Sur les menaces et l'émergence de nouveaux pays dans le paysage industriel, il est indiscutable que la concurrence américaine est très vive. Certains estiment que la réduction des budgets militaires américains va renforcer la concurrence américaine. Je ne partage pas cet avis. Malheureusement, si on regarde les chiffres d'affaires des industries d'armement à l'exportation ces dernières années, on constate que nous avons perdu des parts de marché. Partant d'un étiage assez bas, nous devons être ambitieux et ne pas nous contenter de maintenir les résultats actuels et de simplement résister à une compétition plus âpre. Nous devons faire beaucoup mieux que la moyenne des trois dernières années, qui n'est pas très bonne.
Pour ce faire, la mobilisation autour des exportations doit être sans faille et s'accompagner d'une meilleure prise en compte des demandes locales de transfert de technologie ou, dans certains cas, d'un assouplissement des contraintes en matière de performance. Pour prendre l'exemple récent du déploiement d'un système d'observation spatiale aux Émirats arabes unis annoncé par le cheikh Mohamed et le ministre Le Drian il y a deux mois environ, on voit bien que c'est la prise en compte d'autres aspects que la simple fourniture de matériels qui a permis à « l'équipe de France » de gagner face à une concurrence américaine très vive. En janvier 2013, lors du voyage du Président de la République accompagné d'une délégation d'industriels, nous avions l'impression que l'affaire était perdue. En juillet 2013, elle était gagnée car nous avons mieux compris les besoins du client, les transferts de technologie, les contraintes opérationnelles, etc.
Le message que je souhaiterais faire passer est le suivant : face à une telle présence anglo-saxonne, nous devons en examiner tous les aspects, et nous organiser pour y faire face.
Nous constatons en effet que de nouveaux pays acquièrent une certaine crédibilité sur une partie de la gamme. La France a la chance – mais c'est aussi la récompense des investissements du passé – d'être présente sur la quasi-totalité des produits et des services dont les forces armées ont besoin dans le monde. Dans certains domaines, nous sommes attaqués « par le bas » par de nouveaux pays qui, sur les performances les plus sophistiquées et les produits les plus exceptionnels, ne seraient pas capables de satisfaire le client, mais qui sont capables de répondre à ses besoins courants. Je pense notamment à des pays asiatiques tels Singapour, avec le grand groupe Singapore Technology, ou la Corée, mais également à la Turquie ou encore au Brésil.
Sur les FREMM, je partage votre point de vue. Telle qu'elle a été conçue, elle peine à trouver un marché à l'exportation. Il s'agit d'un bateau remarquable, très complet, mais nous devons nous interroger : peut-être correspond-t-il à un créneau un peu étroit du marché. Il faut peut-être s'adapter aux besoins des forces navales dans le monde. Nous serions assez favorables au développement d'une frégate de taille intermédiaire pour la marine nationale qui répondrait mieux aux besoins et aux budgets d'un certain nombre de nos clients potentiels et serait équipée des systèmes électroniques les plus développés – notamment le radar SF 500. Une telle frégate pourrait rencontrer un véritable succès en Europe mais aussi dans le reste du monde. Il serait peut-être utile que la marine française commande des frégates intermédiaires en complément des FREMM, afin de qualifier le produit et d'avoir de meilleures chances à l'exportation qu'avec la FREMM dont les résultats sont décevants.
La LPM est-elle suffisamment ambitieuse en matière de drones ? J'aurais du mal à vous répondre positivement. À ce stade nous avons nous-mêmes quelque difficulté à comprendre où nous allons. Nous espérons que dans le système de drones tactiques, très rapidement disponible et qui donne à la France une autonomie totale en matière d'emploi opérationnel pour un coût modéré, le système Watchkeeper développé par Thales en Angleterre sera bientôt commandé. Je crois que le ministre de la Défense a fait des déclarations très positives dans ce sens. Nous espérons que, au-delà de l'achat de quelques drones d'origine américaine, va se produire dans les mois à venir une reprise en main de la filière de drones MALE. Celle-ci ne doit pas se limiter à la France mais être étendue à nos principaux partenaires européens afin qu'un programme européen se dessine, cofinancé, permettant de lancer une véritable filière industrielle européenne dans ce domaine et qui nous permettra de disposer d'un produit efficace pour nos propres besoins, complètement sous notre maîtrise, et exportable.
Je ne suis pas sûr – et beaucoup ici doivent partager cette opinion – que ce projet soit en train de voir le jour. Peut-être faudrait-il mettre les bouchées doubles afin que le Conseil européen de décembre – qui, pour la première fois depuis cinq ans, va traiter de questions de défense –, soit l'occasion de lancer ce programme de drones MALE. En effet, aujourd'hui, les pays européens achètent les uns après les autres les mêmes drones américains dans une filière qui ne produit pas de retour pour eux en matière industrielle et de souveraineté. Ce sujet est un peu étranger à la LPM, mais je souhaiterais que l'on puisse trouver le financement et surtout l'opportunité européenne de lancer un tel programme.
Enfin concernant les drones de combat, je crois que la LPM prévoit des travaux préparatoires assez significatifs à ce sujet, dans un cadre franco-britannique. J'espère que les deux gouvernements arriveront à s'accorder dans les mois à venir sur un tel programme. À cet égard, je souhaiterais vous faire part d'une information nouvelle : Thales a trouvé le cadre de travail qui nous permettrait de coopérer avec nos concurrents britanniques sur les aspects électroniques de façon à répondre à une demande d'organisation industrielle en matière de drones de combat si nos deux gouvernements devaient lancer ce programme. Le cadre industriel en matière d'électronique embarquée fait l'objet de discussions très avancées entre Thales et les principaux acteurs britanniques concernés.