Intervention de Rodrigue Trèfle

Réunion du 17 septembre 2013 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Rodrigue Trèfle, président de la SAFER de Guadeloupe :

Les problématiques des agricultures insulaires sont les mêmes. Pour autant, je vais vous faire un état des lieux de la situation en Guadeloupe.

D'abord, l'âge moyen de nos agriculteurs est aujourd'hui de 55 ans. Il y a très peu d'installations, pour des raisons liées aux retraites. En effet, quand ils atteignent l'âge de la retraite, les agriculteurs n'arrêtent pas leur exploitation, parce qu'ils n'auraient pas suffisamment de revenus pour vivre décemment. Il faut donc se donner les moyens d'accompagner le départ de nos aînés, afin de libérer ce foncier pour les générations nouvelles.

Ensuite, la Guadeloupe perd son foncier agricole, pour des raisons qui ne sont pas directement liées à la construction, mais qui sont liées à la spéculation. On estime aujourd'hui que 10 000 hectares de terre sont maintenus en friche ou insuffisamment cultivés, en attendant de les transformer en terrains à bâtir. Des lois existent, comme, par exemple, la loi sur les terres incultes. Il s'agirait de l'adapter à la réalité de l'outre-mer car, dans l'hexagone, l'histoire agricole est tout autre.

Enfin, la taille de nos exploitations agricoles est en moyenne de cinq hectares. Quand ils partent à la retraite, nos aînés ont tendance à morceler leur foncier pour le transmettre par petits bouts à leurs enfants. Il faut absolument mener une réflexion en profondeur, pour que ce foncier reste intact. Nous devons trouver des moyens, fiscaux ou juridiques, d'éviter ces morcellements. L'instance la plus adaptée pourrait être la CDCEA. Tout projet de division d'une surface, non plus constructible mais agricole, devrait transiter par cette commission.

La jeunesse de notre agriculture fait que l'on n'a pas encore compris que, même s'il est nécessaire de loger la population, le foncier est surtout, dans une économie comme la nôtre, un outil de travail. Or, les quelques 300 jeunes qui sortent chaque année du lycée agricole de Guadeloupe n'ont pas la possibilité de mener leur carrière dans le monde de la production agricole. Le paysage est mité (il suffit de se rendre en Guadeloupe par avion pour s'en rendre compte), les conflits d'usage se multiplient et les exploitations ne peuvent pas se développer pour répondre au développement endogène. Les surfaces étant limitées, les éleveurs ont des problèmes de voisinage avec leurs voisins qui, souvent, ne sont pas des agriculteurs.

Je vais maintenant retracer brièvement l'histoire agricole des trente dernières années de la Guadeloupe, qui nous a permis de dégager des pistes et une forme de mise à disposition du foncier agricole : je veux parler de la réforme foncière et de l'exploitation sous forme de GFA (groupement foncier agricole).

La SAFER de Guadeloupe avait déjà mis en oeuvre différentes réformes, dont l'objectif était de mettre le foncier à la disposition des agriculteurs. Ceux-ci étaient installés, devenaient propriétaires et exploitaient leurs terres. Mais on a constaté que pratiquement 60 % des surfaces concernées ne sont plus agricoles, sont mitées ou ont été morcelées.

La réforme foncière des années quatre-vingt était d'une certaine ampleur. Il s'agissait, pour la SAFER de Guadeloupe, d'acquérir plus de 11 000 hectares de terres agricoles, ou aux mains des usiniers, et de les transmettre, sous la forme considérée alors comme étant la plus adaptée – parce que la plus apte à garantir la pérennisation de l'activité agricole – qui était celle de la rétrocession dans le cadre d'un GFA à statut spécifique. Dans ce type de GFA, en effet, le capital était détenu à 40 % par les exploitants et à 60 % par une SCPI (société civile de placement immobilier). Plus de trente-deux ans après, nous pouvons constater qu'aucun mètre carré des terres placées dans ces GFA n'a été déclassé. Ces terres contribuent ainsi au développement agricole du département de la Guadeloupe. On relève que 34 % de la production cannière de Guadeloupe provient d'ailleurs de ces GFA.

À mon avis, ce schéma est le bon, dans la mesure où il garantit une transmission du foncier. L'agriculteur n'est pas propriétaire de la parcelle, il est simplement actionnaire d'une entité juridique qui a pour vocation d'assurer la pérennité de l'outil de production qu'est le foncier. Je n'ai pas de proposition spécifique à vous faire, mais je pense qu'il conviendrait de conforter l'expérience guadeloupéenne dans les autres départements d'outre-mer qui sont confrontés au même problème : le foncier s'y réduit comme une peau de chagrin. Certes, il faudra loger les habitants de nos îles. Il faut donc utiliser cet outil en bonne intelligence, dans l'intérêt de chacun.

Je souhaiterais également appeler votre attention sur un autre phénomène. La SAFER de Guadeloupe reçoit, comme la loi l'y oblige, les notifications des notaires, et nous constatons que nous manquons aujourd'hui de moyens pour remplir notre mission première qui est de réguler le marché, afin d'éviter la flambée des prix.

Aujourd'hui, les très bonnes terres agricoles que la SAFER rétrocède sont aux alentours de 10 000 euros l'hectare, et les notifications qui nous parviennent des notaires avoisinent les 5 000 euros l'hectare. Nous intervenons souvent dans le cadre de notre droit de préemption. Mais le vendeur retire le bien de la vente, qui échappe encore une fois au monde agricole. Là encore, il faut mener une réflexion en profondeur. Comme le disait le président Lugo, celui qui détient l'outil qu'est le foncier agricole doit être taxé, dans la mesure où il défend ses propres intérêts et non pas l'intérêt général. Aujourd'hui, plus de 300 jeunes frappent à la porte de la SAFER pour demander du foncier. Nous sommes incapables de leur proposer quoi que ce soit, tout en sachant que l'on voit tous les mois, à travers les notifications, du foncier qui transite par la SAFER via les notaires.

Par ailleurs, il est fréquent que des propriétaires âgés qui détiennent 10 hectares les vendent par petits morceaux, par demi-hectares, ce qui contribue au mitage. Nous devons faire en sorte d'obliger, ou de pénaliser fiscalement, tout propriétaire qui détiendrait des terrains agricoles non mis à la production. Certes, nous sommes en France, et il n'est pas possible de déposséder les propriétaires de leurs biens, mais il faudrait les obliger à mettre ces terrains à la production, dans l'intérêt général du monde agricole.

Il faut également donner des moyens aux SAFER. Celles des outre-mer, contrairement à celles de l'hexagone, ont un volet d'intervention limité. Nous sommes un tout petit territoire. Une SAFER de l'hexagone, de par l'étendue de l'espace où elle exerce son activité, obtient des moyens par le flux des affaires qui peuvent y être faites. Ce n'est pas notre cas, et nous n'avons pas les moyens financiers pour intervenir.

Il faudrait pouvoir verser une dotation minimale aux SAFER – à partir de certaines taxations – en leur fixant comme objectif précis l'installation et l'accompagnement des jeunes. Là aussi, une réflexion s'impose. Sur nos territoires d'outre-mer, seule l'agriculture est à même d'offrir des perspectives aux jeunes et aux moins jeunes. Et il lui revient de relever le défi du développement endogène. Pratiquement toutes nos productions sont des productions d'exportation. Celles-ci méritent d'être confortées, mais nous devons également trouver le moyen de développer une agriculture qui permette de nourrir nos populations. Il est exact que, par le passé, nous n'avions pas suffisamment d'agriculteurs formés. Mais maintenant, nous avons des lycées performants, et des jeunes à l'attente desquels il faut répondre.

Je terminerai par une autre problématique, tout aussi importante, à laquelle la SAFER de Guadeloupe est confrontée depuis plus de trente ans : les phénomènes d'occupation illégale. Aujourd'hui, en outre-mer, et plus particulièrement en Guadeloupe, nous connaissons des personnes qui occupent de façon illégale le foncier et qui, malheureusement, bénéficient d'aides publiques, et parfois d'aides européennes.

Il faut que l'on puisse inscrire dans une loi que toute aide publique ne peut être versée que si l'exploitant justifie de titres en bonne et due forme.

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