Intervention de Aurélie Filippetti

Séance en hémicycle du 3 octobre 2013 à 9h30
Non-intégration de la livraison dans le prix unique du livre — Présentation

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

Nous allons donc débattre aujourd’hui d’un enjeu majeur pour l’ensemble des élus que nous sommes, élus de la France entière. Pourquoi faut-il se saisir d’un tel enjeu ? Parce que depuis 1981, et même depuis 2011 et le vote sur la loi relative au prix du livre numérique, des évolutions technologiques ont modifié la façon dont les livres sont vendus. Là encore, il ne s’agit pas de nous y opposer ; ce serait d’ailleurs vain, ce serait un barrage contre le Pacifique. Nous avons montré en 2011 que nous étions au contraire extrêmement volontaristes pour considérer la neutralité technologique indispensable aux objets culturels. Un livre est un livre, c’est avant tout un texte, quel que soit le support, physique ou numérique, grâce auquel il est diffusé. Mais étant donné la manière dont la vente en ligne est organisée économiquement aujourd’hui, nous pouvons légitimement exprimer notre inquiétude.

Nous avons évidemment tous à l’esprit des épisodes récents et douloureux : la fermeture de Virgin, en France, mais aussi, plus récemment encore, le risque qui pèse sur les cinquante-sept librairies du réseau Chapitre et sur ses 1 200 salariés. Nous avons donc légitimement le droit – mais c’est aussi un devoir – de nous interroger ensemble sur la manière dont nous pouvons rétablir une juste concurrence entre les acteurs de la chaîne du livre, tant pour la vente en ligne que pour la vente physique, afin de faire respecter l’esprit de la loi Lang de 1981. Car tel est bien tout l’enjeu de ce débat : respecter, malgré et avec les évolutions technologiques, l’esprit de la loi Lang, dont nous saluons tous ici les bienfaits, qui sont reconnus de façon unanime sur tout le territoire français.

Faire respecter l’esprit de la loi Lang, c’est bien sûr rétablir les conditions d’une juste concurrence face à des acteurs de l’économie mondialisée, des géants du numérique qui bénéficient d’avantages concurrentiels, comparatifs pourrait-on dire, liés à des stratégies connues d’optimisation fiscale extrêmement agressives. Le Gouvernement a engagé un plan très ambitieux pour soumettre à un impôt juste l’ensemble de ces sociétés, qu’on appelle les GAFA, l’acronyme qui désigne Google, Apple, Facebook et Amazon ; il a d’ailleurs été présenté à la Commission européenne la semaine dernière. Sans même attendre ces dispositions fiscales, nous avons aussi l’impérieuse nécessité d’agir pour empêcher un détournement de la loi sur le prix unique du livre de 1981.

Si la discussion d’aujourd’hui est un moment important, c’est aussi parce que nous partageons cet objectif commun, monsieur le rapporteur, et je tiens à vous remercier du travail que vous avez accompli et du rapport extrêmement intéressant que vous avez écrit au sujet de la proposition de loi que vos collègues du groupe UMP et vous-même avez déposée. Le livre a en effet souvent suscité en France un accord transpartisan, qui est, me semble-t-il, la preuve de notre attachement commun à cet objet et du sens de l’intérêt général que nous partageons en la matière. C’est peut-être cela aussi, l’exception culturelle, mais nous en sommes fiers, et nous pouvons nous en réjouir ce matin.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, j’ai décidé de proposer un amendement qui permettra, dans le même esprit que celui que vous défendez ce matin, et en accord avec la commission des affaires culturelles et son président Patrick Bloche, que je salue amicalement, d’améliorer, de renforcer le texte, de satisfaire l’objectif conjoint que nous partageons.

Ces dispositions ne sont pas aisées à rédiger, parce que ce débat sur la manière de lutter contre les détournements de l’esprit de la loi Lang au moyen de la gratuité des frais des ports, que certains opérateurs de la vente à distance proposent, agite depuis plusieurs années le réseau des libraires et des acteurs de la chaîne du livre. Il a même été l’objet d’un jugement de la Cour de cassation en 2008.

Comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, nous devons légiférer d’une main tremblante. Nous devons être très attentifs, vigilants et scrupuleux parce que toute ouverture, toute entorse à la loi de 1981 doivent être examinées avec précision. C’est pourquoi je vous présenterai tout à l’heure un amendement qui me paraît offrir la meilleure sécurité juridique possible et, en même temps, qui permet à nos concitoyens de constater que nous travaillons non pas au détriment du pouvoir d’achat mais bien pour une juste concurrence entre tous les acteurs de la chaîne du livre, et surtout pour faire respecter l’esprit de la loi sur le prix unique du livre.

Les dispositions que nous allons examiner ce matin s’inscrivent dans un contexte plus général, celui d’une politique très volontariste en faveur des libraires, que j’ai initiée depuis mon arrivée au ministère de la culture voilà plus d’un an. Les libraires sont en effet un élément indispensable de la chaîne du livre, un canal qui permet de préserver la diversité éditoriale ; nous pouvons d’ailleurs nous réjouir du nombre de titres qui sont sortis à la rentrée littéraire. Malheureusement, ils sont aussi le maillon le plus menacé, le plus fragile.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion