Intervention de José Manuel García-Margallo

Réunion du 18 septembre 2013 à 10h00
Commission des affaires étrangères

José Manuel García-Margallo, ministre des affaires étrangères et de la coopération du Royaume d'Espagne :

Madame la présidente, mesdames et messieurs, je suis particulièrement heureux d'être avec vous aujourd'hui : je suis d'abord un parlementaire, en effet, puisque je suis devenu député en 1977, dès les premières élections libres après la dictature de Franco ; j'ai eu ainsi l'honneur de participer à la transition démocratique et à la rédaction de la Constitution de 1978.

Je commencerai par vous exposer mon point de vue sur la situation et les perspectives de l'Union européenne, notamment en matière économique et monétaire. La brochure qui vous a été distribuée présente diverses propositions visant à améliorer l'union économique et monétaire ; elles ont été discutées par dix-sept ministres des affaires étrangères – dont celui de la France –, à Palma de Majorque, en juillet dernier.

C'est la crise économique qui a mis en évidence l'urgence de consolider une union européenne forte et solide dans le monde ; toutefois, bien avant la crise de 2007 et la chute de Lehman Brothers, des voix s'étaient élevées pour demander une réforme de l'Union.

Tout d'abord, les pays émergents, comme la Chine et l'Inde, inondaient déjà les marchés occidentaux de marchandises « low cost » et de produits plus sophistiqués, souvent fabriqués par des entreprises américaines ou européennes ayant délocalisé leurs unités de production afin de profiter de salaires moins élevés, de taux d'imposition plus favorables et de normes environnementales moins contraignantes.

Ensuite, bien avant la crise, les États-Unis d'Amérique étaient capables de créer 1,2 poste de travail pour chaque poste supprimé à cause de la délocalisation, quand l'Union européenne n'en créait que 0,8.

Enfin, dès cette époque, on avait remarqué qu'une union monétaire sans union économique était illusoire. L'imposition d'un taux d'intérêt unique à des pays se trouvant dans des situations différentes a provoqué une migration de l'épargne des pays centraux vers les pays périphériques, phénomène qui est à l'origine de la crise immobilière en Espagne. Le pacte de stabilité et de croissance a été oublié par presque tous les États membres – notamment par l'Allemagne et par la France en 2002 et 2003. La méthode de coordination « light » n'a pas fonctionné : nous étions ensemble à Bruxelles, madame la présidente, quand fut publié le rapport Kok, lequel, ayant pour objet d'évaluer les progrès réalisés dans le domaine de la coordination économique, aboutissait à la conclusion que les différences étaient plus importantes encore qu'avant le lancement de la stratégie de Lisbonne !

Il reste que c'est bien la crise de 2007 qui a déclenché l'alarme. Pour tenter de la surmonter, la politique monétaire de la Banque centrale européenne n'a pas été aussi audacieuse que celles de la Réserve fédérale américaine et de la Banque d'Angleterre. Les taux d'intérêt restaient certes bas, mais les courroies de transmission étaient complètement bloquées ; il existait en outre des disparités importantes dans les conditions de financement d'entreprises travaillant pourtant sur le même marché intérieur : une entreprise allemande bénéficiait d'un taux d'intérêt d'un peu plus de 1 %, quand des entreprises italiennes ou espagnoles devaient payer des taux de presque 5 % ! Le pacte de stabilité et de croissance n'a pas fonctionné ; aujourd'hui, douze des dix-sept États membres de la zone euro dépassent les limites fixées par le pacte et les différences de primes de risque atteignent 2 000 points de base – phénomène inédit dans une union économique et monétaire ! Et que sont devenues les trois clauses : no bail out, no default, no exit ? Des bail out, on en a déjà vu beaucoup, on a constaté un défaut de paiement de la Grèce et l'on a commencé à envisager l'exclusion de certains pays de l'union monétaire : rien n'a fonctionné !

Alors, que faut-il faire ? C'était une grave erreur que de vouloir faire une union monétaire sans travailler en parallèle à une union économique. Il faut désormais instaurer un gouvernement économique fondé sur quatre piliers : une union bancaire, une union budgétaire, une union économique, une union politique.

S'agissant de l'union bancaire, nous avions réfléchi en 2010 à la supervision des banques, des assurances, des fonds de pension, des marchés, des actions et aux risques systémiques. Nos conclusions n'ont pas été suivies par le Conseil : nous en sommes toujours au même point.

Notre idée est pourtant simple : les banques de dimension européenne devraient être soumises à une réglementation unique – c'est à l'Autorité bancaire européenne, qui est à Londres, de l'établir – et à un mécanisme de supervision unique. Il faudrait aussi mettre en place des mécanismes communs de restructuration des banques, ainsi qu'un système de garantie des dépôts et un fonds de résolution bancaire préfinancés afin que le coût d'une éventuelle crise ne soit pas supporté par le contribuable. Ces mécanismes devraient être complétés par un « pare-feu » commun, qui devrait être le Mécanisme européen de stabilité. La Banque centrale européenne devrait en outre se transformer pour assumer le rôle de prêteur en dernier ressort, à l'instar de la Réserve fédérale américaine ou de la Banque d'Angleterre.

S'agissant de l'union budgétaire, le « six-pack » et le « two-pack » ont permis des avancées importantes en matière de contrôle des budgets nationaux par les autorités européennes. Désormais, tous les États faisant l'objet d'une procédure pour déficit excessif ont l'obligation de présenter leur budget à Bruxelles avant de le soumettre à la discussion de leur Parlement ; en matière de souveraineté nationale, cela représente un saut considérable, puisque les Parlements étaient nés pour approuver les budgets nationaux.

Ces mesures doivent être complétées par de nouveaux mécanismes de solidarité, car les mécanismes de bail out n'ont pas fonctionné, que ce soit dans le cas de la Grèce ou dans celui de Chypre ; les difficultés de la Grèce, pays qui représente 2 % du PIB de la zone euro, ont provoqué un tsunami dans toute l'Union européenne et, ce qui est encore plus curieux, celles de Chypre – 0,2 % du PIB de la zone euro ! – ont abouti à une situation tout aussi grave. Il faut dire qu'avec des moyens aussi limités pour contrer la spéculation et de telles procédures de décision, cela ne pouvait pas marcher ! Il faudrait créer un véritable fonds européen, qui soit soumis à des règles plus souples en matière de prise de décision, et qui ait le droit d'aller se financer sur les marchés.

On rejoint là le problème, délicat, des obligations européennes : les « eurobonds ». Certains pensent qu'ils permettraient aux pays les moins vertueux de profiter des efforts des autres. Ce ne sera pas le cas si on limite la mutualisation de la dette de chaque pays à 60 % de son PIB, le reste devant être financé par des obligations nationales payables après les obligations européennes. En outre, même au-dessous de cette limite, les taux d'intérêt, les conditions et les garanties devraient varier en fonction du degré de respect des contraintes communautaires en matière de budget, de dette, de compétitivité et de réformes. La création des eurobonds n'est pas qu'une décision économique : chacun sait que les États-Unis d'Amérique sont nés lorsque les treize colonies ont décidé de mutualiser leurs dettes. Cela permettrait donc de faire un pas fondamental en direction des États-Unis d'Europe.

L'union économique semble plus lointaine, mais il faudrait également avancer dans cette voie, par exemple en prévoyant dans quelques années une coordination ex ante des grandes réformes économiques, qui se traduirait par la signature de contrats de convergence et de compétitivité entre les États membres et les institutions européennes. Ces contrats seraient assortis du versement d'une aide financière complémentaire.

Quant à l'union politique, elle passe d'abord par la mise en place d'un gouvernement économique. Je dirai tout à l'heure quelques mots sur les réformes institutionnelles.

J'en viens à mon deuxième point : améliorer la capacité d'action à l'intérieur et à l'extérieur.

Sur le plan intérieur, il conviendrait de consolider le marché unique, comme l'ont demandé plusieurs rapports, dont le rapport Monti ; on sait ce que l'on doit faire, mais on ne le fait pas.

La relance de la croissance me semble un nécessaire complément de la politique d'austérité : celle-ci ne fera pas le boulot toute seule ! Il faut donc accroître le soutien aux PME et faciliter leur accès à la Banque européenne d'investissement, dont le rôle devrait être renforcé. Il faut aussi stimuler la création d'emploi, en particulier pour les jeunes, et créer un marché intérieur de l'énergie interconnecté.

Sur le plan extérieur, des réformes sont également à conduire. La Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité devrait voir son rôle accru et sa coopération avec les commissaires ayant des compétences en matière d'action extérieure améliorée ; elle devrait aussi pouvoir veiller à la bonne coordination de ces commissaires chargés de domaines connexes : politique de voisinage, coopération internationale, migrations, etc., par exemple via la création de postes de commissaires « juniors ». L'Union européenne doit parler d'une seule voix dans les institutions internationales.

Troisième volet, les réformes institutionnelles. Il faudrait accroître la prééminence du président de la Commission dans l'organisation interne et réduire le nombre de commissaires ; ceux-ci sont aujourd'hui 28, ce qui oblige à diviser artificiellement les dossiers. Le président de la Commission devrait être élu au suffrage universel indirect – par le Parlement européen. Et il conviendrait de fusionner le poste de vice-président, commissaire aux affaires économiques et monétaires, avec celui de président de l'Eurogroupe.

Il faudrait enfin améliorer la préparation des Conseils européens grâce à des réunions du conseil des affaires étrangères et du conseil des affaires générales, étendre le champ de la procédure législative ordinaire, avec une seule lecture, et renforcer les matières où une coopération renforcée serait possible.

À la demande de la présidente, je dirai enfin quelques mots sur l'économie espagnole. Le présent Gouvernement a hérité d'une situation particulièrement difficile : l'Espagne ressentait les effets de la crise générale, mais avec des spécificités : poids particulièrement lourd de la dette, en particulier dans le secteur privé, crise du marché de l'immobilier, forte perte de compétitivité. Cela a eu quatre conséquences : une dégradation du PIB et de l'emploi plus importante qu'ailleurs, une forte dégradation de notre balance extérieure – avec un déficit de 10 % en 2008 –, un effondrement des finances publiques – on est passé d'un excédent de 2 % en 2008 à un déficit de 11 % deux ans plus tard – et une crise du système financier.

Un programme d'austérité et de stabilité budgétaire a été mis en place. D'importantes économies ont été réalisées : le budget de la coopération ne représente aujourd'hui que 20 % de celui de mon prédécesseur. Il a fallu remettre à flot le système financier – avec l'aide des institutions européennes –, réformer le marché du travail, les services publics, le marché de l'énergie ; des réformes des pensions et de la fiscalité sont en cours.

Cet effort commence à porter ses fruits. Nous avons réduit très fortement la dette des compagnies et des entreprises non financières, les déficits publics, la dette publique et nous commençons à enregistrer des signes encourageants dans le secteur extérieur : la balance courante et la balance des paiements sont devenues excédentaires, pour la première fois depuis vingt ans, ce qui nous permet de commencer à rembourser notre dette extérieure ; notre taux de couverture est le plus élevé depuis vingt ans, les exportations ont augmenté et les compagnies espagnoles sont performantes, notamment dans des secteurs modernes comme les énergies renouvelables ou la gestion de l'air.

Il est vrai que la situation reste difficile : cette année, la croissance sera encore négative, le taux de chômage est de 25 % – y compris, madame la présidente, chez les jeunes entre 16 et 24 ans, car la moitié poursuivent des études –, et il existe des risques externes : les conséquences des élections en Allemagne sur l'euro, celles de la crise au Moyen-Orient sur le pétrole. Nous commençons néanmoins à sortir du tunnel, et j'espère que, l'année prochaine, l'économie espagnole va redémarrer, sur des bases plus solides qu'avant la crise.

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