Ce débat est un peu surréaliste ! La France compte plus de trois millions de chômeurs, l'industrie nationale dépérit depuis plus de trente ans, les inégalités s'accroissent, il y a toujours plus de pauvres, et nous nous demandons comment trouver 800 millions par-ci, 26 millions par-là. Je suis très surpris.
Le Président de la République a été élu en mai 2012 avec toutes les voix de la gauche, y compris de celle qui voulait une véritable rupture avec la politique des années passées. Or, la toute-puissance des marchés financiers se lit clairement dans ce projet de loi de finances. L'obsession de la compétitivité n'a jamais été si grande que, ce matin, dans cette salle. Nous assistons à la conversion assumée du Gouvernement et du Président de la République à la politique de l'offre réclamée à cor et à cri par le patronat. Je ne comprends d'ailleurs pas que l'UMP critique tant un projet qui consacre au CICE 20 milliards, soit dix fois le coût des 60 000 postes promis dans l'éducation nationale !
Aucune question n'est posée ; aucune discussion n'a lieu sur le bien-fondé de ce choix et sur ce qui pénalise notre pays et le continent européen. Est-ce vraiment le coût du travail ? Ne serait-ce pas plutôt celui du capital ? Rappelons que le coût salarial unitaire pondéré de la productivité a baissé de 0,5 % par an depuis quinze ans en France sans aucune répercussion sur l'emploi. Faut-il continuer dans cette voie ? En revanche, alors que les salaires ont augmenté de 81 % en vingt ans, les dividendes ont progressé de 365 %. Cette « vampirisation » des richesses par la sphère financière tue notre économie. Les dépenses de recherche et développement représentaient 44 % des dividendes versés en 1992 ; en 2008, la proportion n'est plus que de 25 %. Ce qui est récupéré par certains doit bien être pris à d'autres ; nos concitoyens en prennent conscience aujourd'hui en découvrant leur avis d'imposition dans leur boîte aux lettres. Les ménages sont mis à contribution par le gel du barème adopté par la droite : un million de foyers non imposés sur le revenu le sont désormais, et cessent de ce fait d'être exonérés de la taxe d'habitation. Tous sont frappés par les hausses de TVA, l'impôt le plus injuste qui soit.
Messieurs les ministres, pouviez-vous faire un autre choix que celui de ce budget d'austérité ? Les députés du Front de gauche pensent que oui. Où est la réforme fiscale attendue ? Il faut rendre l'impôt plus simple et plus progressif. Le montant des niches fiscales et sociales s'élève à 200 milliards d'euros et on nous parle de déficit des comptes publics ! C'est un maquis qui devrait être débroussaillé. Il faut aussi modifier le partage de la valeur ajoutée en faveur du travail et en défaveur du capital. Cela passe par une modulation de l'impôt sur les sociétés de manière à favoriser l'emploi, l'innovation et l'investissement, et non la rémunération de la rente. Où est d'autre part la relance promise de l'investissement public ? Les 12 milliards d'investissements d'avenir ne pèsent pas lourd rapportés au PIB : à peine 0,6 %, ce qui n'est manifestement pas à la hauteur des enjeux.
La France est un grand pays quand il se rassemble, avez-vous dit, monsieur le ministre. Nous avons besoin d'un nouveau pacte de développement. Nous devons revenir aux fondamentaux défendus en 2012 par tous les candidats de la gauche, notamment par l'actuel Président de la République. Peut-être suis-je le seul à y avoir cru mais, pour ma part, je pense vraiment que l'ennemi, c'est la finance. La répartition actuelle des richesses en France est néfaste à l'emploi, au pouvoir d'achat et au pays lui-même.