Il est vrai, monsieur Pueyo, que Lancaster House a donné un nouvel élan à la coopération franco-britannique, mais si les décisions qui ont été prises pour la filière missile sont sur le point d'être appliquées, c'est parce que, depuis le début des années 1990, le lancement du Scalp Storm Shadow, la création de MBD et l'intégration progressive de MBDA ont permis de poursuivre une approche franco-britannique, Lancaster House représentant non pas un point de départ mais une étape supplémentaire dans cette démarche résolue de coopération. Il convient évidemment de l'étendre à l'Allemagne, à l'Italie et à l'Espagne – les opportunités de coopération sont malheureusement trop peu nombreuses avec l'Allemagne et mais elles sont importantes avec l'Italie.
Toutefois, pour aller au-delà d'une coopération programme par programme, il est nécessaire que l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne développent, comme l'ont fait la France et le Royaume-Uni depuis la fin des années 1990, une vision industrielle sur le long terme et une politique capacitaire en matière de missiles. Toute coopération suppose en effet qu'on puisse d'abord confronter des visions industrielles pour, ensuite, les faire converger. Le seul volontarisme politique est impuissant en la matière. Une coopération comme celle de Lancaster House repose sur des politiques industrielles définies sur le long terme.
Les équipes de MBDA expliquent la démarche franco-britannique aux autorités des autres pays européens en vue de promouvoir une approche globale donnant aux industriels la visibilité nécessaire et permettant d'optimiser, programme par programme, compétence par compétence, un budget annuel nécessairement contraint. Je le répète : il faut disposer d'une politique industrielle et de perspectives budgétaires claires au niveau national pour pouvoir ensuite les partager. Ne mettons pas la charrue avant les boeufs.
À la suite du sommet de Lancaster House, nous avons travaillé entre 2010 et 2012 à un plan industriel avec la DGA et le ministère britannique de la Défense, pour une mise en oeuvre à compter de 2012, retardée à 2013 après l'annonce du lancement de l'ANL. Nous avons défini quatre centres spécialisés au sein de douze centres d'excellence, qui sont pour certains spécialisés, pour certains fédérés – les compétences sont gardées dans les deux pays mais nous nous arrangeons pour acquérir un certain niveau de spécialisation au sein de ces compétences et assurer une grande fluidité dans le transfert des savoir-faire et des activités entre les deux pays. En France, ces spécialisations sont les calculateurs embarqués et les bancs de tests, au Royaume-Uni les actuateurs – les parties mobiles des missiles – et les systèmes de liaisons de données. Ce qui est nouveau, c'est que ces centres d'équipement spécialisés s'appliqueront à la fois à des programmes en coopération et à des programmes nationaux. Ainsi, l'actuateur du MMP devrait être britannique et le calculateur embarqué du Spear Capability 3 devrait être français. Nous attendons encore le feu vert de l'administration française pour transférer à Stevenage les actuateurs qui sont actuellement produits à Bourges. Il faut avoir une approche globale pour donner confiance. Par souci d'efficacité, les activités ne seront évidemment transférées qu'au fur et à mesure du financement des programmes.
Monsieur André, si plusieurs industriels, dont MBDA, ont envoyé une lettre au Président de la République, c'était bien pour lui demander de veiller à appliquer strictement la LPM, sous peine d'aller au-devant de graves difficultés. En effet, le principe de stricte suffisance, qui gouverne le nucléaire, s'applique également à la politique industrielle de la défense. Comme M. Le Drian l'a affirmé au cours d'une de ses auditions, si une pierre est retirée à l'édifice, celui-ci s'écroule.
C'est vrai, nous aurions préféré que l'enveloppe des études amont soit fixée à un milliard, ce qui aurait permis de financer plus de projets. L'objectif de MBDA est d'obtenir entre 50 et 60 millions d'euros, ce qui serait cohérent avec la part des missiles dans les budgets d'équipement français et européens. Il faut prendre en compte le ratio entre les études amont et le développement. Si un développement est lancé en l'absence d'un niveau suffisant d'études amont de préparation des technologies et de réduction du risque, des difficultés techniques risquent d'enchérir in fine le coût du programme. Le bon ratio s'élève entre 10 % et 15 %. Il est un peu plus élevé pour MBDA, qui doit préparer le successeur de l'ASMPA, qui représente une part significative de nos études amont. Notre seconde priorité est de préparer, dans le domaine de la frappe en profondeur, le successeur commun franco-britannique du Scalp et de l'Exocet et, peut-être, d'autres missiles comme le Tomahawk, le Storm Shadow ou le Taurus germano-suédois. Ce nouveau programme nous offre des opportunités considérables de coopération industrielle.
Chaque audition, monsieur Fromion, a son ordre du jour. Lorsque j'ai été auditionné sur la coopération européenne, j'ai donné le point de vue de MBDA sur le sujet. Je suis aujourd'hui auditionné sur la LPM. J'ai du reste fait référence à plusieurs occasions au modèle industriel de filières nationales, à la coopération européenne ou à l'export.
L'Europe, c'est la coopération industrielle sur des programmes. Encore faut-il qu'il y ait des programmes. Nous avons connu, il y a quinze à vingt ans, une vague importante de coopérations européennes : je pense au Scalp Storm Shadow, à l'Aster ou au Meteor – le Meteor a représenté un milliard d'euros, l'Aster plus encore. Ces programmes ont été structurants pour l'industrie de défense. L'enjeu est aujourd'hui de maintenir cette dynamique sur un nombre plus limité de programmes plus modestes. L'ANL est un programme important qui ne représente toutefois que 25 % du développement de Meteor et moins encore de l'Aster ou du Storm Shadow. Il convient de maintenir la base européenne sur un périmètre limité tout en préparant la prochaine vague de programmes en coopération européenne, notamment en matière de frappe en profondeur – je viens de l'évoquer –, avec une extension à l'Espagne, à l'Italie et à l'Allemagne, voire à la Suède. Je tiens à ajouter que ce périmètre actuellement limité ne nous interdit pas d'approfondir la coopération puisque j'ai évoqué les centres de spécialisation qui impliquent des transferts d'activités, y compris pour des programmes nationaux : ce transfert de charges est un nouveau concept. L'intégration et la spécialisation prendront des années : il faut résoudre des problèmes difficiles de licences globales, de convergences capacitaires ou d'autorisation d'export entre la France et le Royaume-Uni. Ce transfert entraînera à terme une modification radicale du cadre réglementaire qui s'applique à l'industrie de la défense. Il convient de même de sécuriser la coopération franco-italienne.