Intervention de Didier Migaud

Réunion du 25 septembre 2013 à 15h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je vous remercie d'avoir bien voulu m'inviter devant votre Commission, en ma qualité de président du Haut Conseil des finances publiques, pour vous présenter les principales conclusions de l'avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014. Je suis accompagné des membres du secrétariat permanent du Haut Conseil : M. Jean-Philippe Cotis, rapporteur général ; MM. Philippe Ravalet et Boris Melmoux-Eude, rapporteurs généraux adjoints ; Mmes Nathalie Georges et Annabelle Mourougane, rapporteurs. Tout à l'heure, le ministre de l'Économie et des finances et le ministre délégué chargé du Budget vous ont présenté le projet de loi de finances pour 2014. Celui-ci est accompagné pour la première fois de l'avis du Haut Conseil des finances publiques.

Comme vous le savez, la France s'est engagée vis-à-vis de ses partenaires européens à atteindre l'équilibre structurel des comptes publics en 2016. Cet engagement a été traduit dans la loi du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017. Si les ministres des finances de l'Union européenne se sont accordés, en juin, pour desserrer le calendrier en matière de déficit nominal, ils ont maintenu l'échéance de 2016 pour le retour à l'équilibre structurel des comptes publics.

Il revient au Haut Conseil d'émettre un avis en toute indépendance sur les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Sa mission est, en réalité, double. Premièrement, le Haut Conseil doit se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Il ne produit pas ses propres prévisions, mais s'appuie sur les statistiques disponibles, ainsi que sur les prévisions et les analyses d'un ensemble d'organismes tels que l'INSEE, la Banque de France, la Banque centrale européenne, le FMI et l'OCDE.

Deuxièmement, le Haut Conseil doit examiner la « cohérence » de l'article liminaire du projet de loi de finances de l'année « au regard » des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation. Pour la première fois en effet, le projet de loi de finances contient un article liminaire qui présente les prévisions de solde effectif et de solde structurel des administrations publiques, pour l'année en cours et l'année à venir.

À ce stade, je souhaite apporter trois précisions sur la notion de « cohérence ». Il s'agit d'abord d'une notion difficile à appréhender. Selon le dictionnaire d'Émile Littré, est cohérent « ce qui tient réciproquement ensemble ». La mission du Haut Conseil ne peut se limiter à une simple vérification de la concordance des chiffres entre le tableau présenté à l'article liminaire et celui arrêté dans la loi de programmation. Il serait inutile de disposer d'un Haut Conseil à cette seule fin. Il ne peut s'agir non plus d'un examen « ligne à ligne », en recettes et en dépenses, des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Le Haut Conseil doit analyser les prévisions de solde des administrations publiques au vu des prévisions macroéconomiques du Gouvernement et des éléments qui lui ont été communiqués sur les principales dispositions des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale, et les comparer aux objectifs fixés dans la loi de programmation.

Au-delà du respect formel de la trajectoire, il revient donc au Haut Conseil d'apprécier le degré de robustesse et les éventuels éléments de fragilité du scénario de finances publiques et, en particulier, de la trajectoire du solde structurel, compte tenu des informations dont il dispose.

Ensuite, la trajectoire de référence utilisée pour examiner la cohérence de l'article liminaire doit être remise en perspective. Les dispositions de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques nous invitent à identifier les écarts avec les orientations pluriannuelles de solde structurel arrêtées dans la dernière loi de programmation, c'est-à-dire, en l'espèce, celle qui a été promulguée le 31 décembre 2012. Depuis son adoption, le contexte a pu toutefois évoluer. Nous devons en tenir compte et donc ne pas nous contenter de nous livrer à une analyse statique des données fournies.

Enfin, cette analyse de cohérence nécessite des informations nombreuses et donc des délais d'examen raisonnables, comme l'avait souligné le rapporteur général de votre Commission dans son rapport rédigé au nom de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi organique.

Je souhaite saluer la qualité des informations qui ont été communiquées au Haut Conseil dès le mois de juillet par le ministère de l'Économie et des finances sur le scénario macroéconomique et de finances publiques. Des réponses détaillées ont ensuite été adressées aux demandes des membres, ce qui a permis de premiers échanges fructueux entre le Haut Conseil et les administrations compétentes. Cela constitue un progrès notable par rapport aux deux derniers exercices auxquels s'était livré le Haut Conseil.

Ces efforts doivent être poursuivis afin d'améliorer le cadre des échanges qui se prolongent au mois de septembre. En particulier, la saisine du Premier ministre, intervenue le 13 septembre, ne contenait pas formellement tous les éléments permettant au Haut Conseil d'apprécier la cohérence de l'article liminaire avec les orientations pluriannuelles. Les éléments concernant notamment les finances publiques étaient peu développés. Ils ont dû être précisés par la suite, laissant peu de temps au Haut Conseil pour les analyser.

Comme votre Assemblée l'a souhaité, il est indispensable que le Haut Conseil dispose d'un délai d'au moins une semaine pour examiner de façon satisfaisante le contenu des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Il serait donc souhaitable que, à l'avenir, la saisine du Premier ministre contienne tous les éléments nécessaires à la préparation de l'avis, à supposer que tous les arbitrages soient rendus à cette date.

J'en viens aux trois principales conclusions de cet avis.

S'agissant tout d'abord des prévisions macroéconomiques, le Haut Conseil considère que les prévisions de croissance sont plausibles. Le scénario du Gouvernement, qui repose sur une reprise modérée de l'activité – avec une croissance de 0,1 % en 2013 et de 0,9 % en 2014 – semble raisonnable. Pour 2013, la prévision est confortée par l'amélioration, au cours de l'été, des perspectives économiques à court terme. Pour 2014, la prévision de croissance se situe dans le consensus des économistes, dont la moyenne s'établit à 0,8 %.

Le Haut Conseil a toutefois identifié des éléments de fragilité ainsi que des aléas entourant le scénario macroéconomique du Gouvernement. Ceux-ci sont globalement orientés à la baisse pour 2014.

Parmi les éléments de fragilité de ce scénario, le Haut Conseil juge les prévisions d'emploi optimistes. Je souhaiterais à cet égard attirer l'attention de votre Commission sur l'importance des prévisions d'emploi, au même titre que celles de croissance qui focalisent le débat public. Comme vous le savez, l'évolution de l'emploi exerce des effets importants à la fois sur le dynamisme de l'activité économique et sur l'équilibre des comptes publics. Des hypothèses trop favorables peuvent conduire, d'une part, à une surestimation de la masse salariale et, partant, des recettes de cotisations sociales et de CSG et, d'autre part, à une sous-estimation des dépenses d'assurance chômage. Or, le Gouvernement anticipe des créations d'emplois particulièrement vigoureuses dans les secteurs marchand et non marchand.

Ce scénario de forte reprise de l'emploi suscite trois interrogations. S'agissant du secteur non marchand, la forte croissance de l'emploi en moyenne annuelle repose sur une hypothèse volontariste de montée en charge des dispositifs d'emplois aidés – contrats d'avenir et autres – à la fin de l'année 2013 et tout au long de l'année 2014.

S'agissant du secteur marchand, le contenu de la croissance en emplois anticipé par le Gouvernement paraît élevé, même avant la prise en compte des effets du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE. Le Haut Conseil considère en effet que, compte tenu du faible niveau de productivité consécutif à la crise majeure que nous venons de connaître, la reprise de la croissance pourrait se traduire, dans l'immédiat, davantage par un rattrapage de productivité que par une augmentation des embauches.

En outre, les effets attendus par le Gouvernement du CICE semblent surestimés. D'une part, à l'inverse de ce que fait le Gouvernement, le Haut Conseil considère que le CICE ne peut pas être purement assimilé, sur le plan économique, à une baisse de charges sur les salaires. D'autre part, dans le contexte de faible niveau des marges que connaissent les entreprises, une baisse des charges d'exploitation risque d'avoir, à court terme, moins d'impact sur l'emploi que ne l'escompte le Gouvernement.

Le Haut Conseil a également identifié un certain nombre d'aléas qui entourent la prévision de croissance du Gouvernement. Ils portent essentiellement sur l'environnement extérieur de la France et sont globalement orientés à la baisse. En particulier, un environnement international moins porteur ou l'assainissement différé du secteur bancaire européen pourraient peser sur les perspectives de croissance pour 2014. À l'inverse, des avancées plus rapides qu'attendu en matière de gouvernance économique et financière européenne pourraient conduire à un rebond plus marqué de l'activité en 2014.

En définitive, le Haut Conseil estime que la prévision de croissance qui vous est présentée est plausible, mais que le scénario macroéconomique présente des éléments de fragilité, notamment sur les prévisions d'emploi.

J'en viens aux conclusions de l'avis sur la cohérence de l'article liminaire avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Un premier constat s'impose : le déficit structurel prévu tant pour 2013 que pour 2014 est significativement supérieur à celui de la loi de programmation. Selon l'article liminaire présenté par le Gouvernement, le solde structurel s'établirait à – 2,6 % du PIB en 2013 et à – 1,7 % en 2014 contre, respectivement, – 1,6 % et – 1,1 % dans la loi de programmation. Les écarts s'élèveraient donc à 1 point en 2013 et encore à 0,6 point en 2014.

S'agissant de 2013, il convient de distinguer ce qui est hérité du passé et ce qui résulte d'un ajustement structurel – c'est-à-dire d'une amélioration du solde structurel – inférieur à ce qui était initialement prévu. Une partie de l'écart – 0,3 point – est héritée de celui constaté en 2012 par le Haut Conseil dans son avis du 23 mai 2013. Une large part de cet écart était imputable à des révisions des comptes nationaux de 2011 par l'INSEE, portant sur le PIB comme sur le déficit public. Le reste de l'écart – 0,7 point – est imputable à un ajustement structurel moins rapide que prévu en raison d'une surestimation, dans le projet de loi de finances pour 2013 et dans la loi de programmation pour l'année concernée, du dynamisme des recettes par rapport à la croissance du PIB. L'élasticité globale des recettes serait en effet de 0,5 contre 1 initialement prévu. Cette différence d'élasticité se traduit par un moindre ajustement structurel de 0,4 point de PIB sur l'écart total de 0,7 point propre à 2013.

L'ajustement structurel est également moins rapide qu'escompté en raison d'un rendement moindre que prévu de certaines mesures nouvelles votées en loi de finances pour 2013 – de l'ordre de 0,1 point – et d'une évolution plus rapide des dépenses en volume – de l'ordre de 0,1 point –, compte tenu de la révision de la prévision d'inflation, d'une dynamique un peu plus forte de la dépense locale, ainsi que d'un versement supplémentaire de 1,8 milliard d'euros au budget de l'Union européenne.

S'agissant de 2014, l'effort supplémentaire prévu par le Gouvernement – 0,4 point – ne permettrait de rattraper qu'une partie du retard accumulé en 2013 – 1 point –, conduisant ainsi à un écart prévu de 0,6 point. De surcroît, le Haut Conseil estime que cette prévision de déficit structurel pour 2014 est optimiste. Il a notamment identifié, sans les chiffrer, quatre facteurs qui conduisent à penser que ce déficit structurel pourrait être sous-estimé.

S'agissant tout d'abord des recettes, les hypothèses d'élasticité du Gouvernement – qui mesurent la réactivité des recettes fiscales et sociales à la croissance du PIB – paraissent optimistes. Le Gouvernement anticipe une augmentation, à législation constante, proche de celle du PIB, c'est-à-dire une élasticité comprise entre 0,9 et 1. Pour sa part, le Haut Conseil estime que les rentrées fiscales de 2014 pourraient encore subir les effets négatifs de la mauvaise conjoncture de 2013, notamment en raison des décalages temporels entre le calcul de l'assiette et la perception de certains impôts.

D'autre part, le rendement des mesures nouvelles, annoncé par le Gouvernement à hauteur de 9,5 milliards d'euros, n'a pu être expertisé par le Haut Conseil. Cela concerne en particulier la cotisation sur l'excédent brut d'exploitation, qui doit en principe rapporter 2,5 milliards d'euros. En outre, le Haut Conseil n'a pas été destinataire du détail des mesures nouvelles concernant la fiscalité écologique et la sécurité sociale. Enfin, le rendement attendu d'un renforcement de la lutte contre la fraude et l'optimisation fiscales – 1,8 milliard d'euros – est incertain et une partie pourrait ne pas être pérenne, dans la mesure où il s'agirait d'une mesure ponctuelle et temporaire.

En ce qui concerne les dépenses, des facteurs d'incertitude ont été identifiés dans le périmètre des dépenses de l'État et des collectivités territoriales. L'effort sur les dépenses de l'État est conditionné à une stricte maîtrise de la masse salariale – qui est bien prévue – et au ralentissement effectif des dépenses d'intervention. La réduction des concours de l'État aux collectivités territoriales à hauteur de 1,5 milliard d'euros ne se traduira pas nécessairement par une économie à due concurrence sur la dépense locale.

Par ailleurs, je rappelle que les prévisions de solde structurel reposent sur les hypothèses de croissance potentielle retenues dans la loi de programmation. Le Haut Conseil n'a pas été amené à se prononcer sur ces hypothèses dans la mesure où sa création est postérieure à l'adoption de la dernière loi de programmation. Il s'interroge néanmoins sur l'ampleur de l'écart de production, estimé à 3,5 points en 2014. En effet, dans le contexte de crise financière majeure que nous venons de connaître, la persistance d'un déficit d'activité devrait s'accompagner de pertes définitives de capacités productives, pesant in fine sur la croissance potentielle.

Or, un écart surévalué entre le PIB effectif et le PIB potentiel conduit à surestimer la composante conjoncturelle et, par voie de conséquence, à sous-estimer le déficit structurel, qui constitue la référence principale retenue pour le pilotage de nos finances publiques dans le cadre européen. Si cette hypothèse se vérifiait, les efforts d'ajustement budgétaire à réaliser pour atteindre l'équilibre structurel seraient plus importants que prévu. Le Haut Conseil ne pourra se prononcer sur cette question qu'à l'occasion du prochain projet de loi de programmation des finances publiques qui lui sera présenté, mais il lui a semblé utile de relever ce point pour permettre une appréhension d'ensemble de la situation de nos finances publiques.

Enfin, après un premier écart de 0,3 point en 2012 constaté par le Haut Conseil, le solde structurel s'écarterait significativement, dès 2013, de la trajectoire programmée, ce qui rendra vraisemblablement nécessaire le déclenchement du mécanisme de correction au mois de mai 2014.

Aux termes de l'article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012, le mécanisme de correction est déclenché si le Haut Conseil identifie un « écart important » entre les résultats de l'année écoulée et les orientations pluriannuelles de solde structurel définies par la loi de programmation. Deux critères alternatifs permettent de déterminer si un écart est important ou non : soit s'il représente au moins 0,5 point de PIB sur une année donnée ; soit s'il représente au moins 0,25 point de PIB en moyenne sur deux années consécutives.

Dans son avis du 23 mai 2013, le Haut Conseil avait déjà constaté un écart de 0,3 point en 2012. Devant cette même Commission, j'avais souligné que cet écart présentait un risque s'agissant du respect futur de la trajectoire. Ce risque se confirme avec le projet de loi de finances qui vous est présenté. Si les prévisions du Gouvernement se réalisent, le mécanisme de correction sera déclenché en mai 2014, sauf si l'on modifie la loi de programmation et le calendrier de redressement des finances publiques.

La capacité de la France à atteindre l'équilibre structurel des finances publiques en 2016, objectif sur lequel elle s'est engagée, dépend ainsi, d'une part, de l'atteinte de l'objectif de solde structurel fixé en 2014 – ce qui n'est pas évident à ce stade compte tenu des hypothèses optimistes qui ont été retenues – et, d'autre part – quand bien même cet objectif serait respecté – de la réalisation, en 2015 et 2016, d'efforts plus importants que ceux prévus par la loi de programmation. En effet, celle-ci prévoyait un ajustement de 1,1 point de PIB sur les deux années. C'est désormais un ajustement de 1,7 point – soit 0,85 point par an – qui serait nécessaire pour atteindre l'équilibre structurel – là aussi, sauf si l'on modifie la loi de programmation et le calendrier de retour à l'équilibre structurel. Je rappelle que la loi organique oblige le Haut Conseil à raisonner par rapport à la dernière loi de programmation et non par rapport aux éventuels compromis passés entre la Commission européenne, le Conseil et un pays donné après l'adoption de ladite loi.

Le Haut Conseil des finances publiques a été créé pour développer une expertise indépendante sur les textes financiers, préalablement à leur présentation au Parlement. Il a ainsi pour mission d'éclairer vos débats sur les moyens mis en oeuvre par la France pour respecter ses engagements en matière de finances publiques. J'espère que le présent avis y contribuera.

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