Le projet de loi de réforme des retraites dont la Commission s'est saisie pour avis répond à un triple objectif. Il vise tout d'abord à donner des perspectives de moyen et de long termes à notre système de retraites avec un effort justement réparti entre tous les acteurs. Il renforce par ailleurs l'équité en prenant mieux en compte les spécificités de nos concitoyens les plus en difficulté et qui n'avaient guère bénéficié de mesures propres. Le texte comporte enfin des enjeux financiers sur lesquels je souhaite me concentrer, le système actuel rencontrant des difficultés financières.
En 2012, le déficit de l'ensemble des régimes obligatoires de retraite atteignait quelque 7 milliards d'euros, dont 5,2 milliards pour le seul régime général. Si la situation s'est très légèrement améliorée depuis 2010, avec une résorption du déficit de l'ordre de 3 milliards, elle n'en reste pas moins critique et structurellement intenable. L'inversion de tendance est loin d'être acquise. Les régimes obligatoires ont certes bénéficié, notamment en raison de la loi de 2010, de ressources complémentaires, mais le déficit du Fonds de solidarité vieillesse – FSV – a continué de se creuser, passant de 3 milliards d'euros en 2009 à plus de 4 milliards en 2012.
La réforme de 2010, portée par le précédent gouvernement, n'a pas réussi à résoudre cette difficile équation financière. La commission pour l'avenir des retraites, présidée par Mme Yannick Moreau, a bien mis en évidence le fait que, malgré les efforts très importants demandés en 2010, aucun retour à l'équilibre n'est envisageable d'ici à 2020. Cette faiblesse est d'autant plus grande que la réforme s'est faite au détriment des plus fragiles, notamment des personnes ayant eu des carrières heurtées, qui exercent des professions pénibles et dont l'espérance de vie après 60 ans est plus faible que pour les autres, ou des femmes, pour lesquelles le problème reste entier. En outre, la réforme de 2010 a organisé un véritable pillage du Fonds de réserve pour les retraites – FRR –, sur lequel elle a récupéré 2,1 milliards d'euros par an. Créé à l'initiative du gouvernement de M. Jospin, ce fonds devait permettre d'atténuer les conséquences du passage de l'importante « bosse » démographique entre 2020 et 2030 : ainsi affaibli, il est loin d'atteindre l'objectif initialement fixé de 150 milliards d'euros.
Il n'est pas possible de continuer sur cette trajectoire, sauf si nous acceptons de renoncer rapidement à la logique même de notre système de répartition. C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité recréer une relation de confiance avec les Français sur le dossier des retraites par une méthode claire et transparente.
Dès le mois de juillet 2012, la possibilité de partir à la retraite à soixante ans pour les personnes ayant commencé à travailler jeunes a été rétablie – c'était une promesse du candidat François Hollande. Dans le même temps, un diagnostic partagé par l'ensemble des partenaires sociaux a été réalisé par le Conseil d'orientation des retraites – COR –, à travers deux rapports, rendus respectivement en décembre 2012 et en janvier 2013. La commission Moreau a ensuite travaillé avec des experts pendant plus de six mois, afin d'explorer toutes les pistes pour éclairer le Gouvernement. Puis, à l'issue de larges consultations des partenaires sociaux menées entre le mois de juillet et le début du mois de septembre, le Gouvernement a déposé le présent projet de loi. Contrairement à ce que d'aucuns pouvaient penser, il ne s'agissait pas de négocier le texte du projet mais de recueillir les avis de tous les partenaires sociaux. Comme les précédentes réformes, celle-ci requiert d'importantes coordinations dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, le calendrier retenu par le Gouvernement permettant de disposer d'une vision d'ensemble, puisque ces deux textes viendront en discussion immédiatement après le présent projet de loi.
Sur le plan financier, le texte demande un effort égal aux employeurs, aux actifs et aux retraités. Les employeurs et les actifs verront leurs cotisations augmenter de 0,15 point en 2014, puis de 0,05 point supplémentaire chaque année, pour atteindre 0,3 point en 2017. Je suis, comme vous tous, très sensible à l'impact éventuel de ces hausses sur la compétitivité de la France et sur le marché du travail. Je veux rappeler ici que le Gouvernement s'est engagé à neutraliser l'effet de cette hausse pour les entreprises, grâce à un effort sur les dépenses de l'État. Notre compétitivité ne souffrira donc pas de la mesure, si le dispositif prévu est voté en l'état.
Dans le même temps, la durée de cotisation sera progressivement augmentée : à partir de la génération née en 1973, il faudra cotiser quarante-trois ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Cet allongement me semble raisonnable et surtout inférieur aux prévisions d'allongement de la durée de la vie. Il intervient par ailleurs de façon très progressive : il sera donc facile aux générations concernées par cet allongement de l'anticiper et de l'intégrer dans leurs choix de vie. Je tiens à rappeler que, dans trente ans, l'espérance de vie d'un salarié partant à la retraite sera bien supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui.
Les retraités participeront également à l'effort au travers d'une fiscalisation de la majoration de pension pour charges de famille. À cet égard, je me réjouis que, après sa transmission au Conseil d'État, le Gouvernement ait introduit dans le projet de loi un article 13 qui prévoit la remise d'un rapport sur le fonctionnement global des droits familiaux, notamment en ce qui concerne leur impact sur les mères. Toutefois, cette fiscalisation aura des effets de seuil regrettables pour les petites retraites. Je sais que le rapporteur général est très sensible à cette question : nous pourrons proposer des ajustements dans le cadre du projet de loi de finances, consistant notamment à relever le seuil d'exonération de la taxe d'habitation, de la CSG ou de la CRDS.
La revalorisation des retraites sera par ailleurs décalée de six mois, passant d'avril à octobre. Je précise d'emblée que les plus défavorisés ne seront pas touchés, la revalorisation du minimum vieillesse continuant d'intervenir le 1er avril. Ce report a une cohérence économique, puisque la décision de revalorisation interviendra en même temps que la publication des prévisions d'inflation par le Gouvernement dans le cadre de la préparation des lois de finances. Je tiens immédiatement à préciser à ceux qui songeraient à écarter certaines catégories sociales de ce report qu'une telle mesure serait inconstitutionnelle. Tous les bénéficiaires d'une pension de retraite doivent en effet être traités de la même manière. Il ne saurait donc être question de favoriser certaines catégories. Je sais que des amendements en ce sens ont été déposés par ailleurs : il convient d'être très prudent en la matière.
Combinées, ces mesures permettront de dégager quelque 4,1 milliards d'euros dès 2014 et 11,3 milliards d'euros en 2040, ce qui permettra de rétablir à moyen terme la solvabilité du système avec une perspective d'équilibre désormais crédible. Toutefois, compte tenu des évolutions économiques et du chômage, il n'est pas dit que nous ne serons pas obligés, d'ici à dix ou quinze ans, de revenir sur cette réforme sur le plan financier. Il est en effet très difficile de fixer un objectif financier à trente ans.
Le Gouvernement a parallèlement souhaité à juste titre revoir la gouvernance du système de retraites. Nous ne pouvons pas nous permettre de multiplier les réformes : c'est un facteur d'insécurité juridique qui entretient la méfiance de nos concitoyens. C'est pourquoi l'article 3 du texte prévoit la création d'un comité de surveillance chargé d'analyser l'évolution de la situation, d'éclairer le Gouvernement et le Parlement, de les alerter en cas de décalage par rapport à la trajectoire et de faire des propositions concrètes. Ce n'est en rien une dépossession du pouvoir politique, puisque la décision finale nous reviendra toujours. En revanche, comme pour les lois de finances, nous disposerons désormais d'une structure compétente à même de nous informer efficacement et d'assurer le suivi des enjeux dans la durée. Je vous rappelle que le COR a pour mission de nous éclairer dans le cadre d'un diagnostic partagé avec les partenaires sociaux ; le comité de surveillance aura, lui, la possibilité de faire des préconisations pouvant nous conduire à prendre des mesures.
La gouvernance des régimes agricole et des professions libérales est également opérée par le projet de loi, afin d'éviter le creusement des écarts entre le régime général et les systèmes spécifiques.
Le texte propose donc bien un effort de cohérence et de coordination. Il ne tend nullement à une mise sous tutelle ou à une étatisation du régime des retraites. Bien au contraire, il vise à préserver et à pérenniser les qualités de nos régimes, en évitant qu'un pilotage à vue ne les mette durablement en péril.
Dans cet esprit, une attention particulière est portée aux ayants droit du système. Tout le monde reconnaît que le système actuel est d'une extraordinaire complexité et qu'il faut souvent aller chercher des informations auprès de plusieurs organismes, en dépit de la création du GIP Info Retraite. Cet obstacle est particulièrement important pour les personnes relevant de plusieurs régimes. Le projet de loi prévoit donc la création d'une seule interface avec un simulateur unique en ligne. Pour l'assuré, il n'y aura plus qu'un point d'entrée, chaque régime assurant ensuite la gestion des dossiers dont il a la responsabilité, comme c'est le cas aujourd'hui. Le dispositif est entièrement tourné vers les usagers : c'est aux organismes de gestion qu'il conviendra de s'adapter alors que, aujourd'hui, ce sont les usagers qui doivent s'adapter aux organismes.
J'en viens maintenant aux mesures de justice et d'équité que contient le projet de loi. Il crée tout d'abord une véritable prise en compte de la pénibilité – une demande très forte portée par la gauche durant de nombreuses années –, en créant pour tous les salariés un compte personnel de prévention de la pénibilité. Abondé par l'employeur, ce compte financera des actions de formation pour changer de poste, ou il pourra prendre en charge un départ anticipé à la retraite, ou bien une activité à temps partiel en fin de carrière. Dans le même temps, l'accent est mis sur la prévention, car la lutte contre la pénibilité passe avant tout par une amélioration des conditions de travail. Les dépenses seront couvertes par un abondement général des employeurs complété par un abondement des entreprises exposant particulièrement leurs salariés.
Une attention particulière est portée aux carrières heurtées.
Le nombre d'heures nécessaires à la validation d'un trimestre passera ainsi de 200 à 150 heures au SMIC. Cette mesure sera particulièrement favorable aux assurés à bas salaire et à faible quotité de travail – ce sont en majorité des femmes. En complément, un mécanisme de report de cotisations d'une année civile vers l'année suivante sera institué. S'y ajoutera une meilleure prise en compte des interruptions de carrière liées notamment à la maternité, avec un élargissement des trimestres réputés cotisés. Les périodes de chômage non indemnisé seront également mieux prises en compte.
Le texte consent également un effort particulier en faveur des seniors, des assurés handicapés et des bénéficiaires de petites retraites. Pour les travailleurs âgés, le projet de loi améliore les conditions du cumul entre emploi et retraite, en renforçant l'attractivité des retraites progressives. Je déposerai un amendement visant à pallier certaines incohérences de ce cumul.
S'agissant par ailleurs des agriculteurs, qui bénéficient d'un niveau moyen de retraite très nettement inférieur à celui du régime général – 900 euros contre 1 500 euros –, le projet de loi améliore le régime applicable aux chefs d'exploitation, aux conjoints et aux non-salariés agricoles.
Le Gouvernement constate la faible utilisation du dispositif actuel en faveur des personnes handicapées. Il propose un quasi-doublement du nombre des bénéficiaires de la retraite anticipée, soit 1 000 attributions supplémentaires chaque année, mesure qui conduira à terme à une dépense annuelle supplémentaire d'environ 20 millions d'euros. Le texte abaisse par ailleurs de 65 à 62 ans l'âge à partir duquel une personne ayant une incapacité de plus de 50 % peut partir à la retraite avec une pension à taux plein.
Le bénéfice de l'assurance vieillesse des parents au foyer – AVPF – sera enfin accordé aux aidants familiaux d'un proche handicapé ou lourdement dépendant, sans condition de ressources – les associations le demandent depuis déjà plusieurs années.
Les jeunes sont, eux aussi, concernés par la réforme à travers deux mécanismes avantageux. Pour les étudiants, le texte facilite les conditions de rachat des années d'études. À titre d'exemple, un salarié de 23 ans payé 1,2 SMIC pourra racheter un trimestre au prix de 657 euros, soit seulement 40 % du tarif actuel. Je déposerai un amendement pour que nous examinions les conditions de rachat des périodes de stage. De même, les apprentis cotiseront désormais pour leur retraite : la suppression de l'abattement de 11 %, combinée à la réduction de la durée nécessaire à la validation d'un trimestre, permettra à tous les apprentis, c'est-à-dire y compris à ceux qui ont signé des contrats d'alternance, de valider leurs trimestres.
Ces mesures de justice permettront de rééquilibrer un système qui se caractérisait par une aggravation des écarts entre les plus favorisés et les plus démunis.
Cette réforme me semble donc efficace, juste et équilibrée sur le plan financier à court et moyen termes. Elle propose des évolutions structurelles majeures et réussit à redonner des perspectives à notre système de retraites.
Je ne vous proposerai que peu d'amendements : ils tendent à préciser le texte ou à appeler l'attention du Gouvernement sur certains effets induits par la réforme. Notre imagination a évidemment été bridée par l'article 40 de la Constitution. Nous aurons la possibilité, au cours de l'examen du texte par la commission des Affaires sociales, d'intervenir auprès de Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la santé, pour que le gouvernement réponde à nos attentes en déposant éventuellement lui-même des amendements.
Fort de cette analyse, je vous demande de donner un avis favorable à l'adoption du projet de loi.