros liés à l'étalement, voire les 900 millions d'euros liés à une éventuelle annulation des commandes.
Un groupe de travail efficace a été mis en place et nous travaillons très minutieusement sur ce dossier complexe. Il est composé de l'Agence des participations de l'État, de la direction générale de l'armement (DGA) et de DCNS. Le ministère de la Défense est tenu informé en permanence de ces travaux. Notre objectif est de répondre aux attentes claires de chacun : la direction du Budget, qui souhaite que ce dispositif ne constitue pas un financement de hors LPM du programme FREMM, la direction du Trésor, qui veille à ce que ce dispositif n'aggrave pas la dette et le ministère de la Défense, qui attend flexibilité et économies de cette opération. L'objectif est de trouver un accord avant la fin de l'année pour voir cette société fonctionner l'été prochain.
Pour résumer l'impact de la LMP sur nos programmes Barracuda et FREMM, je dirais que nous saurons le gérer à condition de ne pas dépasser certaines limites dans l'étalement des programmes et que nous ayons les développements export que nous souhaitons. À ce propos, notre capacité à exporter dépend pour beaucoup des programmes français et du soutien de la marine nationale et de la DGA– qui sont essentiels et qui ne nous ont jamais manqué.
Je voudrais à présent dire quelques mots sur le programme de bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH), prévu en partenariat public-privé (PPP). Le groupement formé par DCNS et Louis Dreyfus Armateurs (LDA) a participé activement, depuis plus de trois ans, au dialogue compétitif initié par la DGA qui devait conduire à une notification fin 2012. À l'issue de ce dialogue et suite au dépôt des offres finales des deux compétiteurs en lice, le groupement DCNS-LDA est le seul à avoir soumis dans les délais une offre conforme. Or, depuis plusieurs mois, les discussions sont gelées avec la DGA qui semble vouloir remettre en cause le processus d'acquisition suivi jusqu'alors pour s'orienter vers une acquisition patrimoniale. Cette décision aurait alors de lourdes conséquences. Cette décision entraînerait de fait une rupture de capacité pour la marine nationale car la durée d'une nouvelle procédure et les délais de construction reporteraient de trois à quatre ans l'échéance du programme. Elle aurait en outre un impact fort sur l'activité et donc l'emploi dans les chantiers bretons, déjà concernés par les évolutions du programme FREMM. Enfin, en lançant un appel d'offres européen, on menacerait très directement la solution volontairement française que nous proposons. Le contrat BSAH, de plusieurs centaines de millions d'euros, ne bénéficierait alors ni aux chantiers, ni à l'emploi français
Enfin, je voudrais terminer en parlant des partenariats entre la défense et l'industrie pour optimiser les coûts. Nous souhaitons mettre en place des formes innovantes de partenariat, à l'exemple du projet mené à Saint-Mandrier avec d'autres entreprises, destiné à la formation et à l'entraînement des marines française et étrangères. Nous proposons dans ce cas d'espèce une structure juridique innovante, fondée sur une réelle gestion commune par les partenaires publics et privés.