Intervention de Bernard Botiveau

Réunion du 17 septembre 2013 à 18h00
Commission des affaires étrangères

Bernard Botiveau :

Je partage dans ses grandes lignes l'analyse historique que propose Alain Dieckoff des accords d'Oslo et de leur mise en place depuis la Conférence de Madrid en 1991. Des erreurs initiales ont conditionné beaucoup d'échecs ultérieurs. Mes explications, complémentaires, s'appuient sur ce qu'on entend dans les territoires palestiniens. Je précise que j'ai enseigné à l'Université palestinienne de Bir Zeït dans les années 1995 à 2000, au centre de droit que Mme Elisabeth Guigou a inauguré lorsqu'elle était ministre de la justice. Le centre a aujourd'hui doublé de volume et fonctionne au sein de la faculté de droit et de science politique de l'université. J'y effectue depuis des missions d'enseignement chaque année.

Alain Dieckoff a rappelé des données constantes, mais sur le terrain il y a eu pendant les vingt dernières années des changements importants en fonction du renouvellement des générations, ainsi que des changements de perceptions et d'analyses. A Bir Zeït par exemple, la population a changé, il y a aujourd'hui davantage d'étudiantes que d'étudiants dans certaines sections. A l'époque, les étudiants étaient pour beaucoup des professionnels du droit, qui revenaient après avoir dû interrompre leurs études car ils avaient dû s'expatrier ou avaient été en prison ; ils étaient aussi plus âgés, jusqu'à 30 ans.

Je voudrais donner quelques informations sur l'idée qu'il y a échec et sur la crainte qu'il y ait des obstacles importants à la reprise des négociations si les lignes fondamentales d'Oslo ne bougent pas. On peut se baser sur l'histoire de ce processus pour être à peu près certain que ça ne marchera pas dans ce cas. Sans méconnaître les rapports de force internationaux et l'évolution des relations internationales, on peut néanmoins se dire qu'il y a des opportunités à saisir. En même temps, en parlant aujourd'hui d'un grave échec du processus, je ne suis pas de ceux qui pensent que cela était inscrit dès le début : il y avait parmi mes étudiants des militants politiques appartenaient au FPLP ou à d'autres mouvements, qui étaient presque enthousiastes sur les dynamiques qui semblaient alors possibles, alors même que leur affiliation ne leur permettait pas en principe de s'engager dans le processus. En 1996, le retour aux affaires de la droite israélienne, après l'assassinat d'Itzhaq Rabin en novembre 1995, a marqué un coup d'arrêt et ensuite, à Jérusalem et à Ramallah en juillet 2000, on se rendait compte que les pourparlers de Camp David 2 étaient voués à l'échec. En 2001, la nouvelle impasse de Taba a créé une fracture et ce n'est pas un hasard si la deuxième intifada a ensuite commencé.

Je développerai quatre points d'explication. Tout d'abord, sur la question de la représentativité. Initialement, ce n'est pas l'OLP qui a négocié, mais une délégation des Palestiniens de l'intérieur, encadrés par la Jordanie, et quand Arafat a signé en 1996, il ne faisait pas l'unanimité. L'OLP était dispersée à Tunis, à Beyrouth, etc., elle était divisée et le Fatah lui-même connaissait de graves divergences en son sein. On a peu tenu compte des Palestiniens de l'intérieur, le Hamas faisant figure d'épouvantail, déjà, il n'a pas été intégré aux discussions. A-t-on fait une erreur de perspective alors en n'intégrant pas plus de composantes ? Aujourd'hui, le Hamas s'est institutionnalisé au sein de l'Autorité palestinienne. En 2006, les élections qu'il a gagnées traduisaient aussi un vote sanction contre Oslo qui n'avait pas marché. Le fait de n'avoir pas reconnu le résultat légitime de ces élections alors même qu'elles avaient été soutenues et validées par l'UE a eu un impact très négatif dans la société palestinienne et une grande incompréhension de son leadership.

Le deuxième point que je voudrais développer est celui de la souveraineté. On a toujours parlé d'un Etat, mais on ne savait jamais comment l'appeler, avec différentes formules employées à l'époque : Etat autonomique, Etat transitoire, quasi-Etat… L'Autorité palestinienne avait beaucoup de caractéristiques d'un Etat. Par exemple, si elle n'avait pas la compétence diplomatique aux termes des accords, le Conseil législatif palestinien recevait des ministres étrangers, des chefs d'Etat, certes avec l'approbation des Israéliens, mais tout de même de façon autonome. Deux choses ont posé le plus de problèmes pour réaliser cette souveraineté : ce qui touche au territoire et aux frontières. Ce point a été développé et je rappellerai juste que la séparation entre Gaza et la Cisjordanie, qui s'est aggravée après les élections de 2006, a été définitivement préjudiciable aux relations entre Gaza et la Cisjordanie et à l'unité de la population palestinienne. Et je ne parle pas des colonies qui par leur présence sur le territoire, leur extension permanente, ont posé de plus en plus de problèmes. Il n'est pas possible de faire fonctionner une négociation dans ces conditions. Je pense à une implantation israélienne ancienne, Neve Yaakov en hébreu, Nabi Yaacoub en arabe, qui est une extension de Jérusalem, et qui a doublé ou triplé de volume en moins de dix ans. Dans certains quartiers, la situation est devenue intenable pour la vie quotidienne. L'accès à l'extérieur est aussi un problème majeur connu. La destruction de l'aéroport de Gaza, qui était peut-être la possibilité de développer quelque chose, a été très mal vécue. Ces quelques exemples illustrent la frustration d'une population touchée dans sa quotidienneté en plus du contrôle de ses activités politiques.

Troisièmement, il y a la question de la médiation internationale. Elle dépend de la situation internationale. Par exemple, les discussions actuelles au Conseil de sécurité des Nations-Unies sur la Syrie ne sont pas simples et risquent de se solder par une impasse. Mais si l'on peut dire que les Américains ont toujours opposé leur véto au Conseil de sécurité pour les résolutions favorables aux Palestiniens, il n'en a pas toujours été de même dans les autres instances. On peut citer l'exemple de la Cour internationale de justice qui a déclaré illégale la construction du mur de séparation ou des votes de l'Assemblée générale. Pourtant, la médiation s'est avérée inefficace et on ne peut à cet égard que saluer la récente décision de la Commission européenne de clarifier ses relations avec les implantations israéliennes dans les Territoires palestiniens. Les pressions de John Kerry sur l'Unions européenne à cet égard peuvent faire craindre un recul, mais cela dénote aussi une vraie prise de conscience qui fait écho à ce que font savoir les représentations diplomatiques européennes sur place.

Pour finir, je voudrais souligner une différence entre les conditions qui existaient en 1993 pour la conclusion d'un accord et celles d'aujourd'hui. On pouvait admettre en 1993 qu'un délai de cinq ans de mise en place était raisonnable, à la suite duquel s'engageraient les discussions sur les points difficiles. C'est aujourd'hui totalement inacceptable pour les Palestiniens. Les jeunes sont fréquemment dépolitisés, désenchantés, tout en continuant à subir des règles d'occupation qui empoisonnent leur vie quotidienne. Pour tous les Palestiniens qui s'intéressent aux négociations, il faut des résultats immédiats. C'est une « question existentielle » pour reprendre un vocable israélien, que de pouvoir vivre sa vie au quotidien, ou encore de voir revenir les prisonniers politiques, dont une bonne partie est d'ailleurs en détention administrative etc.

J'ai pris ces quelques exemples pour conclure sur le fait que les négociations en leur forme actuelle ne peuvent rien apporter de plus. La société civile palestinienne ne se fait aucune illusion et les Palestiniens poursuivent la négociation car c'est mieux que rien. La solution à deux Etats n'a pas disparu mais est fortement compromise. La solution à un Etat s'assimilerait à une domination complète d'Israël qui devrait appliquer les réglementations internationales sur les populations protégées, comme au temps de la SDN, ou alors il faudrait accepter de désenclaver le territoire. Certains éléments qui paraissent des choses moins fondamentales mais pourtant urgentes ont longtemps bloqué le processus. Je pense au reversement des taxes sur les marchandises importées que les Israéliens régulièrement interrompent pour faire pression, l'Union européenne intervenant d'ailleurs dans ce cas pour colmater les brèches.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion